"Mais à
peine avait-elle prononcé ces paroles, qu'elle aperçut le
chevalier, et, immobile de surprise, elle garda les yeux fixés sur le beau jeune homme.
Huldbrand ne pouvait se lasser de contempler cette gracieuse apparition, et
cherchait à graver en son âme les traits enchanteurs de la jeune fille,
pensant bien que seul l'étonnement d’Ondine lui permettait de la voir ainsi,
mais que bientôt, prise de timidité, elle se déroberait à sa vue. Il en arriva tout autrement. Car après avoir
longtemps regardé le jeune homme, elle s'avança familière, se mit à genoux
devant lui, et jouant avec une médaille d'or suspendue par une
chaîne au cou de Huldbrand, elle lui dit : -gracieux et beau seigneur, comment
donc es-tu enfin arrivé à notre pauvre chaumière ? T'a-t-il fallu errer de
longues années avant de nous trouver ? As-tu traversé la sauvage forêt, gentil
ami ? »
« Apprends, ami, qu’il existe dans le monde invisible qui enveloppe le
monde où tu évolues, des êtres vivants dont l’existence se manifeste rarement
aux hommes. Dans ces flammes se jouent les énigmatiques Salamandres ; des
Gnomes malicieux peuplent les profondeurs de la terre ; les Sylvains
habitent les forêts ; les Sylphes traversent sans cesse les airs ; et
dans les mers, les lacs, les torrents, les ruisseaux, vit le peuple innombrable
des Ondins. »
Ondine - Friedrich de La Motte-Fouqué
Le monde est Forêt. D’aucuns l’appellent Le Dômaine.
En son sein les hommes ont construit une ville qu’ils agrandissent incessamment
au prix d’une terrible lutte avec la nature. L’un d’entre eux, Le Voyageur, s’en
échappe malgré les rumeurs funestes colportées sur le monde d’au-delà des murailles. Il se
découvre alors un don mystérieux lui permettant de se « téléporter »
d’arbre en arbre et de parcourir ainsi des distances considérables. Dans sa fuite, il rencontre Sylve, une jeune
fille appartenant au peuple des Ondins. Ceux-ci sont les descendants d’une
communauté Les Tuatha dé Dana, des insulaires, qui abordant jadis les rivages
d’Erenn furent progressivement repoussés dans la Forêt par les hommes. Les deux
jeunes gens tombent immédiatement amoureux l’un de l’autre et Le Voyageur s’installe
dans le village de Sylve, Sraidhbaile. Les Ondins y vivent une existence
paisible en harmonie avec la Nature. Ce
qui ne signifie pas qu’ils n’ont pas d’ennemis.
Un poème de Pierre-Jean Jouve, un des poètes français
les plus complexes du XXe siècle, en épigraphe d’un roman de fantasy, qui l’eut
cru ! Il côtoie Gaston Bachelard, le merveilleux Gérard de Nerval, Hugo,
Baudelaire, Rousseau et autres têtes couronnées. Au premier abord ce texte
présente les caractéristiques d’un syncrétisme entre mythologie irlandaise et
germanique. Va donc pour les connotations celtiques, mais les racines du récit,
hanté par les ombres de Julien Gracq (Le rivage des Syrtes, Un
balcon en forêt), Nerval (Sylvie - Sylve, une des filles du feu), la
pièce de théâtre Ondine de Jean Giraudoux qui vit éclore le talent d’Isabelle
Adjani, témoignent de l’ascendance d’un courant littéraire apparu à la fin du XVIIIe siécle nommé romantisme
allemand. Citons pèle mêle De La Motte-Fouqué, Les Elfes d’Edward
Tieck, Les contes des frères Grimm.
Le parcours de l’auteur, Gauthier
Guillemin, enseignant au Niger puis en
Guyane explique en partie cet engouement. Par instants il retrouve la fièvre
stylistique de ses glorieux ainés (mais tempérée de lucidité) : « Là,
l'esprit peut enfin, après la contemplation, s'élever, vagabonder à son aise en
croyant, à tort ou à raison, qu'il n'y a pas de barrières à ses spéculations, pas plus
qu'il n'y a de bornes à l'univers où il évolue. L'Homme,
tiré vers l'infini de la voûte céleste, dans un légitime sursaut d'orgueil, se
compare au tout dont il n'est qu'une partie. Parce que son esprit semble
pouvoir renfermer tout ce qu'il perçoit, il pose comme acquis sa pleine liberté
en croyant maîtriser la surface de la Terre. Il affirme mesurer la finitude du
monde à l'aune de son infinitude, et pour peu replongerait dans le confort des
croyances hermétiques, au temps béni où des érudits résolvaient tous les
problèmes par l'analogie. ». Peu à peu au fil de l’intrigue le roman retrouve
les éléments de langage d’une fantasy tolkienne. L’histoire, lente, semble le
préliminaire d'un ensemble plus vaste. Mais rappelons que les romantiques
allemands privilégiaient la forme courte, comme les contes.
Homme et femme contemplant la lune - C.D Friedrich |
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Et aussi https://fr.wikipedia.org/wiki/Romantisme_allemand#/media/Fichier:Caspar_David_Friedrich_-_Wanderer_above_the_sea_of_fog.jpg
12 commentaires:
j'ai beaucoup aimé ce roman,malgré certaines critiques négatives par ailleurs;cette atmosphère onirique et romantique ainsi que l'écriture
de l'auteur m'ont fait faire un beau voyage.
Et si les auteurs français étaient les véritables révélations de Albin Michel Imaginaire ?
Merci beaucoup pour cette lecture sous forme d'éclairage érudit. C'est agréable de voir un lecteur se promener dans une forêt de symboles, là où réside la véritable aventure. Vous avez raison, le folklore celtique est une parure ; les romantiques, mais surtout Nerval et ses copains sont aux racines du texte. Je n'ai toujours pas tranché : en resterais-je au conte, où vais-je céder à la tentation d'un ensemble plus vaste ?
J'avais oublié de rendre hommage au chroniqueur. c'est chose faite.
Pour un coup d'essai, ce roman est un coup de maitre chez Albin Michel
Imaginaire.
Une libraire.
> Gauthier Guillemin : merci pour cette ballade sylvestre … en attendant une suite ? J'ai une affection particulière pour Nerval; de tous les romantiques français c'était celui dont la sensibilité le rapprochait le plus des allemands. Connaissez vous "Les enfants de Septembre" de Patrice de la Tour du Pin (sur le net), c'est un peu dans la même veine.
> Elena : merci. Si vous avez des conseils de lecture, n'hésitez pas
Une suite (et fin) paraîtra en mai, plus aventureuse et moins nostalgique des époques passées. Enfin, peut-être deux volumes sur la Cité elle-même, c'est en gestation. Le poème de la Tour du Pin est magnifique et bien dans l'ambiance du roman, merci beaucoup. Vous trouverez le vierge, le vivace, et le bel aujourd'hui dans la suite de Rivages...
A bientôt alors !
Ah oui j'aime beaucoup ce que vous dites de Giraudoux influencé sans aucun doute par La Motte-Fouqué. Mais le texte que vous présentez ne manque pas non plus de qualités, dites donc! Cet imaginaire sublime dont Giraudoux finalement fait une critique à peine déguisée. Pour Nerval, je vous rejoins, bien évidemment. Nous sommes dans le même monde. Il faudra que je vous envoie ce que j'ai écrit au sujet de Nerval, cas limite; c'est un écrivain tellement émouvant, j'ai dû pour m'en défaire un peu, écrire à son sujet… Je ne vais pas à Senlis sans un serrement de cœur. En plus d'être un absolu germaniste, le poète des Chimères me remplit de bonheur. Merci pour ces tours et ces détours.
Heureux d'avoir de vos nouvelles !
Votre chronique est magnifique et j’espère que votre talent sera reconnu. En la lisant c'est un peu comme apercevoir le Mont St-Michel
de loin..c'est magique.
C'est très gentil de votre part, mais c'est le romancier qu'il faut féliciter. Pour paraphraser le grand philosophe Eric Cantona, je ne fais que ramasser des bouts de sardine dans le sillage du chalutier.
Pour réagir sur le Mont Saint-Michel, regardez le concert de Laurent Voulzy" Lys and love Tour" enregistré dans l'abbatiale, c'est un enchantement.
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