Kij
Johnson - Un pont sur la brume - Le Bélial’ Collection
une heure lumière
Kij Johson est une auteure américaine peu connue en France.
Elle affectionne la forme courte qui lui a valu de nombreux prix dont la
présente novella qui a remporté la triplette Hugo-Nébula-Asimov.
Les autorités d’un Empire imaginaire chargent Kit Meinem
d’Atyar, architecte réputé, de construire un pont au-dessus d’un fleuve
gigantesque. L’entreprise est périlleuse car une brume dangereuse en parcourt
le lit et des créatures mystérieuses la sillonnent. Des bateliers assurent traditionnellement
et au péril de leur vie un lien commercial entre les villes des deux rives
Procheville et Loinville. Au départ sceptique, la population prend ensuite fait
et cause pour le projet.
Tous les bateaux ne naviguent pas sur l’eau. C’est le
privilège des littératures de genre que d’imaginer des solutions alternatives.
Bruce Sterling faisait flotter des baleinières dans des océans de poussière
(1). Robert F. Young concevait des baleines spatiales que les humains tuaient
pour en faire des navires (2). Ce pont
sur la brume rappellera aussi à certains amateurs français (j’ai failli
écrire armateurs), un texte magnifique de Marcel Béalu dont Jean-Pierre
Andrevon avait retranscrit avec délectation un court extrait sur le site
noosfere. :
« Et maintenant il y avait ce pont à traverser, ce
seul pont jeté sur le fleuve pour atteindre une rive invisible. Qu'allez-vous
faire au-delà ? dirait l'autre voix plus terrible encore. Car ce pont est
une frontière et cette autre rive un autre monde. Et pour passer du l'un à
l'autre je devais affronter les deux sentinelles qui se confondaient de plus en
plus au brouillard et à la nuit. D'où je venais je le savais, mais ce que je
voulais au-delà, comment le dire ?
Ainsi soliloquant
j'approchai de l'entrée du pont et me trouvai bientôt à deux pas des gardes
dont la silhouette grandissante et la complète immobilité commençaient à me rassurer.
N'était-ce pas de simples statues de pierre ? Combien j'avais eu tort de
m'effrayer ! Et plus grand tort encore sans doute de tant me soucier à
propos de l'autre rive. Tandis que l'avançais d'un pas allègre, sous l'effet de
ce nouveau courage, la brume tout à coup se dissipa pour faire place à la nuit
étincelante, et, dès que j'eus traversé le pont, les fantômes vinrent à ma
rencontre. »
La narration s’appuie sur le personnage de Kit Meinem
d’Atyar, et son obsession des structures. L’édification du pont mais aussi l'itinéraire
de l’architecte occupent la plus grande partie du récit. Cet homme solitaire et
sensible se fait accepter assez rapidement par la population du fleuve. Il noue
une relation sentimentale avec une batelière, Rasali. Rasali, c’est un peu
Ondine (3), une jeune femme familiarisée avec les caprices de la brume, avec l’informe
et l’imprévisible. Mais aussi une figure à la fois pragmatique et fataliste.
Tous deux semblent avoir pris la mesure du Temps. La
réalisation de l'ouvrage enjambe les années, la traversée en bac du fleuve obéit à
des délais et des auspices connus de la seule compagne du héros. La brume
semble elle-même une métaphore du Temps, que l’on traverse sans encombre, où l’on
s’engloutit aussi. Le lecteur retiendra aussi l'image de cet homme secret qui s'efforce de jeter un pont vers les autres. On aurait bien aimé apercevoir les fameux Géants, mais ce
texte inclassable procure bien des satisfactions.
(1)
La baleine des sables
(2)
Baleinier de nuit
(3)
Naïade, et aussi titre d’une pièce de Jean Giraudoux
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