samedi 5 décembre 2015

2084 - La fin du monde



Boualem Sansal - 2084 - La fin du monde - Gallimard


« La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité »




Boualem Sansal est un écrivain algérien d’expression française, tour à tour enseignant, chef d’entreprise ou haut fonctionnaire. Elaborant une réflexion politique sur son pays natal, il entame à partir de 1997 une carrière de romancier et de polémiste qui lui attire la fois les foudres de la censure et l’attribution d’un nombre impressionnant de prix littéraires en France et en Allemagne, dont les deux derniers figurent sur le bandeau rouge du présent volume.

Son nouvel ouvrage, 2084, se situe dans la lignée du célèbre 1984 de Georges Orwell. Il y est question d’un immense pays, l’ Abistan, aux frontières inconnues, gouverné par une théocratie impitoyable.  Sous l’autorité du Dieu Yölalh et de son Prophète (ou Délégué) Abi, elle exerce une surveillance physique et morale de tous les instants sur la population. La pensée est interdite, la foi ne suffit pas. Les autorités religieuses exigent l’acceptation et la soumission.  Le gouvernement de la Juste Fraternité et son bras séculier « l’Appareil  » sondent les esprits, encouragent la délation, châtient les hésitants et les arrogants.
Le héros du récit, Ati, est soigné pour une tuberculose dans un sanatorium en haute montagne. Confronté à l’âpreté des lieux et au temps long des malades, il en vient petit à petit à remettre en question l’ensemble de ses certitudes et à jeter un œil neuf sur son monde, un peu à l’image de Hans Castorp personnage principal de La Montagne Magique. Redescendu dans la capitale Qodsabad il réintègre un temps ses anciens modes de pensée, avant de couper définitivement les ponts.

George Orwell avait bâti son fameux roman en s’appuyant sur les modèles dictatoriaux fournis par le nazisme et le stalinisme. Boualem Sansal fait de même en s’inspirant cette fois des extrémismes religieux actuels et en prolongeant 1984 par une astuce narrative. On retrouve les appauvrissements  de la novlangue  à coup de concaténation - jobé pour jour béni -, l’usage de la contradiction - Allons mourir pour être heureux -, la réécriture constante de l’Histoire, voir des Textes sacrés. L’auteur insiste sur la tentation du monde immobile, du Dieu immobile, de l’abolition de la pensée au profit d’autorités religieuses mues par un désir de pouvoir absolu, préoccupations bien éloignées de la Foi et des questionnements théologiques.

A la différence de son aîné, Boualem Sansal laisse une timide porte ouverte à l’espérance. 1984, en un cercle parfait, est une dystopie qui se referme sur l’anéantissement moral de Winston, 2084 dans sa dernière partie vire au roman post apocalyptique. Contre la dictature du présent éternel, le passé donne les clefs de la compréhension et d’un éventuel salut. Le message lancé aux démocraties actuelles est on ne peut plus clair.

L’ouvrage de ce disciple d’Orwell et de Camus que l’on verrait bien nobélisé, est un des points forts de la rentrée littéraire. Gallimard a publié au mois d’Août un Quarto de ses meilleurs écrits.

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