vendredi 16 mai 2025

Le baron perché

Italo Calvino - Le baron perché - Folio

 

 

 

Tout commence par un plat d’escargot que Cosimo Piovasco di Rondoa refuse d’avaler, un mois de juin 1767. Soumis à la double férule de son baron de père et d’une mère fille d’un général de l’armée de Marie-Thérèse d’Autriche, l’enfant quitte la table pour se réfugier dans les arbres de la propriété d’Ombrosa et au-delà de la Ligurie dont il ne redescendra plus de toute son existence. Il vient à bout de toutes les difficultés matérielles que suscite son étrange mode de vie, parvenant à se loger, à chasser, à se laver même, suspendu à une branche surplombant un torrent. Ayant troqué la verticalité contre l’horizontalité, il ne rompt cependant pas avec ses semblables, vivant des aventures trépidantes quoique perpendiculaires.

 

D’Italo Calvino il a été très brièvement question ici-même à propos du roman de China Miéville The City and the City et d’un éventuel cousinage avec Les villes invisibles de l’écrivain italien. Le baron perché est le second volume d’une trilogie romanesque comprenant Le Vicomte pourfendu et Le Chevalier inexistant. Il tient de la fable, du roman historique, du conte philosophique. Les aventures de l’extravagant Cosimo Piovasco di Rondoa s’inscrivent d’abord dans le Siècle des Lumières. Cosimo se constitue une bibliothèque, se tient au courant des débats de son temps. Sa réputation dépasse les frontières, au point d’épater Diderot et Voltaire : « si l’on veut bien regarder la terre, il faut se tenir à bonne distance ». Voilà qui renvoie à L’ile de Laputa, aux Lettres Persanes. Capitaine Némo des frondaisons qu’il parcourt inlassablement sans jamais toucher terre, le baron découvre un univers végétal qui fascine autant le lecteur de L’homme qui plantait des arbres de Giono que celui du Monde vert de Brian Aldiss :

 

« Les oliviers, en raison des torsions de leur croissance, sont à Cosimo des voies commodes et planes, des arbres patients et amis, qui permettent, jusqu'à leur écorce rugueuse, d'y passer comme de s’y arrêter, même si chaque arbre a peu de grosses branches et qu'il n'autorise pas une grande variété de mouvements. Sur un figuier, en revanche, si on fait attention à ce qu'ils supportent le poids, on n'en a jamais fini de circuler ; Cosimo se tient au-dessous du pavillon des feuilles, voit le soleil transparaître au milieu des nervures, les fruits verts gonfler peu à peu, il renifle le latex qui perle au col des pédoncules. Le figuier vous prend, il vous imprègne de son humeur caoutchouteuse, de ses bourdonnements de frelon ; au bout d'un moment Cosimo finissait par avoir l'impression de devenir figuier lui-même et, mal à l’aise, il décampait. Sur le dur sorbier, ou sur le mûrier, on est bien ; dommage qu'ils soient si rares. Et ainsi des noyers, et moi aussi, c'est dire, quand il m'arrivait de voir mon frère se perdre dans un vieux noyer interminable, comme dans un palais à plusieurs étages et aux chambres innombrables, l’envie me venait de l'imiter, de partir réinstaller là-haut ; telles sont la force et la certitude que cet arbre met à être arbre, l'obstination à être lourd et dur, qui s'exprime en lui jusque dans ses feuilles.

 

Cosimo restait volontiers parmi les feuilles ondulées des chênes (ou yeuses, comme je les ai appelés tant qu'il s'agissait du parc de notre demeure, peut-être sous l'influence du langage recherché de notre père) et il en aimait l'écorce crevassée, dont il ôtait les plaques du bout des doigts quand il était perdu dans ses pensées, non par goût instinctif de faire le mal, mais comme pour aider l'arbre dans son dur labeur de recons­truction. Ou bien il écaillait l'écorce blanche des platanes, découvrant des couches de vieil or moisi. Il aimait aussi les troncs bosselés comme celui de l'orme, qui, à chaque protubérance, offre de tendres rejets et des touffes de feuilles dentelées et des samares qui semblent de papier ; mais il est difficile de s'y déplacer, parce que les branche» remontent, minces et touffues, laissant peu de passage. Dans les bois, il préférait les hêtres et les chênes ; parce que sur le pin, les plateformes rapprochées, fragiles et toutes chargées d'aiguilles ne laissaient ni espace ni appui ; quant au châtai­gnier, entre sa feuille épineuse, ses bogues, son écorce et ses branches élevées, on dirait qu'il est fait pour vous tenir à distance.

 

En fait, ces amitiés et ces distinctions, Cosimo les reconnut avec le temps, au fur et à mesure, c’est-à-dire qu’ il reconnut progressivement qu'il les connaissait : mais dès ces premiers jours, elles commençaient à l'imprégner comme un instinct naturel. C'était le monde qui lui apparaissait désormais sous un jour neuf, fait de ponts étroits recourbés sur le vide, de nœuds ou d'écaillés ou de sillons qui rendent l'écorce plus rêche, de lumières dont le vert change selon le voilage de leurs feuilles plus fournies ou plus rares, tremblantes au premier ébranlement de l'air sur les pédoncules ou mues comme des voiles en même temps que l'arbre tout entier se courbe. Tandis que notre monde, lui, se tassait là-bas au fond, et que nos silhouettes étaient comme disproportion­nées, et, pour sûr, nous ne comprenions rien de ce que lui savait là-haut, lui qui passait ses nuits à écouter comment le bois bourre de ses cellules les cernes qui indiquent les années à l'intérieur des troncs, comment le tapis des mousses se dilate à la tramontane, comment en un frisson les oiseaux, endormis dans leur nid, blottissent leur tête à l'endroit où la plume de l'aile est plus douce, com­ment la chenille se lève et comment l'œuf de pie grièche éclot. II y a ce moment où le bruit de la campagne se reforme dans le creux de l'oreille en une poussière de bruits, un grésillement, un grincement, un glissement furtif dans l’herbe, un clapotement dans l'eau, le bruissement d'une patte entre la terre et les cailloux, ou les stridences des cigales, plus hautes que tout. Les bruits se dressent l'un l'autre, l'ouïe parvient toujours à en cerner de nouveaux, comme, sous les doigts qui cardent un flocon de laine, chaque mèche se révèle composée de fils toujours plus fins et impalpables. Pendant ce temps, les grenouilles continuent leur coassement qui reste dans le fond, et ne modifie pas le flux des sons, tout comme la lumière ne change pas en raison de la continuelle palpitation des étoiles. Mais à peine le vent s'élevait-il, à peine passait-il, que chaque bruit se transformait. Ne restait plus au creux de l'oreille que l'ombre d'un mugissement ou d'un murmure : c’était la mer. »

 

Le monde d’en bas vient à Cosimo, comme la rencontre imaginaire avec Napoléon, intrigué et admiratif de ce nouveau Diogène. Au final, on le respecte plus qu’on ne le moque. Son rang aristocratique, le savoir accumulé, l’étonnement devant ce mode vie jamais remis en question, en font une figure incontournable de la région. On le consulte, quelques femmes rêvent de le rejoindre dans les branches. Ce monde, il part aussi à se rencontre, traversant le pays tel un satellite d’observation. Autour de lui gravitent des personnages extravagants à l'image d'un oncle un peu fou, apiculteur et ingénieur hydraulique raté ou d’un Mandrin qui abandonne ses activités criminelles après lui avoir fait découvert la lecture, car converser avec Cosimo, c’est s’élever. Son histoire d’amour tendre avec Viola, fille d’un noble voisin semble sortir d’une chanson de Juliette Gréco : comment s’y prendre quand on est là-haut ?

 

Chef d’œuvre intemporel, Le baron perché évoque pêle-mêle Fénelon, Le baron de Munchhausen. Quant à l’auteur de ces lignes, il lui semble aussi avoir rejoint la maison des feuilles depuis si longtemps, sautant de livres en livres, comme pour à la fois fuir et adoucir la disparition du sol natal et de ses occupants.


83 commentaires:

Anonyme a dit…

Tiens, CP n'a pas encore fait de commentaire perchée sur ce nouveau billet de SV ? Etonnant, non... ?

J J-J a dit…

Quant à l’auteur de ces lignes, il lui semble aussi avoir rejoint la maison des feuilles depuis si longtemps, sautant de livres en livres, comme pour à la fois fuir et adoucir la disparition du sol natal et de ses occupants.

Sympathique remarque bio finale à ce nouveau papier... Pour ma part, j'avais toujours cru que LBP était le premier de la trilogie et non le deuxième... Peut -être parce que je les avais lus dans la foulée dans cet ordre : LBR, LCI, LVP... De bien beaux souvenirs... Votre art de les remettre en mémoire, et merci bien...

J J-J a dit…

SV - Auriez-vous fait par hasard une hardie allusion à Mark Danielewski à propos du baron perché à la verticale, en surplomb de sa canopée ? Bàv

Anonyme a dit…

SV - Auriez-vous fait par hasard une hardie allusion à Mark Danielewski à propos du baron perché à la verticale, en surplomb de sa canopée ?

Yès Sir. SV

Christiane a dit…

C'est une belle exploration de ce roman, Soleil vert.
Cet écrivain a créé un monde refuge loin des tracas des politiques guerrières des états. Son imaginaire est d'autant plus puissant que le réel est là, juste choisi, comme ici les arbres dont les extraits choisis pour le billet sont dignes d'un botaniste.
Son père était agronome, sa mère, botaniste, tous deux professeurs d'université, son frère géologue. Le jardin de la maison familiale à San Remo était empli de plantes rares.
Il a rejoint la Résistance dans les brigades de Garibaldi dans les bois que son père lui avait fait connaître pendant son enfance.
Est-ce que ce récit merveilleux est né pendant ces mois ?
Puis il y eut la maison d'édition Einaudi où il entra comme rédacteur .
C'est un écrivain mystérieux interprétant d'une façon fantastique la réalité quotidienne. Ces romans sont presque des fables .
Cette forêt, son refuge...
Si par une nuit d'hiver... Le baron perché... Les villes invisibles... Le Chevalier inexistant...
Il dit écrire pour apprendre quelque chose qu'il ne sait pas... L'autodérision et la poésie. L'amour du langage.

Christiane a dit…

Dans "Le château des destins croisés", Italo Calvino écrit que "l'homme qui écrit ressemble au Bateleur" ( celui des tarots), "un prestidigitateur, un illusionniste qui dispose sur son étalage de foire un certain nombre de figures et qui, les déplaçant, obtient un certain nombre d'effets."

Anonyme a dit…

Et Palomar qui voulait regarder les choses d'"en dehors"... plutôt qu'au dessus ou par dessous... Hein ? Vous en faites quoi de ce regard daltonien, Mister Palomar ?

Anonyme a dit…

avant dernier paragraphe amélioré. SV

Christiane a dit…

"Monsieur Palomar"... Son dernier livre je crois.
Un personnage vraiment proche du "baron perché".
Dans ses voyages, le premier "Le parterre de sable" (p.136) il découvre un jardin japonais au sable ratissé "en sillons droits parallèles ou en cercles concentriques, autour de cinq groupes irréguliers de cailloux". Le temple Ryoan -ji de Kyoto, (connu de l'auteur de ces lignes...)
Monsieur Palomar voudrait s'asseoir et observer les ondulations sur le sable, "laisser l'harmonie le pénétrer petit à petit", contempler ce jardin zen en silence...
Mais il y a la foule...
"Et entre humanité-sable et monde-rocher", il pressent une harmonie possible comme entre deux harmonies non homogènes ..."
Ainsi, ses personnages, dans un monde flottant, veulent le silence et la solitude pour contempler le monde.
Monsieur Palomar porte le nom d'un observatoire spatial californien tourné vers le silence infini des étoiles.
Monsieur Palomar se demande"comment faire pour regarder quelque chose en laissant son moi de côté ?"
Il cherche.
"Par là, il y a le monde ; et par ici ? Encore le monde : que voulez-vous qu'il y ait d'autre ? son activité principale sera de regarder les choses du dehors.
Qui est-il ? "en contemplant les astres, il s'est habitué à se considérer comme un point anonyme et incorporel, presque à oublier qu'il existe.
Peut-être que le moi n'est rien d'autre que la fenêtre à travers laquelle le monde regarde le monde. Pour se regarder lui-même, le monde a besoin des yeux de monsieur Palomar."
Va savoir ?
"Son monde intérieur lui apparaîtra -t-il comme la calme et immense rotation d'une spirale lumineuse ? Verra-t-il naviguer en silence étoiles et planètes ? (...) Il ouvre les yeux : ce qui se montre à son regard, il a l'impression de l'avoir déjà vu tous les jours : des rues noires de gens pressés qui se fraient un passage à coups de coudes (...) Au fond, le ciel étoilé, grinçant, avant-poste d'un univers branlant, cagneux, sans répit comme lui."
Voilà.
Cosimo, Palomar, Soleil vert, même méditation, "si le temps doit finir, on peut le décrire instant par instant", livre par livre, rêve par rêve...
.

Christiane a dit…

C'était bien de rappeler "monsieur Palomar" mais je ne le classe pas avec les autres livres d'Italo Calvino. C'est une suite de textes très courts, souvent cocasses absurdes, représentant cet homme qui n'en finit pas de s'interroger sur ce qu'il voit, qu'il observe avec une sorte d'obsession. Il est perdu entre l'extérieur de lui, le monde, et l'intérieur de lui. Une sorte d'osmose recherchée entre le dedans et le dehors, le plonge dans un questionnement vertigineux. On le voit en échec dans des situations n'ayant aucun rapport les unes avec les autres : plage, boucherie, fromagerie, jardin japonais, zoo, fixant un gecko une girafe, un orang-outang... Et à chaque fois, il ne sait plus si c'est lui qui observe ou si "l'extérieur" l'observe. C'est un écrit tardif , presque un autoportrait annonçant une fatigue et un monde qui se délite , se fracasse. On dirait qu'il sent l'approche de la mort...

Christiane a dit…

Mon passage préféré dans "Le baron perché" est peut-être, même sûrement, cette improbable amitié entre le brigand Gian dei Brughi et Cosimo. Il le sauve de la poursuite des sbires en le hissant sur un arbre, le cache puis l'apprivoise avec des livres qu'il lui prête, d'abord avec "Gil Blas". - C'est le frère de Cosimo qui raconte. C'est aussi lui qui procure des livres à son frère. - Et le brigand est pris d'une telle furie de lecture, (sauf pour "Les Aventures de Télémaque" , livre qu'il trouve barbant et les romans d'amour !) qu'il ne fait que lire allongé sur sa couche, épelant chaque mot, ne sortant plus de sa tanière sauf pour changer de livre. D'autres brigands utilisent son nom pour faire peur alors qu'il est complètement ramolli. Il tombe dans un traquenard, est envoyé en prison. Mais sur les branches d'un arbre, Cosimo, lui fera la lecture jusqu'à ce que les bourreaux le pendent.
Il est très beau ce douzième chapitre...

Christiane a dit…

La fin ne démérite pas. Les rêves ainsi montent au ciel comme des montgolfières...

Jean-Jacques J a dit…

Sont-ils agaçants quand ils se mettent à tartiner sur tout et n'importe quoi, à ressortir leurs fiches de lectures à n'en plus finir... Je ne m'étai-j jamais vraiment rendu compte à quel point les gens, fatigués et fracassés quand ils pressentent l'approche de la mort, se raccrochent pathétiquement aux feuilles de leurs branches, sans percevoir les effets provoqués de leurs palomarisations de clercs de notaire.

Christiane a dit…

Jean-Jacques, c'est un beau prénom.

Anonyme a dit…

Apprivoiser quelqu’un avec le Gill Blas de Le Sage (?) c’est possible. En revanche Fenelon et Telemaque ne sont pas souhaitables, même à son pire ennemi….MC

Christiane a dit…

Oui, cet escogriffe a des choix que vous comprenez. Calvino aurait-il fait les mêmes études que vous ? Pour Gill Blas, je regarderai demain. Bonne nuit.

Christiane a dit…

"Que lisez-vous de beau ?
- Le Gil Blas de Lesage'
- C'est bien ?
- Ah ça oui.
- Vous êtes loin de la fin ?
- Pourquoi ? Euh, une vingtaine de pages.
- Parce que quand vous l'aurez fini, je voulais vous demander de me le prêter - il souriait, un peu confus. Vous savez, je passe mes journées caché, on ne sait jamais quoi faire. Si j'avais un livre de temps à autre, je ne dis pas. Une fois, j'ai arrêté un carrosse, pas grand-chose, mais il y avait un livre. Je me le suis caché sous ma veste ; tout le reste du butin, je l'aurais rendu à condition de conserver ce livre. (...) Il était en latin ! On n'y comprenait pas un mot... Vous voyez, moi le latin, je ne le sais pas...
- Faut dire que le latin, bon sang, c'est pas facile, dit Cosimo (...) Celui-là est en français.
- Français, toscan, provençal, castillan, je comprends tout, dit Gian dei Brughi. Et aussi un peu de catalan : "Bon dia ! Bona nit ! Està la mar molt alborotada ".
En une demi-heure, Cosimo finit son livre et le prêta à Gian dei Brughi."

Ce dialogue est savoureux ! Comme ce conte se lit facilement, même pour un clerc de notaire !

Christiane a dit…

En prenant "le parti d'écrire et de se cacher", Jean-Jacques cherche à opérer la transmutation qui lui donnera, aux yeux des autres, la beauté de "ce qui n'est pas".
Écrire et se cacher. On s'étonne de l'égale importance que Rousseau donne à ces deux actes. Mais l'un ne va pas sans l'autre. Se cacher sans écrire, ce serait disparaître. Écrire sans se cacher, ce serait renoncer à se proclamer différent. Jean-Jacques ne s'exprimera que s'il écrit "et" se cache. (...)
L'acte d'écrire vise un résultat qui ne peut pas être écrit, un but qui est hors de la littérature. Ses lecteurs se méprennent lorsqu'ils prétendent engager avec lui un débat d'idées.(...)
Jean-Jacques se cache, écrit, mais pour créer les conditions d'un retour, qui réparera la déception de l'accueil manqué (...) et n'aura passé par un "circuit de paroles" que pour se présenter devant les autres et leur demander d'être salué selon sa vraie valeur."
p. 153 - Jean Starobinski - "Jean-Jacques Rousseau : la transparence et l'obstacle". (Gallimard - collection Tel)

Un "Jean-Jacques"... frustré, donc suscitant l'obstacle qui permet de se replier dans la certitude de son innocence.

Anonyme a dit…

Je me demandais si Italo Calvino inventait un monde qui n'existe pas; je crois relisant ses livres qu'il analyse le réel avec une précision menant à la rêverie. il saisit ces éléments et les relie entre eux dans des collages fantastiques. Il a dû être formé par sa mère botaniste à l'observation des plantes. Ces arbres sont extraordinairement compris, décrits. Il lui fallait juste en faire une planète pour Cosimo, un être en rupture. Aussi, la mer traversée de lumière. L'ennui et le tragique le conduisent au regard intérieur, à trouver dans sa création, un apaisement. La forêt des livres qu'il déplace sur les branches les ressentant comme des oiseaux. Les films aussi. J'ai lu de lui des critiques sur le cinéma de Pasolini, de Fellini, d'Antonioni, de Luis Bunuel, de Kurosawa, de Charlie Chaplin, d' Orson Welles... remarquables. Pour lui le cinéma est littérature. Les images lui parlent, celles du cinéma, de l'art. Il est tout regard, tour à tour géologue, botaniste, naturaliste, minéralogiste, écologiste... en poète désenchanté, ironique, utopique, toujours au bord des abysses insondables ou de la poussière d'étoiles des galaxies. J'aime infiniment cet écrivain, ses livres, ses papiers et depuis longtemps.

Christiane a dit…

Christiane

Ma soeur, mon frère a dit…

Elégante et bienvenue, la citation de Starobinski...
Elle s'applique à Rousseau, mais pas au Jean-Jacques qui signe le petit papier d'agacement supra... Rien de frustré chez lui, à ce qu'on en perçoit.

Anonyme a dit…

Vous parlez du Gil Blas de Santillane?

Christiane a dit…

"Rousseau accorde à l'autobiographie les chances qu'il refuse au regard du peintre :
"Nul ne peut écrire la vie d'un homme que lui-même. Sa manière d'être intérieure, sa véritable vie n'est connue que de lui."
"Mais l'écrivant, il l'a déguisé", ajoute aussitôt Rousseau. L'autoportrait ne serait-il pas aussi arbitraire que le portrait ? L'image qu'un homme donne de lui-même n'est-elle pas tout aussi fictive, tout aussi construite ?"
Op. cit, p.224

Christiane a dit…

Oui, certainement. Ce n'est pas précisé. Il nomme Lesage et non l'original picaresque dont ce livre serait inspiré. Bien que Voltaire cria au plagiat .

Anonyme a dit…

Hors débat, j'ai ajouté un label "littérature italienne" à la fin de l'article. J'espère bien compléter la liste. SV

MC a dit…

Il est arrivé au Gil Blas de Santillane une chose curieuse: un espagnol, mi-inquisiteur, mi napoléonien lors de la Guerre d'Espagne, a signé en France sous son nom de Llorente une démolition en règle de ce "roman picaresque espagnol "que, dit-il, il ne trouve nulle part. Le résultat en est une glorification inattendue de Le Sage (par un Espagnol!), avec les outils critiques des années 1820. On peut préférer sur le sujet les pages de Walter Scott, pour qui Le Sage etait un grand romancier... MC (Avant, ce n'est pas moi!)

Christiane a dit…

Ça serait formidable.
Mon préféré c'est Pavese. J'ouvre souvent le "Quarto" paru en 2008 chez Gallimard. Quelle écriture... et Moravia, Carlo Levi , je garde un souvenir très fort du roman "Le Christ s'est arrêté à Eboli" que vous m'avez fait découvrir. Et les Ragazzi de Pasolini.. et le petit Pinocchio de Collodi. De Giuseppe Tomasi di Lampedusa je ne connais que Le Guepard . Je n'oublie pas le roman bouleversant d'Elsa Morante, La Storia. Ma morsure terrible : Si c'est un homme de Primo Levi. Un de mes préférés : Le Désert des Tartares et cette attente interminable. Plus près de notre temps, Erri De Luca ( j'aime beaucoup son écriture) et Umberto Eco et ses rêves moyenâgeux ou Natalia Ginzburg, rare ... Et le théâtre de Pirandello !
En amont, Dante Alighieri, le plus grand , Pétrarque et ses roses, Boccace (que je connais moins), Leopardi... Et les Fioretti de François d'Assise...
Vous voyez, vous êtes attendu !

Christiane a dit…

Cela aurait pu être vous ! Votre anecdote défie le bon sens , incroyable. Voltaire ne serait pas d'accord !

Anonyme a dit…

J’aime beaucoup Le Sage et les homélies de l’ Archevêque de Grenade, mais Llorente existe bien!

Anonyme a dit…

J’ai à même trouvé, acheté, et lu son livre.,, MC

Christiane a dit…

Vous êtes extra ! Votre passion de la littérature est immense.
Le cinéma doit être plus rare dans vos loisirs. Qu'aimez-vous comme cinéastes, acteurs, films ? Je parierai bien sur Sacha Guitry... Abel Gance... Louis Jouvet,... Harry Baur. .. (Bergmann c'est plutôt Paul Edel comme les cinéastes italiens. )
Ça me ferait plaisir de connaître vos goûts. Je connais un peu ceux pour le théâtre car vous les évoquez parfois..

Anonyme a dit…

Je m’en avise seulement maintenant en vous lisant (je le crois du moins, mais c’est peut-être une observation lue quelque part il y a longtemps, une remarque de Calvino ou même un lieu commun qui traîne dans toutes les
préfaces et les articles critiques ? Ou bien, au contraire, l’idée n’est pas vraiment pertinente et je m’en rendrai compte lorsque je relirai le roman ?) : comme son auteur, le protagoniste libère ses qualités et s’accomplit en se donnant une contrainte.
e.g.

Christiane a dit…

Votre remarque e.g., est vraiment intéressante. Pourriez-vous la développer ?

Anonyme a dit…

Quand je dis qu Lorrente a bien’ existr
´´´´





Anonyme a dit…

Quand je dis Llorente, il ne fait pas oublier qu’une période notable de sa vie a été consacrée à faire savoir à Napoleon et au RoiJoseph. Des lots d’agit-il d’une francophilie un peu démente, dont on trouve d’autre as à l’époque Marry-Laveaux:, « Que et l’ Heraclius de Corneille ne doit rien el’ Heraclius Espagnol » ou simplement d’un moyen de vivre?Il sied de se poser la question…

Anonyme a dit…

MC

Anonyme a dit…

Ce que je n’aime guère: les romans légers, tendance dix-huitième, à l’exception des Liaisons Dangereuses ou passe quelque chose de Racine, mais chut! Il n’est plus permis de citer Graudoux, même quand il tombe juste! L’essentiel du Dix-huitième siècle, sauf un ou deux Rousseau, mais l’intégrale figure dans ma Bibliothèque, à peu près tout Voltaire, sauf le Siècle de Louis XIV . Mais j’ai lu son théâtre, son très mauvais Calas, etc. Assez curieusement, ma conception des Lumières va plus vers le Président de Montesquieu, Royou, et d’ Aguesseau, dont l’influence s’étend jusqu’au dix neuvième-vingtième, quand les magistrats étaient cultivés. Lus aussi. Ce que j’aime : les Classiques théâtraux et poétiques, de Larivey au Baron de Feneste , et de Molière à Racine. Après, on se répète pour un siècle, à l’exception peut-être d’Hugo, qui tente d’ acclimater les acquis du mélodrame au drame romantique… et qui cite Nerval en tête des Misérables. Nerval occupe une place à art dans ce qui reste une liste de noms. En lisant hier soir une étude de Cellier de 1957 sur lui, j’ai été frappé sur ce qu’il reste à faire, et qu’il préconise. Les romanciers, j’en ai cité certains du dix septième siècle. Ajoutons Constant, Balzac, Zola,Regnier, France même , Mirbeau, Estaunie…et ceux que l’on déterre. Autant de Glanes bibliographiques où le hasard a sa part. J’avoue ne pas aimer Giono, mais raffoler de Gracq , au pont de succomber à une édition du Rivage canadienne qui n’est pas faite chez Corti. Il lui a fait nombre d’enfants dans le dos, majoritairement des recueils.Est-ce grave, Docteur? Bien à vous. MC
PS Je devrais aussi parler du Droit Coutumier d’ Ancien Régime, pas si absurde qu’on veut bien le rire, et surtout lancé dans un mouvement d’unification dans la période 1750-1770, mais c’est un monde en soi…

´´´´

Anonyme a dit…

En fait, le Code Napoléon n’est pas sorti de rien! MC

Anonyme a dit…

07h58 lire : « des lors, s’agit-il donc 

Christiane a dit…

Quelle bibliothèque ! Un vrai cadastre de la connaissance. Merci, MC. Et pour le cinéma ?

Anonyme a dit…

Oh, je m’aperçois qu’il manque la première compilation de SF ( Dix-huitième siècle), presque tout Scott, et même Renan. Je n’évoque pas la Bretagne pour en avoir parlé ailleurs. Ni les polars ! MC

Christiane a dit…

Oui, je me souviens.

Anonyme a dit…

Comme vous le faisiez remarquer, Christiane, dans Le Château des destins croisés (1969/1973, en pleine période oulipienne de Calvino) la carte du bateleur présente une image du romancier, ou plutôt de son activité combinatoire ; mais à un niveau supérieur, celui des personnages de l'histoire (dans la mise en abyme : celui de la vache qui rit ; alors que la carte correspondrait au niveau des boucles d'oreilles qui reproduisent le portrait de la vache en miniature), chacun se livre à cette même activité pour se raconter à son tour (et leurs hypothèses en tant que spectateurs de ces récits en train de s'organiser, leurs conjectures quant aux significations des mêmes cartes dans des assemblages différents, selon une succession différente, présentent bien sûr un portrait de l'activité du lecteur).
Le Baron perché est bien antérieur, mais je comparais la décision de Cosimo (où il entre du jeu, de l'arbitraire et, pour nous lecteurs, du symbolique) aux fameuses "contraintes" formelles oulipiennes (voir ce qu'il dit dans le chapitre "Multiplicité" des Leçons américaines à propos de La Vie Mode d'emploi) : des difficultés fructueuses, des entraves (choisies) qui libèrent.
Je n'ai pas actuellement le temps de relire le roman (et encore moins de près), mais mon moteur de recherches a fait ressortir un article dont j'avais certainement pris connaissance à l'époque, et qui applique lui aussi le terme de "contrainte" à ce choix de "Ne plus mettre le pied sur le sol" (titre de l'article de Norbert Czarny, 4 avril 2020 sur En attendant Nadeau) — l'auteur pensait en outre aux contraintes subies pendant le confinement. Les réflexions sur la juste distance (à l'écart mais proche) se prêtent bien à mon hypothèse, ainsi que celles sur les modifications de point de vue et d'attention dans le passage cité par Soleil vert. Outre ce regard éloigné mais pas trop, les qualités de légèreté, de rapidité et de précision, prisées à l'époque des Lumières choisie pour ce récit, seraient aussi nécessaires à son jeune héros qu'à "l'art d'écrire" calvinien.
e.g.

Christiane a dit…

Lire votre raisonnement de bon matin c'est tonifiant. C'est bon de sortir de ma lecture confortable pour découvrir cette contrainte. Au-delà des jeux des oulipiens il y a la vie quotidienne, nos réactions face aux autres, à l'actualité. Quel sol ne voulons-nous plus toucher pour être en accord profond avec nous-mêmes ? La liberté d'être vrai passe je crois par cette écriture de l'obstacle.

Christiane a dit…

e.g., je relis votre commentaire. Calvino chercherait un outil de construction de ses récits, une architecture complexe. Il semble que reproduire le même schéma narratif ne l'intéresse pas.
Mais comment résister par l'écrit, dans l'écrit ? Le récit de la vie de Cosimo tient parfois du conte de fée , de la fantaisie, celle d'un regard enfantin posé sur le monde. Plus que l'oulipo je pense aux romans d'aventure de Mark Twain ou Kipling, Stevenson. Cosimo aussi fuit l'enfer des adultes, leur moralité, leurs mœurs.
Haut opposé au bas. D'abord verticalité puis horizontalité quand son domaine s'étend ou quand il laisse entrer les autres dans sa vie.
Il n'a pas raconté ses souvenirs de guerre dans la Résistance autrement que par ses fables. Sa façon de refuser la mentalité fasciste.
Et puis, il a compris que la nature est mortelle. Le baron perché c'est aussi une ode ay la nature. Voir les extraits choisis par Soleil vert. Mais aussi l'autre, celle qu'il contemple en relevant la tête du haut de ses arbres, le ciel, les étoiles, les planètes qu'il imagine. Tout un monde contemplé comme d'un hublot de vaisseau spatial... Une ivresse cosmique. Regarder indique une distance.

Anonyme a dit…

Sa période de guerre parmi les partisans, Calvino l'a quand même racontée dans son premier livre, Le Sentier des nids d'araignée (et dans Le Corbeau vient le dernier) — mais transposée, décalée, vue à hauteur d'enfant. Je ne sais pas si vous disposez de la remarquable "Présentation" (ajoutée par Calvino lors de la réédition de ce premier roman), ou du tout aussi stimulant compte-rendu de Pavese (de 1947, lui, à la sortie de la 1ère version du roman, et qui est repris comme "Postface" dans mon édition, italienne, de l'œuvre chez Mondadori) : je viens de relire ces pages pour vous répondre et il y apparaît nettement que le néo-réalisme de cette immédiate après-guerre (dont Calvino nuance d'ailleurs fortement la définition habituelle) n'était pas incompatible avec la fable ou le conte vers lesquels il devait se tourner ensuite.
Je vois que l'article (en français) de wiki sur Calvino cite précisément ce passage de l'article de Pavese qui résonne particulièrement pour les lecteurs du Baron perché : « l'astuce de Calvino, cet écureuil de la plume, a consisté à grimper aux arbres [littéralement : grimper sur les plantes] davantage par jeu qu'en raison de la peur et d'observer la vie des partisans comme une fable du maquis [ou : se déroulant dans la forêt], formidable, bigarrée, "différente" [ou diverse = multiple ?] ».
Mais Pavese note aussi que "C'eût été une catastrophe s'il avait voulu composer des personnages [ma glose : romanesques en bonne et due forme, avec une profondeur, une psychologie]. Un instinct [très] sûr lui a fait réduire ses personnages à […] des vignettes […] des masques, […], des marionnettes. Ils ont tous une lubie […], une figure [dessinée avec] précision, comme autant de petits soldats en carton [venant] de planches différentes. Pas un de leurs gestes qui ne soit vu nettement […]" C'est aussi (déjà) une caractéristique du conte ou de la fable.
e.g.

Anonyme a dit…

Ce que j'avais plus ou moins vaguement en tête, c'était que le héros du Baron perché — ou plus exactement le choix opéré par le personnage, son "défi" (sur le plan thématique, celui de l'histoire contée dans le livre) — constituait un emblème (et donc en quelque sorte un "précurseur") des choix d'écriture de son auteur. Mais compte tenu de cet aspect du Sentier, la représentation des procédés ne serait pas si anticipée que cela.
Rien de particulièrement surprenant s'agissant d'un écrivain qui déclare que "à l'origine de chacun de [s]es récits [fantastiques] il y a eu une image visuelle", laquelle "se présente à lui comme chargée de sens" alors qu'il ne saurait pourtant "le formuler en termes discursifs ou conceptuels" (Leçons américaines au chapitre "Visibilità").
Démarche très différente, donc, d'une "[re]cherche [d'] un outil de construction" (c'est vous que je cite, cette fois) qui interviendrait en amont de l'écriture, une volonté première, toute théorique, cérébrale et abstraite — mais c'est sans doute moi qui vous ai induit en erreur en faisant la comparaison avec la "décision" de Cosimo (il faudrait au moins que je relise ce passage-là, celui du "passage à l'acte" …)
Calvino écrit que de telles images "développent [déplient ?] d'elles-mêmes leurs potentialités implicites, le récit qu'elles portent en elles" (ibid.) — même si, une fois que l'image originelle en a suscité d'autres, l'auteur organise ensuite tout à fait consciemment "le champ des analogies, des symétries et des oppositions" ainsi créé, et surtout, à ce stade, c'est le langage qui compte, l'écriture qui mène la danse.
Pas d'opposition entre l'écriture et la vie … quand "ça marche", quand la mayonnaise prend, l'émulsion se fait. Dans sa Présentation au Sentier, il insiste sur ce point : ses premières tentatives de raconter son expérience récente de partisan, de lui donner une forme ne fonctionnaient pas (cela à une époque où personne ne l'avait encore fait par écrit — alors que l'on baignait dans les récits oraux, chacun éprouvant le besoin de raconter aux autres où et comment il avait vécu la guerre, et que c'était évidemment pour sa génération une expérience fondamentale) : "[il] ne réussissai[t] jamais à étouffer complètement les vibrations sentimentales et moralisatrices", les fausses notes, alors qu'il ne voulait justement pas tomber dans la "mythification". Ce n'est que lorsqu'il a commencé à écrire des histoires qui n'avaient rien à voir avec lui, avec sa petite personne, que ses récits se sont mis à fonctionner — mais plus le récit était "objectif et anonyme, plus il était [s]ien", plus il s'y retrouvait.

Anonyme a dit…

La transposition à un protagoniste-enfant ? C'était finalement la meilleure façon de représenter ou d'exprimer son incompréhension (de jeune bourgeois protégé), sa bien réelle immaturité. Mais cela, il ne l'a compris qu'après. Rien n'était clair au moment de l'écriture (du Sentier) : selon Calvino, c'est le récit qui impose plus ou moins les solutions, le projet qui prend forme sinon véritablement "tout seul", du moins par tâtonnements, approximations successives, ajustements. De même, l'expérience vécue ne s'oppose pas aux lectures, elles ne composent pas deux univers séparés : "Chaque expérience vécue, pour être interprétée, appelle certaines lectures et fusionne avec elles." C'est seulement en apparence qu'il semble y avoir une contradiction entre ces deux sources, entre intertextualité et référentialité : que les livres naissent d'autres livres ne les empêche pas de naître aussi de "la vie pratique et des rapports entre les hommes" et vice versa. ("Présentation" du Sentier)
e.g.

Christiane a dit…

Quel régal, e.g. !
L'article de Pavese, jamais lu, est vraiment utile. La course d'un écureuil comme fable du maquis. "La transposition à un protagoniste-enfant", oui c'est bien cela. Ces transpositions incessantes entre le vécu et les romans a donné naissance à une oeuvre où les lames de tarot commandent une série de récits, de destins croisés.
C'est bien que JJJ ait rappelé Monsieur Palomar, son regard posé sur le monde.
Ce personnage soliloque, un peu perdu comme tous ses personnages. Son écriture ? Souvent une combinatoire le rapproche de l'Oulipo. Le moi de l'auteur pourrait s'y dissoudre mais c'est un conteur, un faiseur de récits au charme mystérieux. Il tient un jeu de cartes dans les mains. Oui, son histoire se cache dans ses récits. Une longue rêverie de possibles dans ce monde instable et insaisissable. Merci pour vos trois méditations nocturnes. J'étais de l'autre côté du réel, dans ce monde onirique qui s'efface au réveil.
Rejoignons Calvino au cœur des arbres, des villes Invisibles, d'un château enchanté, d'un monde qui n'est plus synchrone avec le nôtre. Temps et espace autres pour rêver.

Soleil vert a dit…

Bien vue la réflexion sur les personnages non romancés (Pavese) SV

Anonyme a dit…

En vitesse (de peur d'un malentendu) : le "rapprochement" avec l'oulipo est d'autant plus évident que Calvino était "dedans". J'aurais d'ailleurs dû commencer (à chercher) par là :
https://oulipo.net/fr/calvino

e.g.

Anonyme a dit…

Encore plus de détails sur un site italien (photo en prime), notamment cette remarque sur la communauté de vues entre Calvino et le groupe (c'est bien ce que je pensais : j'ai enfoncé une porte ouverte !Tant pis — ou tant mieux si c'est l'occasion de revenir sur certains aspects de l'écriture calvinienne).
(C'est en italien, mais il suffit d'utiliser les outils de traduction de textes comme DeepL.)

Dès 1960, dans la préface de la réédition de Nos ancêtres, on retrouve en effet ses déclarations parfaitement cohérentes avec celles prônées par le groupe né cette année-là : « ... ce qui a toujours été et reste mon thème narratif : une personne se fixe volontairement une règle difficile et la suit jusqu'à ses dernières conséquences... ».

(e.g.)

Anonyme a dit…

https://www.ilmondonuovo.club/calvino-oulipien/
avec l'adresse du site ce serait plus pratique…

Christiane a dit…

Une virevolte dans l'écriture donne à cette nuit de noces, page 266 , l'air d'une comptine. J'aime infiniment.

"Ils se connurent. Lui la connut et se connut, parce qu'en fait, il n'avait jamais rien su de lui. Et elle, elle le connut et elle se connut , parce que bien qu'elle ait toujours su ce qu'elle était, elle n'avait jamais pu se reconnaître ainsi."

Anonyme a dit…

J'y pense : un roman, français cette fois, tout récent, très ludique — loufoque en apparence, mais jouant double jeu puisque les aventures relatées peuvent se lire comme une histoire énigmatique de savant fou ou bien comme une aventure de langage (il y a jeu sur les mots et principalement sur les deux sens d'un terme-clef) — pousse à l'extrême ce jeu de miroirs (celui du méta-roman) entre le thème et le processus de l'écriture.
Je crains qu'une telle description ne serve de repoussoir, alors qu'un procédé compliqué à décrire (surtout si l'on ne veut rien divulguer) peut donner un texte extrêmement drôle (et qui le resterait même s'il se trouvait des lecteurs pour s'obstiner à le lire jusqu'au bout "au premier degré"). Pour que l'on trouve du plaisir à l'ambiguïté de cet équivalent verbal de l'image du canard/lapin, il faut que les deux "faces" soient satisfaisantes, et il me semble que c'est le cas (toutefois ce n'est pas un conte ou une fable, et le ton est plus grinçant).
Il s'agit de La Chambre à brouillard d'Éric Chevillard.
(Ceux qui ont lu Palafox croiront d'abord se trouver en pays de connaissance, mais…)
Je n'y pensais plus, je n'aurais pas fait le rapprochement, si je n'étais tombée par hasard sur l'une des phrases que j'avais notées : "Je reprends pied dans le réel. Et donc, je m’enlise jusqu’au cou dans ce marécage."
Laquelle me paraît justifier joliment les procédés de transposition.
Cela dit, personne n'est obligé (je sais bien qu'il y a des allergiques à cet auteur).
e.g.

Christiane a dit…

Vous donnez bien envie d'ouvrir ce roman d'Éric Chevillard. : "La chambre à brouillard".

Christiane a dit…

https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Chambre_%C3%A0_brouillard-3398-1-1-0-1.html

Christiane a dit…

J'aime qu'Eric Chevillard cite dans ce roman, page 59, Möbius. C'est l'excellence en matière d'inversion-miroir.
J'aime les jeux infinis dans l'écriture mais ce roman est complètement loufoque et je ne cherche pas à le comprendre. C'est comme un brouhaha de mots donnant accès à des jeux de langue multiples.

Christiane a dit…

Si j'ai bien compris ce qui arrive au narrateur, c'est qu'il est sous l'emprise d'un insecte nécrophage, peut-être imaginaire qui s'insinue dans sa vie.
Là où j'en suis, il tente de communiquer avec lui avec un jeu complet de caractères d'imprimerie provenant d'un fonds de typographe failli. De belles lettres de plomb logées dans les cases du e boîte en bois.
La créature s'introduit dans la boîte, l'explore, s'y cache, épouse un S "par attrait pour sa nature ondoyante et versatile. Le X lui inspire une répugnance évidente."
Mais qu'attendre, n'est-ce pas de cet insecte qui ne doit posséder "qu'un idiolecte aberrant et confus ? Une littérature orale constituée de gémissements et de cris ?"
"Virevoltes et palinodies... Que de belles acrobaties !"

Lecture devenant très agréable. Un roman surréaliste de science-fiction ?

Christiane a dit…

Quelques tentatives dont celle-ci qui me réjouit.
"Je détache du quignon un peu de mie, puis je forme le mot.
MIE.
En le prononçant doucement.
On dirait cette fois que Ronsard parlé à Hélène."

Là, il fallait y penser !

Christiane a dit…

Comme Il a dû rire en écrivant ce livre.
Moi je ris de bon cœur !
"Au moins aurais-je dû arracher cette mie d'une miche.
Comment nous sortir de ce pétrin ?"

Christiane a dit…

Ce roman plutôt humoristique me fait néanmoins penser au film de Ridley Scott : Alien, le huitième passager.
Surtout dans cette scène où, alors que les astronautes sont a la table, une créature filiforme sort du ventre de celui qui avait été attaqué par une sorte d'arachnide de l'espace.
Il en faudrait peu pour que le roman de Chevillard bascule dans un conte horrifique.
Peut-être que la présence de Nine, une épouse falote et Victor, un fils rarement présent atténuent ce face à face de l'homme et de l'insecte transformiste...

Christiane a dit…

Chevillard est très fort quand il écrit page 145 : "Le cerveau invente ce qu'il redoute. La force de suggestion du fantasme produit parfois des hallucinations qui semblent plus réelles que les choses familières vues à travers la vitre du train des jours et qui s'estompent dans l'indifférence de notre regard."

Anonyme a dit…

Mais quel Palafox? Juan de Palafox? !! MC

Christiane a dit…

Oui, le ton change. Le roman est aspiré dans une spirale morbide. La mort au rendez-vous. Je me demande comment Chevillard va terminer son histoire. Y aura-t-il un retournement ? La citation de e.g. semble esquisser un réveil...

Christiane a dit…

Il est philosophe, Chevillard, quand il questionne nos états d'âme : "L'ennui que j'éprouvais alors à chaque seconde, je ne comprenais pas qu'il s'agissait du bonheur même - massif, implacable - , lequel ne se donne jamais que sous des noms d'emprunt et des formes biaises et se montre après coup seulement, quand nous nous retournons."

Christiane a dit…

Ce distique d’Angelus Silesius ,
« La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu’elle fleurit ;
Elle n’a souci d’elle-même, ne demande pas si on la voit. »
, passe dans la mémoire de Chevillard quand il écrit, à propos de son "alien", page 181 : "Il est dans pourquoi, comme la rose."
S'en vient alors ce fameux balancement des contraires mimétiques : "En tout lieu, je cherche l'issue.
Dans l'espace confiné, je cherche une sortie.
Dans l'espace dans bornes, je cherche une entrée : c'est la porte ouvrant sur l'espace confiné.
Il est au départ ; il est à l'arrivée."
Merci, e.g., je passe une délicieuse matinée avec ce roman.

Christiane a dit…

Le fait que la bestiole soit enfermée dans une boîte opaque, une caisse aveugle me fait penser au "chat de Schrödinger" , cette expérience de la pensée imaginée par le physicien Schrödinger où nous nous demandons sans fin si le chat est vivant ou mort. Sergio l'évoquait souvent...

Christiane a dit…

Cette rose, peut-être en rapport avec la question que Chevillard posait page 15 : "Pourquoi ils se tournent vers Dieu.
N'est-ce pas Dieu, pourtant, le Grand Indifférent ?
N'est-ce pas lui qui découvre nos âmes mortes par hasard, bien longtemps après leur extinction dans la déréliction la plus complète et alors qu'il est beaucoup trop tard pour leur porter secours ?"

Christiane a dit…

Donc, e.g., votre citation, page 44, où notre narrateur n'arrive pas à sortir d'un rêve où il rêve, se réveille en sursaut, en sueur, et retombe dans son marécage (réel ou rêve ?) , inaugure cette étrange aventure sans ... pourquoi. Comme la rose de ce mystique du XVIIe siècle , Angélus Silesius, sans pourquoi....
J'ai beaucoup aimé la traversée onirique de ce livre truffé de citations littéraires
Maintenant, soleil et marche. Merci.

Anonyme a dit…

Pas Juan Antonio De Palafox Rebolledo y Centurion De Cordoba, VI Marques de Ariza —  ni Fausto Franciso De Palafox Y Perez De Guzmánn, ni Joaquin Antonio De Palafox, ni Felipe Antonio De Palafox Y Croÿ, ni Eugenio De Palafox Y Portocarrero, Cipriano De Palafox Y Portocarrero De Guzmán non plus, ni Don José De Rebolledo Palafox Y Melzi, pas plus que Luis Rebolledo De Palafox Y Melzi, Marqués de Lazán…
Je n'avais pas même conscience d'être imprécise, ignorant tout de cette famille aussi glorieuse que divisée — au point de ne connaître María Eugenia Ignacia Agustina De Palafox y Kirkpatrick que sous le titre "De Montijo".
Je faisais allusion au titre du 3ème roman d'Éric Chevillard ; on assiste bien, au début du récit, à la scène du choix (laborieux) d'un nom pour l'animal non identifié sorti de son œuf, en ayant recours au Dictionnaire illustré et au hasard, mais je croyais le nom inventé de toutes pièces…
e.g.




Anonyme a dit…

Je me demandais (un peu tard) si j'aurais trouvé autant d'agrément à la lecture de ce livre sans connaître déjà l'univers de Chevillard. Comment aurais-je réagi ? Une certaine perplexité me paraît normale dans ces circonstances. Vous ne me vouez pas aux gémonies (pour vous avoir incitée à entrer dans cette Chambre à brouillard), c'est déjà quelque chose !
Quand vous aurez terminé la lecture du roman, allez voir sur le site des éditions de Minuit ; on y trouve un certain nombre de recensions des ouvrages
https://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-La_Chambre_%C3%A0_brouillard-3398-1-1-0-1.html
Je viens de les lire ou relire pour certaines ; celle de Hicham/Stéphane Afeissa (sur Nonfiction) me paraît la plus complète et la plus satisfaisante, mais elle est elle-même un peu complexe ; les autres articles permettent une sorte d'orientation préalable.
e.g.




Anonyme a dit…

J'avais parlé de canard/lapin, et je crois qu'en effet, si l'on aborde Chevillard avec ce roman (mais il faut bien commencer quelque part !) on ne peut que suivre la piste, disons, du canard.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Canard-lapin
Quitte à relire ensuite, une fois averti(e) d'une autre lecture possible.
L'ambiguïté est voulue (c'est une grande part du plaisir quand on est déjà familier de l'univers et la manière de Chevillard), mais il ne s'agit PAS du tout d'une volonté de "piéger", de ricaner aux dépens du lecteur. C'est plutôt un rappel de la façon dont les textes sont fabriqués, de la matière dont ils sont faits : ce que disait Mallarmé, rapporté par Valéry (" « Mais, Degas, ce n‘est point avec des idées que l’on fait des vers… C’est avec des mots. ») vaut aussi pour le roman.
On pourrait dire que ce roman "à double fond" ou qui "joue double jeu" grippe le mécanisme de l'illusion — mais seulement un peu, car de toute façon il fonctionne aussi comme n'importe quel roman, nous entraîne dans une histoire, représente des personnages (dont l'un livre tranquillement toute sa monstruosité) , montre les rapports entre eux (dans le couple, avec le fils, avec le rival), l'idée fixe à l'œuvre (c'est le cas de le dire). Sinon, il serait tout simplement illisible (et sans intérêt). Il ne s'agit pas de "casser ses jouets", mais de continuer à jouer tout en disant : voyez, ce n'est pas une vraie voiture, c'est moi qui fais "vroum vroum". Amusons-nous ensemble.
C'est aussi une façon d'être sérieux sans se prendre au sérieux. Nous sommes constamment amenés à réviser non seulement nos hypothèses (sur le contenu de la boîte, la réponse à la question "mais enfin, qu'est-ce que c'est ?") mais aussi nos jugements initiaux (femme falote dans le regard de qui ? l'agressivité vis-à-vis du rival, auquel il allait dire ses quatre vérités, on y a cru, même si l'on riait de ses excès — avant de la voir se dégonfler et de lire une lettre parfaitement obséquieuse). Je ne sais pas si j'ai un peu répondu au "Pourquoi" (ce sont plutôt les auteurs des recensions qui s'en seront chargés), mais si le "Quoi ?" nous tient quelque temps en haleine, il me semble que c'est en nous intéressant au "Comment ?" que nous pouvons faire tenir ensemble les multiples éléments et allusions du livre.
(Et ce n'est peut-être pas plus "cérébral" que les blagues d'enfants sous la forme "Qu'est-ce qui est … et … et qui … ? — elles aussi partent d'un autre rapport au langage.)
e.g.

Christiane a dit…

Pour moi, e.g. cette lecture étrange est terminée. Je ne compte pas explorer ce roman plus que dans ces notes prises au fil de la lecture. Bonne suite à vous. Je passe au nouveau billet de Soleil vert. Après avoir repris hier au soir et terminé le roman d'Italo Calvino qui était quand même le centre de mon attention. Chevillard restera pour moi, par ce roman, une curiosité. Merci pour l'échange.

Christiane a dit…

Retour au "Baron perché" d'Italo Calvino.
Je ne comprends pas l'attitude de Cosimo envers Viola. Serait-il incapable d'assumer une relation physique amoureuse avec une femme ?
Qu'en pensez-vous ? Comment expliquer son attirance mêlée de répulsion ?

Christiane a dit…

Italo Calvino et le lipogramme cher à Georges Perec. Comment ne jamais employer une lettre ? Georges Perec dans "La Disparition" avait supprimé la lettre e de son roman. Italo Calvino, qui avait hissé dans un noyer une presse et une boîte de caractères pour composer des libelles dont "Le Gazouillis des gazettes" , passait donc ses journées à composer des pages.
Il arriva que des écureuils s'emparèrent d'une lettre de l'alphabet et l'emportèrent. C'était la lettre Q. Cosimo dut alors commencer certains articles ainsi : "Cuand, Cuelcue soit"....

Anonyme a dit…

Désolée pour le retard…
Je ne sais pas ce qui motivait votre 1ère question ("incapable d'assumer…?"), c'était peut-être en réaction (fugace) à un passage précis ? Dans ce cas pourriez-vous m'indiquer de quel chapitre il s'agissait (mais pas la page, nous n'avons pas la même édition). Il y a beaucoup d'autres passages qui affirment le contraire, je vous fournirai quelques citations (si la question est encore d'actualité, car vous avez peut-être vous-même rencontré ces passages depuis — lesquels auront dissipé vos doutes). Je ne pense pas non plus que "mêlée de répulsion" convienne au personnage de Cosimo, donc là aussi il me faudrait l'origine de votre impression.
Plus largement : que les personnages paraissent des êtres de chair et de sang est le signe de la réussite de ce roman. Mais cependant, je suis un peu obligée de rappeler (de faire "le sale boulot" du désenchantement) que les personnages sont bel et bien des marionnettes "animées" par le talent de l'auteur — des êtres "d'encre et de papier", dont l'existence se limite à ce qui est expressément écrit dans le roman les concernant ; Cosimo et Viola correspondent en partie à des "types" et ils incarnent aussi (Cosimo surtout) des aspects et des aspirations du 18ème siècle, des Lumières. Il entend raisonner en amour, face à une Viola coquette accomplie (que l'on a d'abord vue enfant gâtée, impétueuse, déjà moqueuse) et/ou passionnée (une certaine ambiguïté est maintenue 1) parce qu'il n'y a pas de "psychologie des personnages" et que 2) nous la voyons à travers le regard de Cosimo ; est-elle sensuelle-libertine ou éprise d'absolu, "pré-romantique" ?
D'autre part, le genre (littéraire) a son importance : le conte ici n'est pas de ceux qui se terminent par "ils furent heureux et eurent beaucoup d'enfants" ; il emprunte davantage aux codes du "conte philosophique" (sans sécheresse).
e.g.





Anonyme a dit…

Comme on ne peut pas répondre à une réponse, je le fais ici pour votre message du 23 mai 2025 à 05:37 :
Aucune obligation, là non plus.
J'avais fourni tous ces articles au titre du "Service Après Prescription" (involontaire), car je n'avais pas prévu, au moment où j'avais développé mon association d'idées avec ce roman de Chevillard que celle-ci fonctionnerait comme une recommandation … et encore moins que la recommandation serait suivie d'effet immédiat ! Comme c'était moi qui vous avais entraînée dans cette lecture, je me sentais en quelque sorte responsable.
Si j'avais été certaine que vous ayez déjà terminé le livre, j'aurais sans doute pu (et dû) me contenter de dire en quelques mots que le "sujet" pouvait se comprendre aussi bien
— comme une créature mystérieuse soumise à l'observation et aux expériences en vue d'identification
— que comme le thème (la matière) du récit lui-même, tel que l'élabore (non sans mal) un romancier
e.g.

Christiane a dit…

Chapitre XXII
"Toujours à la recherche du bonheur amoureux, il restait néanmoins ennemi de la volupté. Il en arrivait à se méfier des baisers, des caresses...."
Et oui, "lorsqu'elle est à Paris, elle passe d'un amant à l'autre...."
Elle lui trouve "la mentalité d'un notaire perclus de la goutte."
Cosimo et Viola ne sont pas bien assortis. Il finit par être jaloux, rêve de vengeance, devient féroce. Elle devient froide avec lui, dure, lasse et part.
Lui reste à vagabonder dans les arbres, à pleurer, déguenillé, à refuser de manger. Il ne l'a pas compris et devient encore plus fou.

Anonyme a dit…

Merci d'avoir cité les phrases "déclencheuses".
La première citation ("Toujours à la recherche du bonheur amoureux, il restait néanmoins ennemi de la volupté. Il en arrivait à se méfier des baisers, des caresses....") mérite d'être replacée dans son contexte immédiat, le paragraphe où ces phrases se trouvent et celui, plus bref, qui suit (parce qu'ils forment un "diptyque" des conceptions différentes de l'amour, et donc des aspirations amoureuses divergentes, de Cosimo et de Viola). On la lit alors différemment : aucune incapacité physique, fonctionnelle, en tout cas ; Cosimo se montre à la hauteur des appétits de la jeune veuve dont il "comble les sens" ; c'est du côté des fantasmes qu'elle éprouve une certaine insatisfaction (dixit le paragraphe la concernant). Rien d'étonnant à cela puisque nous avons appris que Cosimo "fuyait les chichis/les complaisances*, les mollesses, les perversions raffinées : rien qui ne fût l'amour naturel ne lui plaisait. " (*: en italien "indugio" signifie littéralement "délai, retard").
Je trouve aussi importantes les phrases soulignant que le paradoxe est d'époque (il n'affecte pas que Cosimo) : si le jeune homme est décrit comme à la fois "un amant insatiable" et "un stoïcien, un ascète, un puritain", c'est aussi parce que "Les vertus républicaines étaient dans l'air : des époques en même temps sévères et licencieuses se préparaient." (Et Cosimo écrit une "lettre philosophique" à Rousseau…)
Pas de désaccord, donc, mais un malentendu né d'une formulation ambiguë : "incapable d'assumer une relation physique amoureuse avec une femme" pouvait en effet se comprendre comme une impuissance totale ou une tendance au fiasco lorsque les sentiments s'en mêlaient — d'où mon étonnement. Mais je suppose maintenant que vous vouliez plutôt parler de l'érotisme (et non de la "relation physique", compatible avec l'état de nature), comme ce qui ne s'accorde pas avec les grands principes de Cosimo. Une fois cette modification faite, plus d'incompréhension.
e.g.

Christiane a dit…

Passionnant. Merci. C'est exactement cela et même plus que ce que je ressentais.

Anonyme a dit…

Retrouve ici le Llorente. Ouvrage sérieux issu de la Bibliothèque de Kerleano, soit ici celle des Cadoudal, et portant un envoi à Walckenaer, érudit de l’époque 1820. Le lien entre Walckenaer et Kerleano m’échappe. L’envoi paraît de l’auteur….

Anonyme a dit…

La gloire de Walckenaer, elle, subsiste encore!