Ken
Liu - L’homme qui mit fin à l’Histoire : un documentaire -
Le Bélial’ Collection une heure lumière
Dans un futur proche, une physicienne nippo-américaine Akemi
Kirino met au point un dispositif permettant d’observer les événements du
passé, sans possibilité d’interférer avec eux. Le procédé comporte une faille:
les informations une fois visualisées disparaissent, et l’opération ne peut
être renouvelée. L’époux de la scientifique Ewan Wei, historien sino-américain
spécialisé dans le Japon classique, compte utiliser cette découverte pour
mettre en lumière les exactions commises par les troupes d’occupation
japonaises au cours des années 30 et 40 en Chine dans le district de Pingfang
au sein de que l’on appellera l’Unité 731. Mais pour les deux universitaires la
quête de la vérité se transforme en chemin de croix.
Comme Kurt Vonnegut et son Abattoir 5, l’écrivain Ken
Liu évoque par le biais d’une fiction, un épisode douloureux des guerres du XXè
siècle. Beaucoup de lecteurs découvriront avec stupeur l’existence de cet
Auschwitz asiatique dont le souvenir faillit s’éteindre dans un silence
coupable et complice imposé par MacArthur et le Japon. Dans l’Unité 731, des
Mengele japonais se livrèrent à des expérimentations biologiques et chimiques
sur des prisonniers chinois et coréens, voir à des vivisections.
Ken Liu a conçu un récit sous forme de documentaire, inspiré
d’une nouvelle de Ted Chiang. La narration est prétexte à deux réflexions, l’une
morale sur le devoir de mémoire, la seconde sur l’Histoire. Le parallèle avec
l’Holocauste et notamment sur les tentatives négationnistes court tout au long
du texte. L’écrivain n’écarte pas non plus la controverse juridique sur la
responsabilité des Etats et des peuples « Nos doctrines concernant la
succession des états dérivés du modèle westphalien n’ont aucune aptitude à
régler les problèmes soulevés par le professeur Wein » (1)
L’entreprise du professeur Wein qui envoie les descendants
des victimes visualiser les atrocités perpétrées sur leurs aînés, suscite des
débats et rencontre des résistances surgies de toutes part : étatiques,
individuelles, y compris de la part de collègues historiens Ceux ci lui
reprochent de privilégier une méthodologie fondée sur le témoignage et non sur
la documentation. (Page 82) On peut estimer sur ce tout dernier point que
l’auteur force le trait. Le procédé du témoignage a été utilisé par Claude
Lanzman dans son film Shoah, sans que quiconque lui reproche d’avoir
mis fin à l’Histoire.
L’assaut idéologique mené par les autorités contre l’avancée
scientifique de Akemi Kirino renvoie aussi au cas historique de Galilée. A ce
titre, L’homme qui mit fin à l’histoire doit se lire comme
« l’homme qui mit fin au mensonge » On le voit, le petit livre de Ken
Liu déborde d’idées. En filigrane de cette tempête conceptuelle et médiatique,
le lecteur suit la quête de vérité des époux Wein-Kirino. Comme leurs
homologues Klarsfeld, leur vie s'identifie à leur combat.
Ken Liu n’en finit pas d’exploser les compteurs
d’admiration. Par le vecteur de la science fiction ce jeune auteur explore les
puits mémoriels si douloureux soient ils En cette rentrée, on aimerait bien que
sa novella aille un peu bousculer les grosses badernes romanesques de la
littérature générale.
(1) L’auteur
américain opte pour la responsabilité des peuples. C’est pourtant au modèle
westphalien que se réfère Jacques Chirac dans un discours prononcé le 16
juillet 1995 lors de la cérémonie commémorant la rafle du Vel d'hiv du 16 et 17
juillet 1942, et qui met en exergue la continuité étatique française, rompant
avec la doctrine de la singularité du régime de Vichy soutenue par ses
prédécesseurs. :« ces heures noires
souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos
traditions. Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des
Français, par l'Etat français »
2 commentaires:
Bon ben il va falloir que je m'intéresse plus sérieusement au cas Ken Liu. Depuis le temps....
Je cherchais une idée cadeau pour un vieux fan de SF (et d'histoire !). Le Ken Liu m'a du coup tapé dans l'oeil. Excellent roman qui en dit beaucoup en très peu de pages ("le contraire de la Bible" pour citer un ami à qui je l'ai également conseillé). Merci pour ta chronique !
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