Dernier volet de la trilogie des chroniques consacrées aux
premiers écrits d’Orson Scott Card, Sonate
sans accompagnement est un recueil de nouvelles paru en 1982, les textes originaux
datant de la fin des années 70. Comme le souligne une quatrième de couverture
pour une fois sobre et pertinente, il révèle un écrivain qui fourbit ses
premières armes et entend se frotter aux différents genres de l’imaginaire.
Au moins trois décennies s’étant écoulé depuis leur
rédaction, on pourrait penser que les purs récits de science-fiction ne tiennent pas
la distance, comme cela s’est vu ailleurs. Ce n’est que partiellement vrai. « Un jardin de roses » met en
scène une humanité transplantée dans un astéroïde vivant. L’histoire manque sa
cible, ce que reconnaît d’ailleurs Card dans sa postface. Il y avait pourtant
fort à faire avec ce personnage de réfugiée africaine qui décide de porter sur
ses épaules tout le malheur du monde en croyant offrir un jardin d’éden aux déshérités
de la Terre. L’auteur conduit l’intrigue avec deux fils conducteurs autour d’Agnès
l’héroïne et des incompréhensibles Hector au charabia fatiguant. Thomas Disch dans
Génocides avait fait coexister de
manière semblable deux mondes non bellicistes mais aux vues antagonistes et il
s’en tirait bien mieux. Dans « Retour
aux sources », récit imprégné de la Guerre Froide, l’humanité a essaimé
dans la galaxie. Un vaisseau spatial se pose sur la Terre des origines où un conflit
bactériologique entre américains et russes perdure depuis huit cent ans. Le
texte a pris de la patine, mais l’humour le sauve de l’oubli. « Temps morts » surfe sur le thème -
selon l’heureuse expression de Card lui-même - de « l’hédonisme en tant qu’auto
destruction ». Des jeunes gens voyageant dans le passé, s’amusent à se
jeter sous les roues d’un camion, assurés de revenir intacts dans le temps
présent. Une bonne fiction dont la perversion rappelle La corde d’Alfred Hitchcock. Mais il y a mieux !
Ray Bradbury ou Clifford Simak n’auraient pas dédaigné « Les dieux mortels ». Des
extraterrestres débarquent sur Terre. Ils manifestent aussitôt un intérêt
passionné pour les êtres humains et leurs productions. Mais quelles sont leurs
motivations ? Un texte classique et beau. Le coup de tonnerre retentit à
la lecture de « Fin de Partie »,
embryon du fameux cycle d’Ender au succès mondial. On ne fera pas injure au
lecteur de relater une histoire bien connue. L’idée de cette intrusion d’adultes
dans les jeux de guerre de bambins innocents fait de ce texte l’une des
nouvelles les plus originales de l’histoire de la science-fiction. Le simulateur
d’Ender renvoie à la fois aux images des enfants soldats des conflits africains
ou de la guerre irano-irakienne, mais aussi aux jeux vidéo actuels dont l’ergonomie
ne dépayserait pas un pilote de drone militaire.
Trois récits s’inscrivent dans une mouvance plus
fantastique. « Exercice
respiratoire », « Les
Euménides dans les toilettes du quatrième », « Quietus ». Ils affichent une
certaine homogénéité qualitative. « Les
Euménides … » se détachent du lot par un pitch délirant digne des Dangereuses Visions d’Harlan Ellison.
Le personnage principal Havard vit dans l’auto satisfaction la plus complète et
l’ignorance des autres, sauf quand il s’amuse à les manipuler pour son plus
grand profit. Le châtiment se présente sous la forme d’un bébé muni d’ailerons
de poisson qui ne le lâche pas d’une ventouse. Une autre déclinaison sur les
méfaits de l’hédonisme. Les deux autres textes abordent des thèmes connus. Peut-on
appréhender la mort comme un phénomène naturel externe détectable par certaines
personnes seulement ? C’est le sujet d’« Exercice respiratoire ». « Quietus » raconte le glissement d’un homme dans une réalité
alternative, passant d’une vie placée sous le sceau de la réussite professionnelle
à une existence consacrée aux joies familiales. Faut-il se sacrifier pour
sauver son couple ? Voici un texte plein, exemplaire des intrusions qu’autorise
le fantastique dans la littérature mainstream. Encore une allusion à l’hédonisme
et le sentiment que la lutte entre l’amour et l’amour propre dans le cœur des
hommes constitue un des thèmes centraux de l’œuvre de Card.
Orson Scott Card ne serait pas Orson Scott Card sans les
trois fantasy inclues dans l’ouvrage. Une fantasy aux allures de contes parfois
cruels. « Mets de roi »
laisse dubitatif avec une histoire d’ET se repaissant de chair humaine et un
personnage de « tortionnaire sympathique » qui lorgne du côté de
Michel Tournier. L’écrivain aborde le thème de l’adieu à l’enfance dans « La salamandre de porcelaine » que
Georges Martin avait traité avec succès dans le très beau « Dragon de glace ». Un père jette
un anathème à sa petite fille, responsable selon lui de la disparition de sa
mère morte en couches. Pris de remords, pour briser le sortilège, il lui offre
une salamandre magique. Une nouvelle de haute volée, mais un chef d’œuvre
attend le lecteur avec « Sonate sans accompagnement », genèse - sauf erreur - des Maitres Chanteurs. Christian artiste
hors pair vivant dans une contrée imaginaire, enfreint les règles que lui ont
imposées ses maitres en musique. De sanctions en mutilations, il reste fidèle à
sa passion. Eloge de l’art sans contrainte, récit de l’itinéraire spirituel
d’un être qui atteint l’essence de sa discipline au fur et à mesure qu’on l’ampute
de ses moyens d’expression, « Sonate
sans accompagnement » clôt sublimement ce magnifique recueil. On prolongera
le feu d’artifice avec la postface de l’auteur, et pour les plus nostalgiques
par le catalogue de Présence du futur d’alors, tant il est difficile de
refermer ce livre.
2 commentaires:
Je dirais plutôt "LA" 4ème de couverture...
Mais critique intéressante pour un livre bien méconnu...
Ramon Mercader y Gazpacho
Estoy de acuerdo Ramon
Enregistrer un commentaire