Manfred Macx, le héros inaugural d’Accelerando,
préfigure l’homme nomade de Jacques Attali, version cyberpunk. Vivant en
mode connecté, c’est un créateur de concepts technologiques qui brevette
plusieurs fois par jour ses inventions, passe des ordres de ventes ou d’achats
pour ses multiples sociétés, et se fait rémunérer en services. Son e
business présente néanmoins des risques. Des mafieux débarquent inopinément
chez lui, son ex-femme lui réclame des sommes astronomiques et quelqu’un finit
par lui dérober son identité.
Les années qui suivent confirment cependant sa vision d’un
monde futur posthumanisé, où ses successeurs virtualisés explorent le cosmos au
delà d’un système solaire transformé en banque de données.
Charles Stross, écrivain britannique de premier plan, connu
pour sa virtuosité à télescoper les genres, est l’auteur d’ouvrages remarqués
comme Palimpseste ou le Bureau des atrocités. Son cycle des Princes
Marchands n’a pas été complètement traduit en France. Avec Accelerando,
il s’inscrit dans la lignée de William Gibson ou Greg Egan.
Dès les premières pages, le lecteur retrouve les senteurs de
Neuromancien : « Il ignore les boites de réception de
messageries instantanés, apprécie le répit d’une parenthèse de bas débit pour
déguster sa bière », bref le lâcher
prise en mode 2.0. Dans le XXIe siècle digital de Manfred, les flots de données
supplantent les contacts humains, tout s’opère à la vitesse éclair. Conçu comme
un fix up de nouvelles rédigées entre 1999 et 2004, Accelerando semble
inspiré par la bulle internet de ces années là. L’utopie d’une nouvelle économie numérique, d’une croissance perpétuelle et la production exponentielle de
microprocesseurs propulsent l’Humanité vers la Singularité promise par Vinge.
La description d’un monde survolté a déjà été pratiquée par
John Brunner entre autres. Dans Tous à Zanzibar, celui-ci alternait
intrigues et flash infos. Stross va plus loin et démarre son récit par un type
d’écriture qu’on pourrait qualifier de spam. Pas de contextualisation, pas
d’enchaînements, les événements ou plutôt les données s’enchaînent et sont
déversés sans trêve dans l’esprit du lecteur comme dans celui du personnage. Le
procédé fatigue à la longue. Parsemé d’idées fulgurantes, le charabia cyberpunk
- malgré un glossaire bien conçu - dissimule le fil conducteur du roman.
Une postface de Roland Lehoucq précise les limites scientifiques
de la validité de la notion de Singularité. Accelerando
comme d’autres fictions similaires fascine cependant. Dans son exacerbation
conceptuelle et stylistique, il traduit les efforts multi millénaires de l’Homme
pour se libérer des contraintes de la Nature et nous prépare à ce choc du futur tant espéré… à moins qu’un
changement climatique ne remette les compteurs à zéro.
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