lundi 4 septembre 2023

Le Monde Englouti/Sécheresse

J. G. Ballard - Le Monde Englouti/Sécheresse - Denoël Lunes d’encre

 

  

Rédigée jadis en avril 2008 pour un site défunt , je réédite cette chronique telle quelle, avec ses insuffisances et ses rêveries picturales.

 



 

Gilles Dumay réédite en un volume deux romans de JG BALLARD, Le Monde Englouti et Sécheresse, initialement parus dans la collection « Présence du futur ». Ils bénéficient d’une nouvelle traduction due à Michel Pagel. Rédigés au début des années 60, ces volumes constituent avec La Forêt de Cristal et Le vent de nulle part un cycle des apocalypses qui a pour cadre les quatre éléments.


APOCALYPSES

Le lecteur néophyte des œuvres de l’écrivain anglais et qui a en mémoire le film The Day after sera nécessairement surpris par le traitement onirique et poétique de cette thématique.
En effet, BALLARD rompt les amarres avec les lois du genre : pas de Cassandre annonciatrice de la catastrophe, pas de scènes de déluges ou de glaciations, pas de terre promise à un petit nombre d’élus. Dans ces histoires de fin de monde, les personnages baignent dans une stase temporelle, indifférents à l’impératif de survie. Ils ne s’opposent pas à leur nouvel environnement, ils s’y installent. Leurs motivations nous semblent incompréhensibles. Cette rupture est d’autant plus remarquable qu’elle correspond au début de la carrière littéraire de l’auteur de Empire du soleil. Difficile de trouver un point d’inflexion initial dans cette bibliographie, un « avant » et un « après » comparativement à l’oeuvre d’un SILVERBERG par exemple. BALLARD innove et continuera d’innover par la suite avec La trilogie de béton.

 

RETOUR AU TRIAS

Le Monde Englouti est des deux romans le plus accessible. On y trouve une jungle aquatique située dans un Londres noyé sous les eaux, il y fait rarement moins de 37 degrés (page 26) et une certaine Béatrice Dahl se bronze sur les terrasses émergées du Ritz. Plus sérieusement, dans un proche avenir, une série continue d’éruptions solaires affaiblit la ceinture de Van Allen et provoque une élévation de température puis une fonte des glaces ayant pour corollaire une montée gigantesque du niveau des mers. Dans les lagunes et lacs nouvellement formés au dessus de Londres se sont amarrées une station scientifique et une base militaire.


Trois personnages principaux s’y côtoient : le colonel Riggs, élément rationnel du récit qui tente de maintenir l’ordre antérieur, le biologiste et médecin Kerans puis Strangman pilleur d’épaves, personnage fou. Lorsque le militaire part vers des contrées plus hospitalières en raison de l’élévation continue des températures, Kerans, mu par d’obscures motivations décide de ne pas l’accompagner. C’est le début pour ce dernier d’une longue dérive mentale. Riggs, Kerans, Strangman, nous voici plongés dans un triptyque freudien : le surmoi, le conscient, le ça. Le départ de Riggs coïncide d’ailleurs avec l’arrivée de Strangman et l’affaiblissement moral du biologiste.


Les éléments internes de l’intrigue, à savoir l’évolution psychique de Kerans, prennent progressivement le pas sur les éléments externes, le décor triassique devient l’image d’un paradis amniotique, une forme de conscience biologique se substitue à la conscience morale.
Tout ceci est magnifié par l’écriture de BALLARD tout en ors et en verts. L’affrontement final entre Kerans et Strangman (qui détient la vérité de la jungle ?) est digne d’un Apocalypse Now.


SÉCHERESSE, UNE INTRIGUE PLUS TÉNUE

 
L’activité industrielle humaine a eu pour conséquence de recouvrir la surface des océans d’une pellicule grasse qui contrarie l’évaporation de l’eau et la formation de pluie. L’Europe se transforme progressivement en désert. Près du village de Hamilton, le docteur Ransom attend tranquillement la fin du monde dans sa péniche, péniche qui bientôt ne lui sera plus d’aucune utilité puisqu’ aussi bien le fleuve que le lac sont en cours d’assèchement. Les réserves d’eau baissant il se rend à Hamilton puis dans la ville de Mount Royal. C’est le début d’une errance en compagnie d’un jeune homme Philip Jordan et d’une zoologiste, qui aboutit sur une plage.


Peu de péripéties dans ce roman, si ce n’est la description de personnages pittoresques comme le révérend Johnston qui tente d’enrayer la fuite des habitants de Hamilton ou de Jonas, pêcheur illuminé, à la recherche d’un nouveau fleuve. Le roman, un petit plus long que le précédent, est découpé en de courts chapitres qui ont pour effet de briser la continuité narrative en de multiples instantanés et suggèrent un univers pictural.


LES MONTRES MOLLES DE DALI

Cette toile de peinture n’est pas la seule citée dans Le Monde Englouti et Sécheresse. Mais elle illustre bien les deux thèmes qui sous-tendent la narration : une réflexion sur le Temps, une démarche picturale.

Les montres molles - Dali


Le Monde Englouti décrit une involution. La faune, la flore ressuscitent la période géologique du Trias, une forme de conscience primitive envahit l’esprit des personnages. Ce thème sera repris par BALLARD dans plusieurs nouvelles dont celles présentes dans les recueils La plage ultime ou Mythes d’un futur proche.
Sécheresse met en scène une stase temporelle. Le fleuve asséché constitue la métaphore de l’arrêt de l’écoulement du temps. Les liens sociaux disparaissent, de petits groupes humains se forment autour des rares points d’eau. La plage où s’entassent les foules qui tentent de distiller l’eau de mer symbolise aussi la dernière frontière, celle qui nous sépare d’un très lointain passé amphibien.

The Eye of the Silence - Max Ernst

 

D’autre part les références picturales sont multiples : Dali, Delvaux, Max Ernst, Tanguy, autant de peintres recensés par Ballard. Ainsi The Eye of Silence de Max Ernst illustre bien une caractéristique commune aux deux romans : la fusion des personnages et de leur environnement. Jour de lenteur de Tanguy, cité dans Sécheresse évoque tout aussi bien le fond d’une mare luisante ou émergent poissons morts et objets divers qu’une dune de sable dans laquelle s’enlisent des êtres mystérieux. Les courts chapitres de Sécheresse sont comme autant de toiles imaginaires aux titres surréalistes : « Le cygne agonisant », « Le lion blanc » … Les lire équivaut à commenter une peinture.

Jour de lenteur - Tanguy

 

On attend avec impatience la réédition de La Forêt de Cristal [qui sera effective quelques mois après cette chronique], afin de compléter cette sublime trilogie, en espérant, qui sait un jour, la parution du Vent de nulle part.


51 commentaires:

Anonyme a dit…

« La Forêt « et le « Vent « ne sont plus disponibles? Gasp!

Anonyme a dit…

L’œuvre de Dali doit apparaître aussi dans les Sables Vermeils. MC

Christiane a dit…

Quelle beauté. Tout ce que j'aime :des toiles, une méditation poétique sur le temps, une dérive onirique.
J'ai lu votre chronique mise en lien à propos de l'Empire du soleil. Roman autobiographique inoubliable d'un enfant qui survit dans la guerre aux côtés des hommes. Il ne sera plus jamais un enfant...
Un auteur à savourer. Je vais voir ce que je trouve de lui.

Christiane a dit…

Chic, c'est trouvé !

Soleil vert a dit…

Anonyme a dit...
« La Forêt « et le « Vent « ne sont plus disponibles? Gasp!

Tout est disponible en Folio SF. Par contre pour Le vent de nulle part j'ai un doute.

Je possède une version épuisée de Vermillion Sands chez Tristram (couv couleur sable) contenant 10 textes. Désormais est disponible et autorisée une version à 9 textes chez Tristram (couv rouge)

Christiane a dit…

"Dali, Delvaux, Max Ernst, Tanguy, autant de peintres recensés par Ballard"
Je me réjouis de les rencontrer bientôt.

Anonyme a dit…

Pour les Sables Vermeils, Marabout et poche ( Ancien). Est-ce lui dont l’ adoption fâcheuse du Vermillon Sands est reprise dans les douze textes nommés ? Il me semble qu’on y trouve aussi une Aurora Day que le traducteur de Marabout avait élucidée en Aurore Lejour…Cela veut-il dire que le boulot est salope en poche et correct en marabout? C’est bien possible. Je ne puis que chaudement recommander le recueil Billennium, dont l’ édition française n’a pas l’équivalent belge! MC PS la ligne Hugo est-elle coupée chez Christiane ? Deux jours pour répondre, et des réponses qui atterrissent on ne sait où….

Soleil vert a dit…

MC : Vermilion Sands, le titre anglais a été conservé dans les trads françaises.
Pas d'édition Marabout.
En Nébula 8 textes, chez Tristram, 9 puis 10.

Christiane a dit…

Mais non, MC. Tout en bas des commentaires il faut appuyer sur suite pour voir la suite (smartphone) car les 200 commentaires ont été dépassés. C'est comme sur la RdL, une autre page s'ouvre sauf qu'il faut la chercher en bas de la page !

Christiane a dit…

Est indiqué : "chargez la suite." On a alors accès à la suite des commentaires. Je vous ai répondu.
Nous en faisons voir de toutes les couleurs à Soleil vert avec nos discussions sans fin !!!

Christiane a dit…

Et sur l'écran d'ordinateur c'est en haut des commentaires : "messages les plus récents" et une possibilité de retour arrière : "messages les plus anciens". Tout est parfait. Il faut juste bien observer l'écran.

Christiane a dit…

Je laisse Suttree sur sa barge avec des poissons chats et ses carpes. Magnifique création de Cormac McCarthy où mot à mot on suit l'invention du personnage. Odeurs de l'eau noire, des bois poussiéreux de la cabane, pierres du chemin et boue, chat affamé qui lui vole un poisson... Bref, magnifique ! pour ouvrir un des deux livres reçus. Vais-je choisir Le monde englouti ou Sécheresse ?
Vu la chaleur torride , plutôt l'univers d'eau de Ballard..

Christiane a dit…

Ouh là là, qu'elle fournaise dans ce monde englouti. Alors là ,sur les pas de Kerans, je découvre un drôle d'univers et ce n'est pas la joie !
Malgré cette boule de feu et ces tempêtes thermiques qui enflamment la lagune, il trouve le temps d'écrire ! Il ne sait ce qui était là avant, longtemps avant.
C'est donc un biologiste et qui ne manque pas de bestioles à observer.
Bon, allons voir les nouvelles que lui apporte le colonel Riggs...

Christiane a dit…

Curieusement, les romans SF que vous choisissez sont proches du théâtre d'Audiberti dont Paul Edel évoque l'importance sur son blog.
Le Mal est humain, d'origine humaine. Les êtres humains sont tellement décevants, se jouent tant les uns des autres, que pour combattre le Mal , il reste à entrer dans la Mal comme cette jeune femme dans "Le mal court".
Les guerres, toutes d'origine humaine, dévastent tout y compris l'espérance.
De là à imaginer une civilisation post-humaine... soit, post-apocalyptique avec des survivants humains, soit, livrée à des robots, il n'y a qu'un pas.
Ce roman que j'ai commencé hier ("Le monde englouti") n'est guère plus réjouissant que celui que j'ai laissé en attente ("Suttree").
Chez Audiberti un immense éclat de rire, presque La Comedia del arte, un rire jaune, baroque.
Chez Cormac McCarthy et Ballard une gravité que seule une certaine poesie allége.
Je commence à comprendre pourquoi vous naviguez entre des registres de la littérature qui ne se rencontrent que rarement.
Ajoutez une pincée de MC et l'ambiance ici est bonne pour en revenir, via la littérature et la poésie à une grave méditation sur l'être humain.

Anonyme a dit…

J’avais écrit que ces romans sur la fin du monde étaient rarement gais…

Christiane a dit…

Je sais, Soleil vert. Et c'est exact. Comment en serait-il autrement ? Audiberti, justement, faisant le même constat de manque de fiabilité de l'être humain et du Mal qui ... court en tire une création folle, pleine de métamorphoses, de renvois d'indélicatesses, de chausse-trappes... mais souvent sur le ton de la comédie.
Avec ces derniers romans que vous avez lus et que vous analysez avec finesse on entre dans un cauchemar où la lucidité d'un seul sert souvent e levier pour soulever un univers en décomposition.
Pour Suttree par exemple l'œil au ras des choses regardées donne un grand plaisir de lecture. Pour ce premier roman de Ballard c'est l'onirisme porté par des animaux fantastiques, un temps dont le futur est connu, un dérèglement climatique qui transforme la planète en cité lacrustr.
Mais le rire d'Audiberti bondit, espiègle, sur une grande détresse et les créations de Cormac McCarthy et Ballard nous installent dans un monde que l'on sait de fiction.
Toute liberté est laissée au lecteur - ou au spectateur - de garder sa sérénité et d'admirer la création ou de s'inquiéter de leur côté prophétique.

Christiane a dit…

Après avoir lu - et vu - "L'Empire du soleil", j'ai lu les mémoires que James Graham Ballard écrivit quand il se sut condamné par la maladie. Un très beau livre, loin de la science-fiction "La vie est rien d'autre". (Paru après sa mort).
Il y examine les convulsions de son pays après la guerre.
Ainsi page 144 (Poche - folio), il écrit : "Bref, les Anglais avaient-ils payé un prix terrible les illusions dont ils se berçaient et qui étayaient pratiquement toute leur vie ? La question jaillit littéralement des rues décrépies et des zones dévastées par les bombes, la première fois que je posais les yeux sur l'Angleterre, avant de jouer un rôle important dans les problèmes que me posa mon installation. Elle se nourrissait de mon identité troublée, elle me poussait à me considérer comme un éternel étranger, un non-conformiste. Sans doute me poussa-t-elle aussi à devenir un écrivain voué à prédire et, si possible, à provoquer le changement. Le changement, voilà ce dont l'Angleterre avait besoin, je le sentais ; je le sens toujours."

Christiane a dit…

Et page 185 :
"Comme j'avais énormément de temps libre, j'écrivais quelques textes et m'efforçais de trouver assez de lecture pour éviter de m'ennuyer. Les journaux régionaux ne donnaient aucune nouvelle internationale et ne parlaient que de matchs de curling ou de hockey sur glace. Moose Jaw se réduisant alors à une petite ville du bout du monde - deux stations-service et une gare routière - , il était difficile de s'y procurer des magazines comme le Time qui passaient pour outrageusement intellectuels. (...) La plupart des livres de poche en vente à la gare routière étaient des policiers ou des thrillers populaires, mais un genre bien particulier occupait une bonne partie des étagères : la science-fiction, qui bénéficiait alors de son formidable essor d'après-guerre.
Jusque-là, j'en avais très peu lu, à part les bandes dessinées de mon enfance consacrées à Buck Rodgers et à Flash Gordon. J'allais découvrir plus tard que la majorité des écrivains professionnels de S.F., britanniques ou américains, se composait de grands amateurs du genre et s'y intéressaient depuis le début de l'adolescence ; d'ailleurs, nombre d'entre eux avaient commencé leur carrière en soumettant leurs textes à des fanzines et en se rendant aux conventions de S.F., je fus l'un des très rares à venir à la science-fiction à un âge relativement avancé."

Christiane a dit…

Suite

"Les nouvelles qu'ils publiaient se déroulaient en général dans des vaisseaux spatiaux ou sur des planètes étrangères, perdus dans un avenir extrêmement lointain. Ces contes planétaires, où la plupart des personnages portaient l'uniforme, ne tardèrent pas à m'ennuyer. Ils décrivaient en bons précurseurs de "Star Trek" un empire américain colonisant l'univers (...).
D'autres magazines, comme "Galaxy et Fantasy et Science-Fiction", proposaient des nouvelles, prenant pour cadre le présent ou le futur proche, extrapolations littéraires des tendances sociales et politiques déjà évidentes dans les années de l'après guerre. (...)
Je me jetai sur ces magazines et entrepris de les dévorer. Ils me firent découvrir une forme de fiction traitant en réalité du présent, souvent aussi elliptique et aussi ambiguë que du Kafka."

Christiane a dit…

Suite
"Mary me prêta sa machine à écrire, et je passais les quelques semaines suivantes à dactylographier toutes les nouvelles écrites en regagnant l'Angleterre. Elle les lut avec attention et en fut visiblement impressionnée : découvrir qu'il s'agissait de science-fiction ne la rebuta pas le moins du monde, alors que le genre lui était jusque-là totalement inconnu. Elle m'encouragea avec insistance à persévérer, même si la plupart de ses amis estimaient que la S.F. passait les bornes. Mary, elle, sentait que cette littérature apparemment modeste recelait quelque chose d'original, de neuf (...)".

Christiane a dit…

Suite page 212.

"En 1963, " Le monde englouti" remporta un succès tel, que poussé par Mary, je quittais mon travail au Chemistty et Industry pour devenir écrivain à plein temps. C'était un pari dangereux, malgré les nombreuses rééditions du roman (...) Le Monde englouti fut acheté dans le monde entier, mais les rentrées d'argent restèrent modestes.
Victor Gollancz, le patriarche de l'édition anglaise, me versa une avance de cent livres, tout juste de quoi permettre à une famille de vivre un mois. (...)
"Intéressant, votre Monde englouti. Ça sort tout droit de chez Conrad, évidemment."

Christiane a dit…

Le chapitre 17 évoque la mort de Mary et tout ce qui changea alors dans sa vie et dans son écriture.

Christiane a dit…

Ses enfants l'aideront à vivre, à reprendre goût à la vie. (Quelques pages magnifiques).

Christiane a dit…

En 1986, deux ans après la publication d'"Empire du Soleil", la Warner Brothers acheta les droits du roman puis demanda à Steven Spielberg de se charger de sa production. Il envisagea d'abord de confier la réalisation du film à David Lean, lequel refusa, se sentant incapable de gérer le personnage du héros. Peut-être Jim était-il trop agressif, trop tourmenté pour lui, qui aimait les très jeunes acteurs maniérés, voire un peu efféminés. Quoi qu'il en soit, Spielberg, lui, avait un talent unique pour tirer des comédiens enfantins des performances magnifiques . Il décida donc de produire le film, mais aussi de le réaliser en personne.
La majeure partie du tournage de déroula à Shanghai et près de Jerez, en Espagne, où on recréa le camp de Lunghua. Toutefois, quelques scènes furent mises en boîte à Londres et aux alentours. La maison d'Amherst Avenue (...) où Spielberg m'invita à faire de la figuration dans la fête costumée qui ouvre le film. J'y apparais en John Bull, avec manteau écarlate et chapeau haut de forme. Je fis la connaissance du réalisateur sur le plateau, et sa prévenance, son respect pour mon texte me frappèrent immédiatement. Il prenait à bras-le-corps des scènes difficiles, qu'il aurait pu écarter sans problème, telle la "résurrection" par Jim du jeune pilote kamikase qui se fond brièvement à son moi plus jeune, image puissante exprimant l'essence même du roman.(...)
Il me confia qu'il "voyait" "Empire du Soleil" dans la scène où les Mustang attaquent l'aérodrome de Lunghua : un des chasseurs de déplace alors au ralenti dans les yeux de Jim, qui le regarde."

Bref, ce livre est un trésor dont vous m'avez redonnez le goût , Soleil vert.

Anonyme a dit…

Mais Ballard n’était-il que cela? On craint que non….

Christiane a dit…

C'est-à-dire ?

Christiane a dit…

Il me semble qu'un homme qui se penche sur sa vie au seuil de la mort mène une entreprise courageuse et respectable. Il est bon de savoir comment cette écriture de science-fiction est née et les difficultés qu'il a affrontées. J'ai choisi quelques extraits qui me touchent dans un livre de 300 pages. J'avoue préférer ce livre de réflexion et de mémoire autobiographique au roman assez étouffant et glauque.
Mais à chacun ses préférences.
Par ailleurs, ce qu'en dit Soleil vert dans son billet me paraît assez loin de ce que je trouve dans ce roman. Billet très romantique. Le livre l'est beaucoup moins....

Soleil vert a dit…

Merci de signer les commentaires.

Christiane a dit…

Oui, c'est une bonne idée !


J'avance dans "Le monde englouti". En pleine canicule ce n'est pas un roman rafraîchissant. Je le trouve terrifiant et cette harmonie de verts et ors que vous y trouvez , Soleil vert, est pour moi abîmée par la vase qui recouvre tout et "cette végétation miasmatique qui envahit" la lagune. La terre est devenue inhabitable, chauffée à blanc par le soleil.... Des"formes botaniques monstrueuses" apparaissent. Certaines mers sont changées en désert et dans le même temps, la glace des pôles
ayant fondu des grandes villes, des terres habitables ont été noyées par des vagues monstrueuses. On note "la prédominance croissante des reptiles et des amphibiens". (Pire que Jurassik Park car là, c'est toute la planète qui est devenue la proie de ces animaux préhistoriques et dangereux). La ville où vit ce narrateur, Kerans, est "envahie par la jungle", des épaves rouillées, des carcasses d'animaux provoquant une grande puanteur.
Ce roman me fascine et me terrifié, comme un cauchemar.
C'est pour cela que je me suis replongée dans l'histoire de sa vie qui ramène cette fiction au stade d'une création, celle de James Graham Ballard.
Une vie difficile et passionnante.

Christiane a dit…

A vrai dire le narrateur n'est pas Kerans, c'est celui qui mène le récit. Souvent je sens que c'est la vision de Kerans, que c'est lui l'âme de cette histoire effrayante. Si je devais choisir un guide dans cette débâcle c'est lui que je choisirai. Les autres personnages ne sont pas nets, prêts à pactiser avec le Mal sauf le vieux. Le seul personnage féminin est difficile à appréhender car il se confond avec la personnalité et l'apparence de Béatrice Dahl , cette actrice que nous connaissons et qui, apparaissant dans cette fiction , brouille sa trame temporelle.

Christiane a dit…

A propos d'Audiberti, j'apprécie votre lecture : "Comment dire ? Des délires rimés, l’esprit de Queneau. Boileau disait ‘La rime est une esclave et ne doit qu’obéir ». Chez Audiberti c’est l’inverse, la rime commande au sens. Dans les chansons c’est un signe de pauvreté, pour le poète un tremplin :
À l’épine où la guérilla
Suspend d’atroces amygdales,
et dans le commissariat
pleins de drus et chauves scandales, …"

Christiane a dit…

Quand j'écris : "La ville où vit Kerans", il faut imaginer ce qui reste d'une ville qui a été recouverte par les eaux boueuses. Quelques immeubles ont pu être habités par les survivants, enfin dans les étages supérieurs. Entre eux, la lagune verdâtre et fetide et la jungle "telle une immense lésion
purulente" et partout des présences maléfiques : insectes pullulants, serpents d'eau, reptiles géants, iguanes hurlant, lézards du trias, des colonies de chauves-souris, ... Le tout "sous un soleil spectral".

Bref, un endroit charmant !!!

Christiane a dit…

Il ne manquait plus que ceux-là dans ce jardin des délices à la Jérôme Bosch !
"Kerans contempla le vaste essaim de longues formes brunes qui nageaient avec vigueur à travers l'eau bouillonnante, leurs queues massives fouettant l'écume : de très loin les plus gros alligators qu'il eût jamais vus, nombre d'entre eux dépassant les huit mètres de long. Ils se bousculaient férocement dans l'eau pour de rassembler en une meute mouvante autour de l'hydroglisseur."

Je me demande si Kerans va réussir à traverser le roman, vivant ?

Christiane a dit…

Ah, vous aviez raison , Soleil vert ! l'art nous cueille à l'improviste dans ce roman-fournaise. Le chapitre 8, intitulé "L'homme au sourire blanc" est remarquable. Ce navire-dépôt regorgeant d'œuvres d'art volées, devenues inutiles, est sous la gouverne de l'escroc Strangman.
Faire appel à une toile de Delvaux pour le décrire est subtil.
"Il se rappela le tableau de Delvaux, ses squelettes en smoking. Strangman possédait un peu la désinvolture des squelettes et son visage crayeux était semblable à une tête de mort. Sans raison, le biologiste commença à éprouver une intense antipathie pour cet homme".
Il aurait pu choisir également Ensor qui ajoute des sourires carnassiers à son carnaval de silhouettes spectrales.

Peu à peu, le roman devient moins terrifiant. Et puis il est remarquablement écrit. Certainement un beau travail de Michel Pagel.
Vous me surprendrez toujours.

Christiane a dit…

Je commence aussi à comprendre la raison pour laquelle vous vous êtes risqué dans votre billet à une lecture psychanalytique.
Ainsi cet aparté qui nous éloigne de l'action du roman :
"De plus en plus, les rêves imprégnaient sa vie éveillée, son esprit conscient de vidait, se repliait sur lui-même. Le plan temporel unique où existaient le flibustier et des hommes lui paraissait transparent au point de ne posséder qu'une réalité négligeable."
Voilà que je prend goût au roman alors qu'à l'étage au-dessus s'inscrit la tentation : SUTTREE !

Christiane a dit…

prends

Christiane a dit…

Je viens de trouver l'origine de votre vision de la mer comme celle d'un liquide amniotique , page 133, lors de la plongée dans l'eau "nettoyée" , face au planétarium.
"Tandis que le soleil se levait sur l'eau, Kerans contempla les profondeurs vertes translucides, la chaude gelée amniotique à travers laquelle il nageait en rêve. Il se rappela qu'en dépit de la surabondance universelle de la mer, il ne s'y était pas baigné depuis dix ans, et récapitula mentalement les mouvements de la lente brasse qui le propulsait dans l'élément liquide lorsqu'il dormait."

Nous sommes loin de l'eau saumâtre, des affreux crocodiles, des carcasses pourries. Enfin, une eau transparente et calme et une belle lumière. Enfin un soupçon de paix profonde. C'est très très beau.
Vous auriez dû me souffler - "Patience", quand je projetais ici toute mon aversion pour l'univers cauchemardesque du roman.
Soudain la lenteur d'une
toile de Tanguy. Magnifique !
PS : j'attends un peu pour monter à l'étage vous rejoindre en Cormac McCarthy car je suis enfin entrée dans la beauté de ce roman.

Christiane a dit…

Cette descente solitaire dans la nuit profonde du planétarium, l'accident du scaphandre, le frôlement de la mort. Très très beau passage du roman. Quel talent ! Quelle imagination !
J'y reste encore un peu avant d'aller à l'étage du dessus.
J'en oublie la chaleur et le congélateur!
Mon ventilateur est un bon compagnon.

Christiane a dit…

Et cette explication saisissante ( comme dans Le grand Bleu) : "Parce qu'il "voulait" devenir partie intégrante du monde englouti."

Christiane a dit…

Vous écrivez : "Riggs, Kerans, Strangman, nous voici plongés dans un triptyque freudien : le surmoi, le conscient, le ça."

Qui aurait pu penser que je prendrais au sérieux cette élucubration ? Pas moi ! Et pourtant, encore une fois vous me bluffez : vous avez raison. Ça m'énerve... et me fait sourire Dr Freud !

Christiane a dit…

Et maintenant un extrait de ce magnifique poème de T.S. Eliot, "La Terre vaine / The Waste Land". (p. 155)
Le roman m'emporte dans un grand souffle de poésie... C'est magique. Je déteste ceux qui ne l'aiment pas ! (De toute façon il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis !)

Christiane a dit…

C'est un poème particulièrement bien choisi. La terre gaste de T.S.Eliot, c'est le poème de l'ambiguïté. Ni la mort, ni la vie. Un entre-deux de clair obscur. Un désespoir teinté d'espoir. On ne sait où ils vont. L'extrait choisi répond à une question de Kerans qui demande si cette fête est une fête d'adieu. La réponse de Strangman , c'est donc :
"D'ailleurs, où irons-nous ? Il ne reste plus grand chose, à présent - je vous assure que je me sens parfois dans la peau de Phlebas le Phénicien. Quoique ce soit en fait votre rôle, non ?
"Un courant sous-marin
Lui picorz les os en chuchotid. Tout en dansant,
Il remonta au long des jours vers sa jeunesse
Et piqua dans le tourbillon."
Une terre déchue comme un paradis perdu que Dieu pourrait inonder d'un amour imprévu. Un peu comme la nuit de la foi....

Anonyme a dit…

« Le rire d’ Audiberti bondit ». Pour avoir vu le Mal Court de mes propres deniers , avec Juliette Carré, j’ai eu du mal à rire, litote pour dire que tout tombait à plat. C’était soit à L’ Oeuvre , soit a l’ Atelier, et ce fut une soirée fort penible! MC

Christiane a dit…

Alors il faut lire le texte et imaginer les cascades qui se suivent. Il m'est arrivé aussi d'être déçue par une mise en scène, une interprétation, à l'Odéon par exemple....

Christiane a dit…

C'était à l'Odéon pour Oncle Vania. Galin Stoev avait choisi de situer la pièce de Tchekhov dans un avenir proche, dystopique... de la SF pour Tchekhov...
Je n'ai pas du tout accroché.

Christiane a dit…

Comme si la création, théâtrale devenait parfois une machine destinée à faire événement....

Christiane a dit…

On parle plus du décorateur et du metteur en scène que du texte et du dramaturge. Il faut de la surprise produite par le décor, les costumes, la mise en scène . Ces deux métiers deviennent les vedettes

Christiane a dit…

de la représentation

Christiane a dit…

Idem pour les vedettes de cinéma qui tiennent l'affiche de représentations théâtrales....

Christiane a dit…

Je n'apprécie pas trop le fait que leur utilisation, réduisent le texte, effacent souvent la structure de la pièce et le travail de groupe des acteurs au profit de l'apparition de la vedette attendue par la foule people.

Anonyme a dit…

Nietzsche a écrit de belles choses -tres critiques- sur l’ avènement du Metteur en Scène. Cf aussi plus récemment. Baussant: La Malscene!