Robert
Charles Wilson - Les Affinités - Denoël Lunes d’encre
La diversité de son
inspiration constitue un des plaisirs de lecture de l’œuvre de Robert Charles
Wilson. Quoi de commun en effet entre Bios,
Les fils du vent, A travers temps, ou Spin ? Peut-être des personnages en
déséquilibre, oscillant entre deux mondes. C’est le cas d’Adam Fisk, canard
boiteux d’une famille de notables vivant dans le Nord de l’état de New York.
Exilé au Canada à Toronto loin des foudres paternelles, il vivote en colocation
à la recherche d’un boulot de graphiste. Sa grand-mère, seul lien affectif et
soutien financier, décède. Il décide alors de poser sa candidature à l’une des vingt
deux Affinités. Ces nouvelles communautés, composées d’humains ayant des parentèles
psychologiques, ont vu le jour à la lumière des travaux d’un chercheur en
sciences sociales Meir Klein. Elles procurent sécurité et emploi à leurs membres.
L’admission se résume à une batterie de tests. Adam se voit affecté à
l’Affinité Tau.
Le monde communautaire
imaginé par R.C Wilson n’a en soi rien d’original. En effet les historiens et
sociologues ont depuis longtemps étudié ces éruptions grégaires qui ont pour
nom groupes d’opinion, loges maçonniques, clubs de pensées et aujourd’hui
réseaux sociaux.Mais, caractéristique
propre à la littérature de science fiction, l’auteur pousse son propos dans ses
derniers retranchements et, cerise sur le gâteau, nourrit un débat sur le
communautarisme qui fait rage dans l’Hexagone.
Pour autant Wilson
n’emprunte pas les traces du vieil Asimov en substituant le concept de
teleodynamique à celui de psychohistoire. Certes il anticipe l’émergence d’inévitables
conflits résultant de la fragmentation
d’une société en groupes d’intérêts opposés, mais il opte comme souvent pour
une narration intimiste prétexte à une étude de mœurs, dans laquelle « la
tranche » c'est-à-dire la branche locale de l’Affinité où réside Adam Fisk
tient lieu de famille d’accueil. Il y règne un esprit de tolérance typiquement
Tau - et sixties californiennes -, autorisant partenaires sexuels multiples et
fumette. Seule obligation, respecter le devoir de solidarité.
En délaissant sa famille
biologique au profit d’une famille choisie, Adam préfigure l’individu
communautaire de demain. Qu’est ce qu’être au monde ? Dans une langue inspirée,
Wilson l’exprime ainsi en page 91 :
« Ce que je voulais lui dire c’était :
comme toi Jenny je me suis toujours imaginé qu’il devait y avoir une place pour
moi dans le monde. Tu sais de quoi je parle. Tu marches dans la rue par une
nuit d’hiver si froide que tes pas sur le trottoir plein de neige font un bruit
de verre pilé, de la lumière jaune s’échappe des maisons inconnues et tu
surprends un moment d’une banalité exquise – une petite fille qui met la table,
une femme qui fait la vaisselle, un homme qui tourne les pages d’un
journal ; il te vient alors l’idée qu’en franchissant la porte d’entrée de
cette maison, tu pourrais avoir une existence flambant neuve, les gens à
l’intérieur te reconnaîtraient et te feraient bon accueil, tu t’apercevrais que
tu connaissais depuis toujours cet endroit et que tu n’en étais jamais vraiment
parti. »
Alain Dorémieux disait de
Sturgeon que « le secret d'un écrivain qui réussit à avoir un large
public, c'est la faculté d'écrire une histoire comme s'il s'agissait d'une
lettre, et d'une lettre adressée à une personne précise ». C’est ce
que réalise Robert Charles Wilson avec Les
Affinités.
2 commentaires:
Superbe chronique camarade
Ubik
La tienne est pas mal foutue non plus ...
Enregistrer un commentaire