mercredi 16 juillet 2014

La Fille-flûte

Paolo Bacigalupi - La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés - Au diable Vauvert






Après le succès mondial de La fille automate, comment ne pas résister à la lecture de La Fille-flûte, recueil de nouvelles de Paolo Bacigalupi nouvellement publié par les éditions Au diable Vauvert ? L’auteur réutilise l’univers futuriste du roman, un monde dans lequel les hommes en proie à la pénurie d’énergie se transforment peu à peu en monstres.


Il convient de préciser que les dix textes de La Fille-flûte ont été rédigés antérieurement à La fille automate. Deux des nouvelles, « L’homme des calories » et « Le Yellow card » ont d’ailleurs servi de genèse au roman. Une pratique courante qui permet d’étendre le succès d’une fiction courte à un texte plus conséquent. Dans cet exercice les meilleurs écrivains, comme le regretté Lucius Shepard, parviennent à proposer au sein d’un même univers narratif des récits différents et de qualité équivalente (1). De fait « The Yellow card » reprend l’histoire du vieux chinois rescapé de Malacca, Hock Seng, alias Tranh dans la nouvelle, mais à une période antérieure à sa prise de fonction dans l’usine d’Anderson Lake. Tranh, jadis propriétaire de la manufacture « Les trois prospérités », a du fuir la Malaisie victime d’exactions nationalistes, au cours desquelles toute sa famille a péri. Sa lutte impitoyable pour la survie dans un Bangkok famélique, quelques scènes frappantes dont celle où il croit reconnaître les têtes décapitées de sa femme et de sa fille dans un tas de durians, font de ce récit le meilleur (avis personnel) du recueil. « L’homme des calories », autre texte fondateur, descend d’un cran dans la dramaturgie. L’action se déroule sur les bords du Mississipi dont les eaux transportent des barges remplies de denrées agricoles trafiquées génétiquement et détenues jalousement par « Les Seigneurs des moissons » (titre d’une vieille nouvelle de Keith Robert), c'est-à-dire les conglomérats agro-alimentaires, nouveaux maîtres des calories d’un monde sans pétrole. Une fiction faussement tranquille, très agréable à lire. Dans la même veine « Le chasseur de tamaris » se déroule sur les bords du fleuve Colorado. Lolo déracine pour le compte d’une multinationale californienne, les tamaris, arbres gros consommateurs d’eau. Celle-ci veut s’approprier le fleuve au détriment des cités locales. Une guerre de l’eau à peine extrapolée de la situation actuelle et qui du coup rend l’anticipation carrément faiblarde. Très humoristique, « La pompe six » décrit les efforts d’un technicien pour rétablir le fonctionnement d’une installation de traitement des eaux usées à New York, au milieu d’une population d’illettrés et de mutants dégénérés. Excellent.


Dans un registre très différent, « Peuple de sable et de poussière » et « Groupe d’intervention » renouent de façon plus traditionnelle avec une SF efficace et des chutes bien senties. Dans le premier cité, des soldats posthumains bouffeurs de silice tombent sur un chien en croyant poursuivre un envahisseur. Sur le thème du survivant, ambiance de jeu vidéo garantie et en passant un clin d’œil à Simak - et à Andrevon pour la noirceur du propos. Bref c’est bien vu. Le récit suivant décrit les états d’âme d’un chasseur chargé d’éliminer mères et rejetons au sein d’un monde peuplé d’immortels et menacé de fait de surpopulation. La fin est prévisible et on a l’impression d’avoir déjà lu ce type d’histoire dans des anthologies vénérables.


« Du dharma plein les poches » séduit en raison de la mise en place d’un univers prenant et d’une bonne trouvaille. Ce texte est un peu le pendant de « The Yellow card ». On suit avec intérêt les aventures du jeune Wang Jun, affamé et malin comme un singe, dans la ville de Chengdu. Mais pourquoi ne pas être allé au bout de l’idée et ne pas avoir imaginé une interaction entre le cube et l’enfant ? La fin en point d’interrogation frustre un peu le lecteur. Par contre le même procédé utilisé dans « La Fille-flûte » sonne juste. Ce texte original sur l’esclavage, situé bizarrement dans un univers moyenâgeux, mérite les suffrages.


« Le Pasho », décrit une rivalité entre deux cités, et plus subtilement l’affrontement entre deux formes de fanatisme. Manifestement Bacigalupi a bu ici dans la tasse de Robert Silverberg. Enfin laissons au jugement du lecteur l’expérimental « Plus doux encore ». Il y est question d’un psychopathe qui décide d’éteindre sa conscience, en même temps que la vie de sa femme. Chère Sara Doke, le titre du film de Truffaut, La peau douce, ne vous a pas tenté ?


D’inspirations diverses, les nouvelles de La Fille-flûte devraient satisfaire toutes sortes d’amateurs. La couverture très élégante ajoute au plaisir de lecture.








(1) Lire à ce propos les propos de K2R2 sur « Dead Money » nouvelle reprenant le contexte des Yeux électriques.

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