Patrick Pécherot - Une plaie ouverte - Gallimard série noire
Patrick Pécherot est un journaliste et un auteur de la Série
noire plusieurs fois récompensé. Féru d’Histoire, ce disciple de Jean Meckert
et de Leo Mallet place l’intrigue de son dernier ouvrage Une plaie ouverte
au cœur de l’insurrection de la Commune de Paris.
Hasard des circonstances, le titre de ce beau livre, extrait
des paroles du Temps des cerises, chanson légendaire associée à la
Commune, résonne aujourd’hui involontairement et douloureusement, comme une
arrière saison de sang frappant une capitale depuis longtemps assagie, arpentée
par les bobos et les touristes qui accrochent leurs cadenas d’amour au Pont des
Arts, au mépris d’ailleurs d’une tradition de fièvre contestatrice qui vit les
parisiens briser à de multiples reprises leurs chaînes ces trois derniers siècles. Mais le sang se moque
de l’Histoire et les plaies de l’injustice ne demandent qu’à se rouvrir, les
monstres du 13 Novembre succédant aux tyrans d’hier.
Librairie Charybde: P. Pécherot interviewé par la Salle 101 |
Le héros du roman, Marceau, que l’on suit à diverses
époques, appartient à un petit groupe de révolutionnaires fers de lance de
l’insurrection qui succéda à la défaite de Sedan en 1870. Ils se nomment Jules
Vallès, le peintre Courbet, Dana, Manon etc… Après la victoire des Versaillais, Dana s’enfuit et Marceau s’efforce de
retrouver sa trace. Il le soupçonne d’avoir participé à la fusillade de la rue Haxo et d’avoir
tenté de détourner l’argent de la solde des gardes nationaux. Bien des années
après la Commune, cette quête devient obsessionnelle. L’ancien communard croit
reconnaître son ancien ami dans un des tous premiers westerns tournés par la
société Edison.
Patrick Pécherot prouve avec ce roman noir historique, que
la littérature de genre, en mal de reconnaissance auprès des notables de la
profession, peut être la littérature qui mélange les genres. Quel bonheur
d’avoir osé prolonger l’odyssée communarde dans l’Ouest américain et d’avoir
en quelque sorte abouté une utopie ouvrière et républicaine avec les mythes d’une
jeune nation ! Dana participe d’ailleurs à un exode massif qui verra les compagnons rescapés de Marceau
croupir dans les bagnes de Nouvelle-Calédonie ou de Guyane et Rimbaud traîner
ses semelles de vent en Ethiopie. Des parentèles incroyables surgissent
inopinément ; Louise Michel et Calamity Jane deviennent sous la plume de
l’auteur sœurs pétroleuses. Tout cela n’est pas forcément illogique ou délirant
(quoique …), en témoigne le coup de théâtre final surprenant.
Une plaie ouverte offre également une réflexion sur les
mensonges de l’Histoire, via l’image et ses supports naissant, la photographie
et le cinéma. Les trucages en tout genre ne sont pas l’apanage de l’ère numérique
mais apparurent dès la naissance du 7ème art. La Commune en fournit l’exemple
avec les clichés d’Eugène Appert dont celui représentant la fusillade des
généraux Lecomte et Thomas (1). Comme le rappelait la Salle 101 lors de
l’interview de l’écrivain, bon nombre d’instantanés photographiques célèbres s’avèrent
le fruit d’une composition. Le photographe ne voit que ce qu’il veut.
Le roman est découpé en courts chapitres, comme ces récits
de veillées au cours desquels on tisonne les souvenirs avant de reprendre la
parole. L’écriture de Patrick Pécherot semée de fantômes, sonne bien en bouche.
Il y a quelque chose de Modiano dans l’énumération des errances géographiques
et mémorielles de Marceau, mêlé à la gouaille du peuple de Paris d’alors. L’intrigue
et sa résolution surgissent lentement comme un cliché argentique dans un bain
révélateur.
Il ne reste plus qu’à saluer l’auteur de ce livre épatant, Patrick
Pécherot, chantre, pour paraphraser Gainsbourg, des utopies mortes qui n’en finissent
pas de mourir.
(1) voir à ce sujet le roman de Jean-Philippe Depotte
le crâne parfait de Lucien Bel publié aux éditions Denoël
Lunes d’encre
Texte légèrement retouché le 21/07/2022
3 commentaires:
Je ne suis pas un grand lecteur de polar (mon blog est le reflet de ce quasi-désert), mais ta chronique et l'émission Salle 101 (dont je suis un auditeur fidèle) me donnent (presque) envie de lire ce bouquin.
A.C.
Pareil. Mais celui-là a une dimension historique et est un peu transgenre, donc j'ai plongé dedans.
Une petite amélioration de ma conclusion (vive le numérique finalement)
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