mercredi 18 octobre 2023

Protectorats

Ray Nayler - Protectorats - Le Bélial’

 

 « Celui qu’on aime est à mi-chemin du fantôme. »

Pascal Quignard, Vie secrète

 

  

La nouvelle, genre littéraire estimé des lecteurs de science-fiction est généralement placée sous surveillance par les éditeurs qui préfèrent miser sur le format long. (1) Mais quelques-uns d’entre eux ne s’en sont pas laisser conter et démontrent qu’en dehors de leurs caractéristiques esthétiques propres, ou de leur fonction de balisage thématique, les textes courts constituent aussi le promontoire avancé des nouveaux continents de l’imaginaire. Le Bélial’ y a pris sa part en proposant entre autres trois recueils de l’incontournable Greg Egan, un passionnant volume consacré à Rich Larson, alors que la collection Lunes d’encre publiait le remarquable Expiration de Ted Chiang.

 

A l’initiative de Renaud Guillemin, Les Quarante-Deux qui sont deux, livrent aujourd’hui Protectorats une compilation de nouvelles de Ray Nayler traduite par Henry-Luc Planchat. Il s’agit d’un auteur américain inédit que les lecteurs de Bifrost ont pu découvrir en avant-première. Après avoir crapahuté une vingtaine d’années en Asie Centrale, il s’est établi dans la capitale étatsunienne où il exerce la fonction de chercheur invité à l’Université Georges Washington.

 

L’ouvrage n’a pas d’équivalent anglo-saxon. L’ordonnancement des textes ne coïncide pas avec l’ordre chronologique de leur rédaction afin de transformer l’ensemble en un fix-up cohérent et évolutif. Globalement Protectorats est une uchronie démarrant en 1938, date à laquelle la découverte d’artefacts dans une soucoupe volante propulse leurs découvreurs dans une nouvelle ère technologique. La seconde guerre mondiale a bien été remportée par les alliés, les russes ont été repoussés jusqu’à Moscou. Roosevelt a été réélu sept fois et la Chine de Tchang Kaï-chek a pris le pas sur la Chine communiste. Istanbul devenu un protectorat est le cadre de plusieurs nouvelles.

 

Quelques-unes se lisent aisément hors contexte. C’est le cas de « Père », « Mutabilité », « Les yeux de la forêt », « Sarcophage ». L’anthropotechnie Eganienne (« Mélopée pour Hazan », « L’Hiver en partage », « Retour au Château Rouge », « Le Réparateur de moineaux » etc.) côtoie des récits plus classiques comme « Père » résurgence de Sturgeon et Bradbury, « Les yeux de la forêt » qui réinterprète le thème classique de la découverte d’un environnement étranger. « Sarcophage » semble quant à lui inspiré de « Descente », fameuse nouvelle de Ian M. Banks in L’essence de l’Art. « Les Enfants d’Evrim » relate un voyage spatial au long court mouvementé.

 

La qualité littéraire de ces fictions suggère des grilles interprétatives supplémentaires. Les concepts science-fictifs de « connectome » ou de « boucle », bref la boite à outil des cinq premiers textes embarque d’entrée le lecteur dans une thématique de l’absence - splendidement et simplement illustrée d’ailleurs dans « Père ». L’apparition des « vacants », c'est-à-dire d’humains animés par des consciences étrangères à l’exemple de « L’Hiver en partage » ou de « Retour au Château Rouge », reprend une idée initiée jadis par Robert Silverberg dans « Passagers ». Ce thème Eganien au possible ouvre une autre piste, celle de l’identité trouble, où l’être-pour-soi s’affirme aux dépens de l’être-pour-autrui.

                                                                                   *

- « Mélopée pour Hazan » : Le professeur Hazan met au point un tissu neuronal (le connectome) permettant la migration temporaire d’une conscience à une époque antérieure. Son second le professeur Baris Burakgazi assiste impuissant à la dérive mentale d’Hazan, femme immergée dans un passé douloureux dont elle ne parvient pas à se défaire.

 - « Mutabilité » : Un homme rencontre dans son café habituel une femme inconnue qui lui montre une photo les représentant tous deux. Un texte surprenant oscillant entre Modiano et le Nouveau Roman, façon L’année dernière à Marienbad.

 - « Père » : Nouvelle phare du recueil, prix des lecteurs Bifrost 2022, elle raconte l’amitié entre un robot de combat reprogrammé dans le cadre d’une assistance aux enfants orphelins d’un père tué à la guerre, et un petit garçon. Oubliez Terminator 2 et ravivez vos souvenirs de lecture de Bradbury ou de Sturgeon.

 - « Les Boucles de désintégration » : Sylvia Aldstatt est la seule employée d’OpsLab capable d’utiliser la technologie des boucles sans y laisser sa peau. Cela consiste en l’immersion d’une conscience dans le cerveau d’une personne récemment décédée. Justement Sylvia doit tenter d’identifier un meurtrier en sondant le cerveau de sa victime.

 - « Une fusée pour Dimitrios » : Un fort texte dans la continuité du précédent. Le cadavre de l’espion gréco-roumain Dimitrios Makropoulos, a été retrouvé dans le Bosphore. On le soupçonne d’avoir tenté de vendre l’emplacement d’une seconde soucoupe volante à un ennemi de la coalition américaine. Sylvia Aldstatt et son binôme Alvin sont mis à nouveau à contribution pour retrouver la carte de l’emplacement. L’intrigue démarre comme un roman de John Le Carré et s’achève en Citizen Kane. Excellent récit d’une plongée dans la complexité d’une existence qui pourrait donner lieu – allez savoir ? – à un développement romanesque ultérieur.

 - « Les Yeux de la forêt » : Dans une lointaine colonie, une apprentie-guide doit traverser une forêt hostile pour ramener des médicaments à sa formatrice blessée par sa faute. Une nouvelle à suspense classique mais agréable.

 - « Sarcophage » : Encore une histoire de survie. L’unique survivant d’une expédition se débat avec la batterie de sa combinaison pour atteindre un dépôt de nourriture dans un monde de glace. Récit d’ambiance somme toute réussi avec une belle chute finale.

 - « L’Hiver en partage » : Deux « vacants », c'est-à-dire deux personnes dont la conscience a été téléchargée dans une « enveloppe humaine » déambulent à Istanbul avant de retomber dans une simulation des guerres du Péloponnèse. Mais les stambouliotes n’aiment pas les zombis … Passable.

 - « Retour au Château Rouge » : De retour d’une mission sur une planète de glace une astronaute intègre le corps d’un vacant sur Istanbul quelques siècles plus tard. Elle part à la recherche de son passé. Passable.

- « Le Réparateur de moineaux » : En balayant la cour d’une mosquée où il a pris l’habitude de nourrir des moineaux, un jeune homme rapporte l’un d’entre eux blessé à un de ses amis, un androïde… vétérinaire. Mais d’autres personnes moins bien attentionnées s’intéressent aussi à l’oiseau. Un texte réussi qui reprend un thème cher à Egan, les chimères, et le transfert de conscience, déjà abordé plus haut.

 - « La Mort de la caserne de pompiers n° 10 » : Les IA ont désormais investi les maisons et les bâtiments publics et elles sont même sont capables de nostalgie. Une nouvelle sensible qui témoigne encore du talent de Ray Nayler.

 - « Les Enfants d’Evrim » : En partance pour un nouveau monde, la jeune Mae apprend peu à peu d’Evrim, androïde et émanation du vaisseau spatial, les péripéties qui ont endeuillé l’équipage dont elle est la seule rescapée. Un beau récit en toute simplicité.

 - « La Pluie des jours » : Peut-être à la suite d’un transfert de conscience raté, mais l’auteur ne le précise pas, une femme tente de récupérer ses souvenirs. Une bonne vision de l’hôpital ou de l’EHPAD du futur dans lesquels les robots remplaceront le personnel soignant.

 - « Les Hirondelles de papier » : Alors que les dérèglements climatiques croissants ne cessent d’augurer des lendemains inquiétants pour notre planète, celle-ci subit un bombardement aléatoire de projectiles de petite taille qui s’abattent indifféremment sur la faune ou le paysage. Deux scientifiques en récupèrent un et en déduisent une origine extra-terrestre. Un récit en forme de requiem, réussi.

  

Ray Nayler intègre la science-fiction à tous les étages. Aussi à l’aise dans le registre anthropotechnique, que dans les textes humanistes des grands auteurs des décennies 50-60, on attend impatiemment le déploiement de son talent dans le format romanesque.

 

  

(1)   Gérard Klein a rédigé quelques mots pessimistes sur les performances économiques des recueils, ce qui ne l’a pas empêché de contribuer fortement à deux d’entre eux, la Grande Anthologie de la Science-Fiction et Le Livre d’or.


57 commentaires:

Anonyme a dit…

J’aime bien ce genre de profil à la Francis.L- Rayer, lui aussi chercheur, et auteur du Lendemain de la Machine .

Christiane a dit…

Ces nouvelles de Ray Nailer sont remarquablement introduites avec cette pensée énigmatique de Pascal Quignard car d'après le profil que vous donnez de chacune d'entre elles, il y a un flou, un... fantôme qui fait passer un être dans un monde fictionnel où les consciences se cherchent au-delà de l'absence. La légende de saint Denis ( vidéo dans un lien) est habilement utilisée par Michel Serrés pour résumer ce dépôt de fonctions cognitives du vivant d'abord dans l'écriture, puis dans le livre, puis dans la machine. Allègement ? ou disponibilité pour chercher un univers qui n'existe pas vraiment, juste pressenti.
La forme de la nouvelle que vous défendez bien s'adosse au plus gros livre de Pascal Quignard , le plus beau, qu'il n'a pu nommer roman, éclaté en tant de questions sur l'amour qui emporte les êtres loin des autres, dans le secret et l'interdit et surtout l'absence..
Tout cela est passionnant et fort. Merci.

Christiane a dit…

Interdit dans le sens de fascination

Christiane a dit…

Étranges, ces nouvelles de Ray Nayler. J'ai commencé par celle intitulée "Père".
J'ai d'abord eu l'impression de lire un conte pour enfants. Aucune aspérité ni dans le fond ni dans la forme.
La complicité qui se noue entre l'enfant et le robot, quel gamin n'en a pas rêvée ?
Le conte se corse quand le robot provoque la jalousie dédaigneuse d'une bande de gosses un peu loubards.
Le gamin voit le geste du robot qui vise l'un
d'eux, l'agresseur, avec un marteau et parle d'un secret qui les lie.
L'escalade de la violence aboutira à la destruction du robot et à la mort d'un des gamins agresseurs. Qui était ce robot ?
Un mystère plane sur la fin de la nouvelle. Un combattant mortellement blessé ramené à une vie fantomatique mi-homme, mi-robot ? (Un peu l'origine du film Robocop.)
Ici, les constructeurs, réparateurs, insistent sur le fait qu'ils ne les ont pas programmés pour agresser, tuer. Ils s'interrogent sur les réactions de ce robot, trop humain, capable de vengeance.
L'enfant ignore beaucoup de cette fin désastreuse. La vie continue. La mère se remarie. Il garde la nostalgie de ce seul "père" qu'il a eu et aimé, plus que son père biologique qu'il n'a pas connu étant nourrisson quand il est parti à la guerre
Est-ce une interrogation sur la douleur, les prothèses, l'homme amélioré ? l'IA ? La guerre ?
Donc, est-ce un conte pour ados ? Est-ce, sous ce revêtement onirique, les fantasmes d'un enfant, un père qui aurait dû être invulnérable ? Ou ceux d'hommes en ayant assez de servir de chair à canon ?
Est-ce ce vacillement entre l'homme et la machine, la méditation de Michel Serres ? Mémoire, culture, anticipation... L'homme se sent de plus en plus fragile dans ce monde ravagé par la guerre et le terrorisme....

Anonyme a dit…

Tout cela , peut-être…. MC

Christiane a dit…

J'ai commencé la lecture d'une autre nouvelle , celle dont vous dîtes : "Mutabilité" : Un homme rencontre dans son café habituel une femme inconnue qui lui montre une photo les représentant tous deux. Un texte surprenant oscillant entre Modiano et le Nouveau Roman, façon L’année dernière à Marienbad."
Comme vous avez raison ! On entre là en littérature. Quelle écriture raffinée ! Quel sens de l'observation.
Toute une première partie sans la femme, sans la rencontre, tout à fait délicieuse. On entre dans ce café bourgeois. On s'emerveille du décor, des mets et boissons servis. L'atmosphère est douce. L'homme est cultivé, posé, aimant lecture et écriture, nimbé d'une sorte d'état méditatif, une rêverie.
On pense à Vienne où se rencontraient avant la guerre, dans certains cafés, écrivains et artistes.
Puis arrive cette femme élégante et discrète.
Et là le récit quitte Marienbad et les songes de Modiano pour nous faire basculer dans un temps autre, mystérieusement réapparu, du moins remémoré à cause d'une photo dont ni l'homme ni la femme ne peuvent expliquer l'existence. C'est bien eux qui sont pris en photo dans des vêtements anachroniques. Mystère...
Je fais une pause pour faire durer le plaisir....

Christiane a dit…

Et pourtant ce "café avait quelque chose d'intemporel - la vieille bâtisse, la collection hétéroclite de meubles d'occasion, comparable à celle d'un musée, les sempiternelles parties d'échecs au bout du bar - , tout en semblant baigner dans un changement perpétuel (..) la disposition du mobilier était toujours différente... "
Et notre homme , habitué de ce lieu, aime étaler sur sa table - toujours la même - tout ce qui lui permet de travailler : son terminal, ses carnets et attend la tasse de café fumante qu'on lui apporte sans qu'il ait à la demander..
On sait juste que ce lieu lui a sauvé la vie, il y a longtemps...

Christiane a dit…

Dans cette nouvelle, le retour dans le passé, les ruptures de chronologie sont à la base de l'organisation de ce court mais passionnant récit. Une sorte de réflexion sur la mémoire humaine. Son incertitude.
J'en viens à votre rapprochement étonnant avec le film d'Alain Resnais : L'Année dernières à Marienbad. L'oubli... Le souvenir...
On se demande si cet homme et cette femme ont vécu un bonheur ensemble, 400 ans auparavant puisqu'ils se regardent en souriant sur la photo ? Ont-ils tout oublié ? La dernière scène nous rejoue la première avec une infime différence...
Comme si le passé s'effaçait à chaque fois qu'il tentent de s'en approcher.
Deux durées, deux temps de superposent. Autrefois devient un ailleurs inaccessible.
Quand il se réveille à la fin du récit, le lecteur décontenancé cherche la trace de ces événements mais entre dans une impasse.
Le temps devient le personnage de la nouvelle. Un temps qui ne coule plus. Le récit se contredit, tourne en boucle à la ... recherche du temps perdu... Ce récit est une chimère.
Quelle recherche ! ..
Plus que jamais des... fantômes...

Christiane a dit…

Pour Modiano comme pour Nayler, les personnages et les lieux traversent le temps même révolu. Le récit s'organise autour d'indices qui renvoient à deux vies entremêlées dans le présent des narrateurs. Ici, un présent d'homme face à une photo troublante qui est une trace d'une vie antérieure où il était proche de cette femme rencontrée sous la pluie puis dans ce café.

Christiane a dit…

Je pense à son premier roman : La Place de l'étoile, où il fait ressurgir les fantômes du passé jusque dans le nom des rues, des cafés, des hôtels....
Ici, une vieille photo témoigne d'un ailleurs, d'un autre temps où ils ont vécu. Et ce café où l'histoire commence, ouy elle se termine.

Anonyme a dit…

Pas fameuse,, ladite Place de l’ Étoile en sa première version. Mais continuez, c’est intéressant. Bien à vous. MC

Christiane a dit…

Merci pour vos encouragements, MC.
Modiano... J'aimais la période où on a découvert son écriture, moins le portrait attendu que l'on fait de lui maintenant depuis que les médias s'en sont toqué à grand renfort de questions où il se doit de ne pas finir ses phrases, de sembler être perdu dans des réflexions abyssales. J'aime les écrivains discrets qui sont surtout préoccupés d'écrire, lentement, sérieusement.
Comme j'aime les critiques littéraires discrets comme Paul Edel, qui n'assènent pas l'interprétation d'un roman en la justifiant par un parcours universitaire écrasant mais par une lecture intuitive, avançant par suggestions, laissant le lecteur faire son expérience.
Mais il y a une note Modiano qui excelle à faire entendre le passé si fuyant dans la mémoire volontaire.
Ce recueil de nouvelles de Ray Nayler révèle un écrivain très philosophe, interrogeant la mémoire, les hantises de nos contemporains, une ouverture à la science et une belle écriture pour traduire sa prodigieuse imagination.

Anonyme a dit…

Greg Egan... Que oui !

'Mouais' pour certains passages, if you permit, SV :
AUX DEPENS de l'être-pour-autrui
russes REPOUSSES
dont IL ne parvient pas à se défaire
Péripéties qui ont ENDEUILLE
EHPAD du futur

Merci pour le choix de cette intéressante chronique de nouvelles pas si facile à établir
Bien du soleil à vous et à vos lecteurs assidus.

Christiane a dit…

Me voici maintenant dans la tête d'un enfant. "Le Réparateur de moineaux". Drôles de titre... comment réparer un oiseau ? Sauf si ce n'est pas vraiment un oiseau....
L'enfant regarde les oiseaux se rouler par terre, sautiller dans la cour de la mosquée, s'envoler, les écoute pépier tout semble "normal"...
Pourtant, l'un d'eux tombe, reste immobile. Il le recueille car son cœur bat encore, le conduit dans l'échoppe d'un vétérinaire qu'il semble bien connaître. Puis repart sur son vélo, longeant la mer de Marmara. Il s'appelle Himmet.
"Le vent du large soufflait assez fort pour pousser le corps d'Himmet comme une voile. Des mouettes survolaient l'écume et chassaient en inclinant leurs ailes pour profiter du vent."
Tout semble encore "normal"...
Himmet semble poursuivi, le lecteur ne sait pas par qui...
Les oiseaux semblent sa passion. Il les nourrit de miettes de pain.
Tout semble encore normal...
Drôles d'oiseaux quand même puisque l'un d'entre eux a "une patte artificielle en fibre de carbone"...
C'est ainsi que Ray Nayler entraîne son lecteur dans l'étrange, par petites touches décalant son univers du réel. Mais cela y ressemble tellement...
J'aime qu'il nous transporte dans des pays, des paysages si différents.
Que nous réserve ce rivage où les oiseaux se réparent ? Si ces oiseaux sont factices qu'est-il arrivé aux vrais oiseaux ? Pourquoi ce paysage ressemble-t-il tant à ceux du bord de mer proches d'Istanbul ? Sommes-nous au XXe siècle ?

Christiane a dit…

Je relis. Oh, un mot m'avait échappé , juste avant le nom du vétérinaire : "Pourtant , malgré sa grande taille, l'androïde Sezgin s'y trouvait à l'aise..."
Androïde... Donc il s'agit d'un automate qui a peut-être un visage humain...
(Il y a bien de multiples machines qui interviennent dans des blocs opératoires mais guidées par la main de l'homme).
Celui-ci semble... autonome...
C'est un vrai jeu de piste ! Trouver les indices insolites dans cette reproduction du réel.

Soleil vert a dit…

Corrections effectuées. Merci JJJ

Christiane a dit…

Une grande tendresse baigne cette nouvelle comme dans "Père". Ainsi, cette habitude de l'enfant : "Il y avait un endroit, dans un coin de la cour de la mosquée, où il enterrait ceux qu'ils n'avaient pas pu sauver. Si petits. Il suffisait d'une pelletée de terre pour les recouvrir."
Au passage je note le "ils". Encore un indice suggérant un travail d'équipe entre le vétérinaire androïde et l'enfant.

Christiane a dit…

"Un texte réussi qui reprend un thème cher à Egan, les chimères, et le transfert de conscience, déjà abordé plus haut."
Greg Egan... vous l'apprécierez, Soleil vert, je le découvre par vos liens.

Christiane a dit…

Je me souviens de nos discussions à propos des personnages de "Océanique". Du thème de la Résurrection.

https://soleilgreen.blogspot.com/2022/09/oceanique.html

Christiane a dit…

JJJ, aussi !

Christiane a dit…

Je me suis trompée. Himmet n'est pas un enfant mais un homme jeune qui a combattu à Belgrade avec l'androïde Sezgin. Même si le début de la nouvelle le présente comme un être qui pourrait être un enfant aimant les oiseaux et en recueillant, blessé.
L'androïde vétérinaire est maintenant en fuite, après avoir recommandé la prudence à Himmet, lui confiant qu'avec cet oiseau il "a ouvert une faille dans la substance du monde".
Quand il est interrogé sur cet oiseau et sur Sezgin, Himmet a cette parole : "Les vétérinaires ont bon cœur " ce à quoi cette espèce de policier lui répond : "- Techniquement, Sezgin n'a pas de cœur"
Encore un thème cher à la science-fiction : les androïdes ont-ils une âme, sont-ils capables d'éprouver des sentiments ?
Cette question posée au siècle des machines, de l'IA, renvoie au Bien et au Mal. A ces hommes devenus criminels , terroristes, tortionnaires . Peuvent-ils éprouver des sentiments comme la pitié qui les empecheraient de passer à l'acte ?
Cette opposition du Bien et du Mal traverse l'histoire de l'humanité et dans la science-fiction gagne celle des androïdes.
Le cinéma a exploité cette question en notant que parfois ces robots font le bien là où l'être humain s'enfonce dans une cruauté sans nom.
Cette uchronie prolonge cette méditation.
Comme disait Hubert Reeves, la création n'est pas terminée. Elle est imparfaite. Lui rêvait à un monde meilleur...





Christiane a dit…

Quelle fin troublante pour cette nouvelle...
Une chimère... Un esprit humain piégé dans un corps appartenant à une autre espèce...
Une façon de se détourner de la mort....
"Himmet est mort.
Mais je suis Himmet, et je le souviens d'avoir été Himmet, bien avant la guerre. Avant tout ça. Je me souviens... d'une enfance. Sur la page avec mon père, un canot échoué."
L'indémontrable identité... Un "je' qui n'existe qu'en creux...
Je me souviens de "Gaspard" de Peter Handke vu au theatre de Saint-Denis, pièce inspirée par l'aventure terrible de Gaspard Hauser, ce jeune homme apparu soudain en Bavière, une lettre à la main. Séquestré pendant des années sans aucune relation avec le monde extérieur.
Gaspard disant ces mots qui me sont restés en mémoire, terribles.
"J'aimerais devenir celui-là même qu'un autre a déjà été. Je ne suis pas ce que j'ai été. Je n'ai pas été comme j'aurais dû être. Je ne suis pas devenu ce que j'aurais dû devenir."
L'absence... Cette nouvelle transmet un "soi" vide et la fin est terrible.

Christiane a dit…

Un peu comme dans le roman de science-fiction de Philip K. Dick : "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" / "Balade Runner" que j'ai découvert grâce à son adaptation au cinéma par Ridley Scott .
Rick Deckard, le chasseur d'androïdes est-il l'humain qu'il croit être ?

Anonyme a dit…

Oui en effet des passages font penser à des paysages du Levant et à Istanbul.

Anonyme a dit…

Ah oui, vous n’aimez pas les romans dont l’exégèse dépend du concours passe par le lecteur , et des lectures faites par lui à l’époque? Je vous rassure, moi non plus! MC

Anonyme a dit…

Euh, Blade Runner? MC

Anonyme a dit…

Remis quelque chose sur la Fin de Satan. MC

Christiane a dit…

Je vous ai répondu.

Christiane a dit…
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Christiane a dit…
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Christiane a dit…

J'en ai lu quelques autres. Peu à peu, j'entre dans l'univers incertain de Ray Nayler. Protectorats... Il est évident que les siècles ont passé. Un monde s'est mis en place qui se souvient de l'homme mais des formes nouvelles sont apparues, sortes d'androïdes où la pensée humaine, un peu à l'étroit, migre d'une enveloppe à une autre. Toujours des présences de surveillance cachant des secrets entrevus, devinés, en lien avec d'autres formes de vie. L'espace est si vaste et encore si mal connu.
Mais je reviens à notre époque de transition où la recherche médicale et biologique risque des transplantations, des greffes, de la robotique ajoutée aux corps défaillants pour remplacer un membre, la vue, l'ouïe, un organe défaillant.
Je posais une question cette semaine à un ami cardiologue lui demandant de m'expliquer pourquoi le cœur d'un homme dans le coma, avec un encéphalogramme plat, continuait de battre. Mais, me dit-il, le cœur est un organe autonome. Tant qu'on lui apporte de l'oxygène il continue de fonctionner. Pensez, ajouta-t-il, aux transplantations cardiaques. On prélève un cœur, on le met dans la glace et après un transport le plus rapide possible on peut le greffer dans un autre corps et il continue son travail.
Tout cela est émerveillant et un peu inquiétant.
Il n'est pas étonnant que des écrivains aient ensemencé la littérature avec des projections fantastiques sur des temps à venir que notre génération ne connaîtra pas...
Et comme l'écrit Hubert Reeves, si l'être humain venait à disparaitre, ce ne serait pas la fin de l'univers. L'univers continuerait à se métamorphoser.
Parfois la science-fiction est apaisante car elle nous fait voyager dans une accélération du temps juste par la lecture. Un peu de distance avec ce qui se passe d'affolant dans le monde...
Par ailleurs, grâce à l'ouverture d'esprit de Soleil vert, les livres qu'il retient alternent des écritures littéraires venues aussi du passé ou du présent.
Indispensable, encore, Paul Edel apporte sur son blog son univers si particulier fait de livres aimés, de créations qui ressemblent tant aux romans qu'il a écrits. Il donne envie de relire ou de découvrir.
Pierre Assouline est un homme à part. Il n'est pas que le maître de la RdL... Sa part secrète va bien au-delà. Elle s'entrouvre dans ses livres....

Christiane a dit…

Je relis l'étonnant billet de Paul Edel sur le roman de Lowry "Au-dessous du volcan". Certaines remarques sont vraiment intéressantes.
Ainsi, celles concernant ce qui "nous éloigne de nos habitudes de lecteur d’un univers «rectiligne » et "nous introduit dans un univers que les peintres et dessinateurs appellent la perspective curviligne".
Il ajoute : "Lowry offre un espace courbe ; il fait appel à une vision des objectifs grand-angle utilisés sur les appareils de prise de vues. Il tord les perspectives comme sous l’effet d’un miroir concave. Ce miroir concave nous introduit dans l’espace mental du Consul dans sa marche titubante d’alcoolique."
Belle trouvaille qui éclaire les impressions de vertige du lecteur.


Christiane a dit…

MC,
Dans le film de Ridley Scott, une scène très belle m'est restée en memoire.
Deckart de démène, court, saute, se bat, jusqu'au être acculé sur le toit, par Roy Batty, magistralement interprété par Rutger Hauer. Ce
dernier ne tue pas Deckart et juste avant de mourir en se lovant sous la pluie il prononce ces mots :
“I've seen things you people wouldn't believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser gate. All those moments will be lost in time, like tears in rain. Time to die.»
On ne sait pourquoi il ne le tue pas....

Christiane a dit…
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Anonyme a dit…

@ Heureusement que dans La cabane de moine où nous dialoguons encore, il n'y a plus que vous et moi !

Oui il n'y a que..., et ce, d'une manière plus générale. C'est un peu dommage pour le blog de SV, bien sûr. Mais enfin, c'est déjà pas mal, 50 interventions à chaque billet. Et moij, ne sais point trop quoi rajouter pour alimenter la cultivation, n'étant pas assez branché sur les ouvrages savamment répertoriés. Bàv, jjj.

Christiane a dit…
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Anonyme a dit…

C'est sans doute que les fous de littératures (y compris de SF) ne sont pas si largement "cultivés" que vous deux. Ni n'aimeraient faire part de leurs propres goûts à la suite d'une recommandation de Soleil Vert. Alors qu'ils seraient fort susceptibles de se répandre ailleurs, sur un blog dédié mais moins décourageant, qui sait...
Lequel de SV, nonobstant, poursuit sa route dans une démarche obstinée, un brin mystérieuse mais tout à fait respectable. Voilà pourquoi on n'a pas envie de rater chacun de ses billets. Nous lui sommes reconnaissants, je crois. JJJ

Christiane a dit…

Oui, JJJ, infiniment reconnaissant envers Soleil vert.

Anonyme a dit…

Ah, cette cabane ! Je viens de vous y répondre! C’est l’addenda qui permet de nous contenir! Bien à vous., a JJJ, a Soleil Vert. MC

Anonyme a dit…

Idem!

Soleil vert a dit…

Vous allez me faire rougir.
Prochaine étape en Terre de feu.

Christiane a dit…

En Terre de feu... Voilà de quoi rougir !

Christiane a dit…

Moi, non plus, MC, je n’aime pas les romans dont l’exégèse sature l'imaginaire du lecteur .
Je préfère cette dissolution des habitudes de lecture offertes par les notes de Paul Edel.
Ici deux perspectives distinctes, l'une pour le réel, l'autre pour l'imaginaire. Et les deux coïncident. Comme dans "Le réel et son double", cet essai de Clément Rosset que Wildwanger/Mauvaise langue aimait tant.
Le langage est si souvent aléatoire. Edel creuse et trouve. Le contenu exprimé diffère du langage qui l'exprime. Faculté étonnante de donner une visibilité à ce qui est invisible, en désintégrant les coordonnées de l'espace visuel. Mais sa parole n'est pas envahissante, ni intrusive. Elle éveille et laisse l'âme du lecteur s'épanouir.

Anonyme a dit…

Avec feu Antoine de Tounens, ou Jules Verne? MC

Christiane a dit…

Curieux ! Le temps viendra, il suffit d'attendre....

Christiane a dit…

J'ai terminé "Le sarcophage". Le titre ne s'éclaire qu'à la fin de la nouvelle. (fin, du reste, invraisemblable...)
J'ai beaucoup aimé cet univers de glace, de feu de glace, de miroitements comme la présence évanescente de cette forme mystérieuse qui semble le suivre ou le précéder.
Donc, le problème de ce survivant c'est la chaleur... et les vivres. Il est mal tombé !
Sarcophage... Faut-il mourir pour avoir chaud ? Les morts offrent-ils leur enveloppe aux vivants frigorifiés ? D'enveloppe en enveloppe, c'est une migration sans avenir. Un exode...Perdus au milieu des étoiles dans la froidure d'un monde sans soleil... Se déplaçant sans mouvements...
Ces nouvelles sont différentes mais un postulat les réunit, cette migration de la pensée humaine vers des enveloppes qui se succèdent et l'absence de ce qui est nommé comme un souvenir de bonheur : la Terre d'autrefois avec ses bêtes, ses êtres humains, ses paysages bucoliques avant le désastre...

Christiane a dit…

C'est quand même un recueil profondément pessimiste. Ray Nayler ne veut pas tout à fait que l'homme n'existe plus après ces dévastations sur la Terre où guerres et carnages se sont succédés. Massacres après massacres, la barbarie a fait de la Terre un grand cimetière.
On ne sait trop comment, des siècles plus tard, des androïdes nomades errent de planète en planète portant en eux comme un fantôme humain. Mais ces êtres flous ne semblent avoir aucun but, pas vraiment envie de vivre, juste de survivre. Les planètes deviennent des escales risquées.
Il me semble que la SF a bien sonné l'alarme prédisant des siècles à venir pas très réjouissants mais quelque chose manque comme un souffle de vie. Le cœur des hommes ne bat plus....

Anonyme a dit…

Vous savez, la dernière nouvelle de Jules Verne, en fait de son fils Michel, est d’un pessimisme assez ahurissant, qui vous plairait, d’ailleurs… Je vais essayer de rejoindre ce soir la cabane. Bien à vous, MC

Anonyme a dit…

PS. Soleil Vert, je crois que nous ne devons pas parler du même ouvrage de Naulleau, J’évoquais C’est la Faute à Rousseau, et n’y est pas vu de vers de Rimbaud. Bien à vous. MC

Christiane a dit…
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Christiane a dit…

Mais quand même, nous n'avons pas fait tout ça pour rien. Il y a forcément quelque part dans le temps un mûrissement de l'humanité vers plus de sagesse.
Il faut trouver le passage...

René Char écrit dans le recueil "Feuillets d'Hypnos" (fragment 12) :
"Ce qui m'a mis au monde et qui m'en chassera n'intervient qu'aux heures où je suis trop faible pour lui résister. Vieille personne quand je suis né. Jeune inconnue quand je mourrai.
La seule et même Passante. "

Anonyme a dit…

Vous trouvez ça bon? MC

Christiane a dit…

Mais enfin, MC, nous ne sommes pas ici dans une évaluation des qualités poétiques du texte de Char mais dans l'image inouïe qui est offerte. Relisez attentivement.
Vous avez là entre la naissance et la mort, la très vieille histoire de l'humanité et cette incroyable découverte que tout n'est pas dit, pas fini , qu'il faut aborder l'avenir avec les yeux de l'éveil. Un peu ce que ce cher Hubert Reeves pressentait quand il pensait à ce siècle de guerres, de violences et de mort. Tout n'est pas fini ..
Au passage la toute puissance d'un responsable de cette vie donnée sans assentiment et rejetée quand il l'aura décidé et cette faiblesse qui seule est ouverture à cette injustice. Ça me rappelle la vision de Dieu de Ducasse - Lautréamont. Cette injustice.
Vous n'aimez pas R.Char. vous l'avez déjà dit. Mais même si vous ne l'aimez pas vous devriez relire ces Feuillets dHypnos.
Je vous laisse avec Lautréamont, je vais relire René Char dans ces feuillets dHypnos. Bonne journée.

Christiane a dit…

Ce texte de Char c'est le temps de la métamorphose. Se délier de la mort pour entrer dans un retournement, dans un passage, une possibilité de vie. L'incarnation dans un corps féminin nous ouvre à la Pietà. La Dormition... Une femme entre deux mondes.
Promesses de l'invisible. Gravité silencieuse des mondes inconnus encore inexplorés.
Le "Rosebud" sauvé du feu...
Une filiation imagée par ces lignes de René Char. Textes écrits pendant la Résistance où lui et ses compagnons devaient affronter la mort.

Christiane a dit…

Ce n'est pas un livre de poèmes mais des notes griffonnées au jour le jour en temps de guerre dans le maquis sur un petit carnet.
Certaines évoquent notre temps...
Ainsi, puisqu'elles sont numérotées mais non-datées, celle-ci (127) :
"Viendra le temps où les nations sur la marelle de l'univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d'un même corps, solidaires en son économie.
Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l'existence d'un mince ruisselet de rêve et d'évasion ? L'homme, d'un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs..."

Christiane a dit…

C'est la lecture que l'on en fait qui est importante. Peut-être ai-je inventé ce qui suit. Peu importe. J'avance dans mes pensées.
Bien en confiance. Christiane