Naguib
Mahfouz - Le Monde de Dieu - Babel
La lecture de deux romans
pittoresques et haut en couleurs de Alaa El Aswany, ne
pouvait que m’inciter à revenir en terre égyptienne et d’abord dans les pages
de Naguib Mahfouz, auteur fécond d’une oeuvre récompensée par un prix Nobel en
1988. Pourquoi ne pas débuter par Le Monde de Dieu, recueil de nouvelles
composé par Marie Francis Saad et couvrant une période de trente années
d’écriture ?
La comparaison avec les
ouvrages d’El Aswany ne manque pas d’intéresser. En effet autant celui-ci
dévoile un kaléidoscope social sur fond de révolte pré révolutionnaire, tant à
l’époque coloniale du roi Farouk (Automobile club d’Égypte), qu’aux
années explosives de l’ère Moubarak (L’Immeuble Yacoubian), autant
Mahfouz dépeint l’universelle misère et souffrance du petit peuple cairote, comme
une marée irrésistible qui s’affranchit des régimes politiques et des espoirs
de ruptures sociales et économiques. Toutes les nouvelles se lisent comme la soumission
résignée à un destin connu d’avance, même si entre les lignes se dessinent
quelques réflexions sur l’injustice où l’intolérance :
« A quoi
t’attendais tu ?
- A la fin de
l’injustice et de la misère, à la subsistance assurée, à un avenir pour les
enfants
- Tout cela s’est
concrétisé en actes tangibles.
- Des paroles toujours
et les enfants se sont tous perdus »
La couverture de
l’édition française illustre superbement le titre. Son éclatante couleur
rappellera en premier lieu au voyageur la luminosité exceptionnelle d’un ciel et
l’or des masques funéraires des pharaons. La monochromie jaune d’un paysage du
Nil symbolise aujourd’hui l’omniprésence d’un Dieu qui investit tous les
compartiments de la vie sociale et individuelle.
La polychromie se manifeste dans une palette formelle qui ne néglige aucun genre : tragique,
comique, fantastique. Deux traits semblent caractériser l’art de Naguib Mahfouz.
Une économie de moyens par l’entremise de dialogues, et une science consommée
de la chute qui éclaire d’un coup la nouvelle, et rend le récit intelligible.
De tous les caractères et
personnages abordés, surgit une figure bien particulière, celle des femmes. Que
ce soit dans « L’écho », « Schéhérazade »,
« Robabikia », « l’Amour et le Masque » ou
« Sur les pas de la belle dame » toutes présentent une
caractéristique commune. Elles sont inaccessibles ou au mieux incompréhensibles.
« L écho », un des meilleurs textes, évoque le dialogue
impossible entre un fils rongé par le remord et sa mère muette. Dans « Schéhérazade »,
peut être la meilleure fiction du recueil, l’auteur retourne le compliment au
sexe opposé. Une jeune femme appelle un homme au téléphone et lui raconte ses
mésaventures masculines. Le texte présente des similitudes avec Le journal d’une femme de chambre. « Robabikia »
brode sur le thème de la femme fatale, prête à l’amour mais non,- à l’instar de
La sirène du Mississipi -, à la vie
de couple fauché. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans « L’Amour et le Masque ». En premier
lieu un Crime et Châtiment qui conte
le cheminement moral d’un homme de l’angoisse coupable à la vérité, fut ce au prix
de son bonheur. Puis, en filigrane la montée de l’intolérance dans la société égyptienne.
Et enfin la violence faite aux femmes, autre face du sentiment d’inaccessibilité
ressenti par certains, qui n’est que la conséquence
d’une ségrégation sociale du sexe faible entretenue par la tradition. Cette
dernière considération prévaut à la lecture de « Sur les pas de la
belle dame », récit d’un homme lancé à la poursuite d’une jeune femme,
métaphore aussi du bonheur illusoire.
Quelques récits
fantastiques témoignent de la difficulté d’interpréter le réel, le sentiment diffus
de l’absurde et l’angoisse du futur. « Un miracle » décrit la stupeur d’un pilier de bar de
rencontrer un homme dont il a inventé le nom par jeu. Dans « Une tasse de thé » un homme savoure
son petit déjeuner au lit tout en lisant un journal quand surgissent dans sa
chambre les acteurs de l’actualité. Est-ce l’Humanité qui tente de se faire
entendre de Dieu ?
Plus énigmatique encore « La Rue des milles articles »
décrit l’arrivée d’un homme mystérieux dans un café. Les clients s’interrogent
sur son identité et ses activités. Autour de lui, le monde se défait, un autre
se crée, mais lui reste tel qu’en lui-même.
D’autres fictions de
facture plus conventionnelle traitent de faits divers universels. Un petit fonctionnaire
miséreux s'offre quelques jours de vacances avec la paye du service (« Le monde de Dieu »), un homme
prévenant essaye de s’approprier l’héritage d’un défunt (« Sous la protection de Dieu ») cependant
que dans « Souk Al Kanto »
policiers véreux et voleurs se disputent le produit d’un larcin.
De cet inventaire sans illusion
des vicissitudes de la condition humaine, je retiendrai « L’écho »,
« Schéhérazade »,, « l’Amour et le Masque », « La Rue des milles articles » et « Le monde de Dieu », éclats d’une œuvre
où pointe une amertume universelle.
7 commentaires:
Voilà un livre qui va rapidement tomber dans mon escarcelle. Merci camarade !
N'oublie pas El Aswany haut en couleurs;
A +
JL
C'est noté, merci !
Dans la meme veine je recommande "Récits de notre quartier" chez Babel
Lu donc Le monde de Dieu, ainsi que La belle du Caire, c'est vraiment bien, je suis fan. Merci !
De rien, je suis toujours un peu anxieux quand une personne achète un livre que j'ai chroniqué et qui m'a plu.
C'est pas pour te mettre la pression, mais j'ai aussi sur ma pile El Aswany ;-)
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