Boualem Sansal - 2084 - La fin du monde - Gallimard
« La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien
n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité »
Boualem Sansal est un écrivain algérien d’expression
française, tour à tour enseignant, chef d’entreprise ou haut fonctionnaire.
Elaborant une réflexion politique sur son pays natal, il entame à partir de
1997 une carrière de romancier et de polémiste qui lui attire la fois les
foudres de la censure et l’attribution d’un nombre impressionnant de prix
littéraires en France et en Allemagne, dont les deux derniers figurent sur le
bandeau rouge du présent volume.
Son nouvel ouvrage, 2084, se situe dans la lignée du
célèbre 1984 de Georges Orwell. Il y est question d’un immense pays, l’
Abistan, aux frontières inconnues, gouverné par une théocratie
impitoyable. Sous l’autorité du Dieu
Yölalh et de son Prophète (ou Délégué) Abi, elle exerce une surveillance
physique et morale de tous les instants sur la population. La pensée est
interdite, la foi ne suffit pas. Les autorités religieuses exigent
l’acceptation et la soumission. Le
gouvernement de la Juste Fraternité et son bras séculier « l’Appareil
» sondent les esprits, encouragent la délation, châtient les hésitants et
les arrogants.
Le héros du récit, Ati, est soigné pour une tuberculose dans
un sanatorium en haute montagne. Confronté à l’âpreté des lieux et au temps
long des malades, il en vient petit à petit à remettre en question l’ensemble
de ses certitudes et à jeter un œil neuf sur son monde, un peu à l’image de
Hans Castorp personnage principal de La Montagne Magique. Redescendu
dans la capitale Qodsabad il réintègre un temps ses anciens modes de pensée,
avant de couper définitivement les ponts.
George Orwell avait bâti son fameux roman en s’appuyant sur
les modèles dictatoriaux fournis par le nazisme et le stalinisme. Boualem
Sansal fait de même en s’inspirant cette fois des extrémismes religieux actuels
et en prolongeant 1984 par une astuce narrative. On retrouve les
appauvrissements de la novlangue à coup de concaténation - jobé pour jour béni
-, l’usage de la contradiction - Allons mourir pour être heureux -, la
réécriture constante de l’Histoire, voir des Textes sacrés. L’auteur insiste
sur la tentation du monde immobile, du Dieu immobile, de l’abolition de la
pensée au profit d’autorités religieuses mues par un désir de pouvoir absolu,
préoccupations bien éloignées de la Foi et des questionnements théologiques.
A la différence de son aîné, Boualem Sansal laisse une timide
porte ouverte à l’espérance. 1984, en
un cercle parfait, est une dystopie qui se referme sur l’anéantissement moral de
Winston, 2084 dans sa dernière partie
vire au roman post apocalyptique. Contre la dictature du présent éternel, le
passé donne les clefs de la compréhension et d’un éventuel salut. Le message
lancé aux démocraties actuelles est on ne peut plus clair.
L’ouvrage de ce disciple d’Orwell et de Camus que l’on
verrait bien nobélisé, est un des points forts de la rentrée littéraire.
Gallimard a publié au mois d’Août un Quarto de ses meilleurs écrits.
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