Thomas Day - Dragon - Le Bélial’ Collection Une heure lumière
Avec Dragon de Thomas Day, Le Bélial’ inaugure une
nouvelle collection « Une heure lumière » dédiée au format court ou
« novella » pour reprendre le terme anglo-saxon usité. A la suite d’autres confrères, l’éditeur expérimente, avec
succès espérons le, une formule qui offre le double avantage d’un coût modique
et l’opportunité de renouer avec le plaisir addictif de la lecture one shot .
Les volumes sont livrés sous des couvertures élégantes à rabat signées Aurélien
Police. Les premiers titres annoncés désignent des ouvrages primés d’auteurs renommés.
Dragon plonge le lecteur au cœur d’une métropole
asiatique que l’auteur connaît comme sa poche. Dans un Bangkok soumis à des
moussons récurrentes, un tueur en série s’attaque aux pédophiles. Le lieutenant
Tann Ruedpokanon, - dont le nom est une construction sémantique autour de
« Tanhauser Red Pokemon » (1)-, traque le criminel, avec pour mission
de diligenter l’affaire le plus discrètement possible. En effet si les
autorités combattent désormais des pratiques inacceptables, le tourisme sexuel
reste une activité tolérée en Thaïlande, comme dans tout le sud est asiatique.
Le business avant tout. Tann n’échappe pas non plus à cette ambiguïté.
Homosexuel, il fréquente les ladyboys, appréciés des occidentaux. Le
tueur, connu sous le nom de Dragon, ne néglige en revanche aucune
publicité. Il laisse des cartes de
visite et s’autorise un meurtre en direct live.
Au-delà de l’intrigue, c’est d’abord une ambiance, un
exotisme que va goûter le lecteur : « L’air chaud et humide ruisselle
de l’épaisse couche de pollution qui couvre la mégapole sur trois mille
kilomètres carrés. Une atmosphère qui en vous serrant la gorge, sent la
nourriture bon marché, le curry rouge, les grillons grillés. La puanteur se
cache non loin, mais derrière, comme après digestion. La ville ne cesse jamais
de digérer : gaz d’échappement, tas d’ordure aux remugles piquant comme
des insectes, égouts saturés, rats qui trottinent le long des trottoirs. Sous
l’odeur qui monte du sol, on devine un réseau d’intestins rempli de merde à demi-liquide,
paresseuse, inlassablement repoussée vers la cité par la marée, par une mer
épuisée dans laquelle il serait suicidaire de se baigner, si polluée que sa
surface huileuse, mousseuse, brunâtre, n’évoque plus que les eaux brassées
d’une station d’épuration. Le Golfe de Thaïlande est une cuvette de toilette
géante … »
Comme dans tout polar qui se respecte, une
chasse à l’homme s’engage entre un policier expérimenté et déterminé et un
criminel presque omniscient. Tradition du roman noir oblige, les deux
s’insèrent mutuellement dans une boucle psychologique avec un final fantastique
original. Le roman avance à coups de courts chapitres aux numérotations non
consécutives. Le procédé a été déjà expérimenté par Ian M. Banks et Stéphane
Beauverger, sans convaincre. Autant lire dans l’ordre des pages. En tout cas ce
rythme favorise une forme de narration héritière de la noirceur des textes de
Jean Pierre Andrevon et des coups de poings de Jacques Sternberg pour lequel la
littérature était avant tout une affaire de Contes à régler.
Les ressorts du récit s’appuient sur la forte culture
cinématographique de l’auteur, David Cronenberg, en particulier. Le dialogue
entre Dragon et Susan Schwartz (« Prenez
le temps de respirer Susan, je suis loin de vous et jamais je ne vous ferai de
mal. Jamais ») évoque un échange entre Hannibal Lecter et Clarice
Starling.
Dans ce bon thriller exotico-fantastique qu’on pourrait
rapprocher des Chants de Kali de Dan Simmons pour l’évocation d’une cité
du Mal prédatrice d’enfants, Thomas Day rappelle l’insupportable silence des
agneaux qui croupissent dans les bordels asiatiques et, ajoutons à titre
personnel, sans oublier ceux qui pourrissent sur un théâtre de guerre ou au
bord d’une plage méditerranéenne.
(1) Tann dérivé de Tem, héros des Futurs mystères de
Paris de Roland Wagner ?
1 commentaire:
Aucun rapport entre Tann et Tem (vraiment aucun). Tann tire son nom (et son destin ?) de Tannhäuser, personnage d'opéra qui, libéré de Vénus, aspire à la liberté, la nature et l'amour de Dieu. Il est possible que dans Dragon Tann accède aux trois, mais de façon oblique...
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