Orhan Pamuk - Mon nom est rouge - Folio
Le troisième volet de la série de chroniques consacrées aux
romans dont l’objet est la peinture, s’ouvre sur les rives du Bosphore à la fin
du XVIe siècle. Cela devrait réjouir les lecteurs de La maison des derviches qui
se souviennent de la marchande d’art Ayse admiratrice de « la calligraphie divine des scribes
coraniques ». Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006, ressuscite dans Mon nom est Rouge l’univers des
miniaturistes, enlumineurs et calligraphes dont l’art illumina les empires
Perse, Mongol et Ottoman. On a peine à l’imaginer aujourd’hui au vu des
destructions infligées en Afghanistan et en Irak, mais, comme l’écrit Dominique
Raizon à propos de l’ouvrage 1000 ans de
poésie et de peinture, « Les peintres, de confession musulmane, ne
s’interdisaient pas la représentation humaine et, aux côtés des peintures de
cour rendant hommage à de valeureux guerriers, ou célébrant des rois et des
princes, on trouve des scènes de courtoisie, de scènes d’amour physique très
osées »
Le récit démarre avec l’assassinat dans la ville de
Constantinople, de Monsieur Délicat, enlumineur au service
de « L’Oncle ». Il était chargé avec d’autres peintres de la
réalisation d’un portrait du Sultan à l’occidentale. Cette commande attise la
tension des artistes car les libertés picturales prises par leurs homologues
vénitiens s’accordent mal avec les règles édictées par les autorités
religieuses. Alors que le meurtrier poursuit son œuvre, un autre collaborateur
de L’Oncle, Le Noir, s’efforce de conquérir le cœur de la belle
Shékuré dont le mari est présumé disparu en guerre. Le thriller se double d’une
intrigue amoureuse dont les aboutissants seront révélés 700 pages plus loin…
Mon nom est Rouge
est organisé autour d’une narration à plusieurs voix. Chaque personnage,
désigné par son nom en tête de chapitre - le surnom en fait, car même
l’assassin s’exprime et il ne faut pas tuer le suspens - raconte l’action à
laquelle il prend part ou dont il a été le témoin. Thriller d’abord, le roman
plonge le lecteur dans l’histoire des miniatures et l’évocation d’ouvrages
célèbres comme le Châh-Namé, Livre des rois du poète persan Ferdowsi, de peintres fameux
dont le grand Behzad (ou Bihzâd) et de légendes comme l’amour de Shirin et Khosro
qui a inspiré à Orhan Pamuk le couple Shékuré-Le Noir. C’est aussi une réflexion comparative
sur l‘art pictural oriental et occidental, l’un s’appuyant sur la tradition et
rechignant aux innovations, l’autre à la recherche de nouveaux espaces, avec en
point d’orgue cette opposition entre la
perspective signifiante (1) et la perspective italienne « géométrique »,
- ce qui fait dire au Maitre Osman que l’Occident privilégie la forme à la
signification. Cela donne de magnifiques pages, comme la mort de l’Oncle ou
l’incursion de Maitre Osman et de Le Noir dans la bibliothèque du Sultan. La
peinture devient Univers, célébration des œuvres de Dieu. Mais cette prose
chamarrée et digressive peut à la longue lasser.
Les personnages féminins de Shékuré et Esther, commère et
entremetteuse, mettent un peu de vie dans une narration assez sombre et
inclinent le roman sur le registre de la comédie. L’amateur de thriller
trouvera par contre la sauce un peu épaisse.
(1)
Perspective signifiante : la taille des
personnages ou objets dépend de leur importance religieuse ou sociale et non de
leur position dans l’espace pictural
3 commentaires:
Je tombe par hasard sur votre chronique..Je ne connaissais pas ce roman de Pamuk. Je lis en ce moment"La vie nouvelle".Il s'agit d'un homme dont la vie entière a été bouleversée par un livre.
Sur l'Orient, il faut que je plonge aussi dans les œuvres de Amin Maalouf (Manu va me faire les gros yeux)
Par contre je ne connais pas "La vie nouvelle"
Oui Amin Maalouf c'est très bien aussi si vous aimez l'atmosphère orientale.
Oui c'est aussi sur le blog de Manu,l'un de mes blogs préférés. 🙂
Je retiens votre présentation sur ce roman de Pamuk.
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