Wang
Anyi - Le Chant des regrets éternels - Picquier Poche
Le Chant des regrets éternels prend place parmi les classiques de la
littérature chinoise. Combien d’autres ouvrages romanesques de l’Empire du
Milieu restent à traduire, malgré les efforts d’éditeurs comme Picquier ?
C’est à ce dernier que nous devons d’ailleurs l’essentiel des notules
biographiques éparpillées sur le Net concernant Wang Anyi. Les plus chanceux
ont pu l’apercevoir au Salon du Livre 2014 dont la ville de Shanghai était
l’invitée d’honneur. L’auteure née en 1954 est issue d’un milieu intellectuel.
Ses parents ont traversé tant bien que mal les dix années terribles de la
Révolution Culturelle. Elle-même fut envoyée dans un camp de rééducation dans
la Province du Anhui. Elle fait allusion sans détour à cette période dans son célèbre roman. Aujourd’hui installée
dans sa métropole favorite, elle préside l’association des écrivains de
Shanghai.
Roman des illusions
perdues, Le Chant des regrets
éternels retrace l’existence de Wang
Ts’iyao, décrite comme l’archétype de la femme shanghaienne, des années 1940
aux années 80. L’ouvrage est divisé en trois époques correspondant aux étapes
clefs de la vie de Ts’iyao, depuis les années de lycée et de concubinage avec le
Directeur Li, puis la période d’existence dans la rue Ping’anli jusqu'à la fin de la Révolution Culturelle et la disparition des amis d’enfance.
La dernière partie voit surgir les tribulations d’une nouvelle génération, dont
la propre fille de Ts’iyao, jusqu’ à la mort tragique de l’héroïne.
Le récit s'ouvre sur les années de lycée de la jeune fille, dont le charme attire un petit cercle d'amis qui l'entraine un jour dans des studios de cinéma. Elle tourne sans succès un bout d'essai, mais un photographe la remarque et publie quelques photos d'elle dans des magazines de mode. Sur sa lancée, elle se présente au concours de Miss Shanghai où sa beauté calme attire tous les regards et fait d'elle une sorte d'icône. La suite de son existence sera à l'image de ces starlettes qui sombrent dans l'oubli aussitôt les projecteurs éteints. Ts'iyao n'est pas un personnage balzacien, animé par une ambition sociale, mais plutôt une de ces jeunes filles en quête de bonheur et soumise aux caprices d'un destin imprévisible.
Difficile de trouver une
ascendance littéraire au Chant des
regrets éternels dont l’écriture ciselée, délicate semble puiser aux
sources mêmes des poésies des dynasties Tang ou Song. La beauté de ce roman
réside paradoxalement dans sa lenteur, les émois de l’âme trouvent un prolongement
dans les lacis du Fleuve Bleu ou un clair de lune. Cependant tout ramène à Shanghai,
à ses ruelles discrètes, ses pigeons, ses lauriers-roses. Faille de
tranquillité au sein des séismes de l’Histoire Chinoise, elle parvient à
préserver - temporairement - l’intimité
de ses habitants. Entre tous et toutes, Ts’iyao
et son qipao traditionnel rose, sa beauté discrète incarnent la femme idéale
shanghaienne et chinoise. Les mots persévérance
et courage reviennent souvent à la lecture des épreuves traversées par celle-ci.
Le Chant des regrets éternels
est le roman de la dignité et de
la solitude d’une femme libre qui compose avec les péripéties et les déceptions
de son existence. Les hommes ne tiennent qu’un rôle secondaire ou plutôt se
dérobent. Les caractères forts comme le Directeur Li brillent par leur absence,
la timidité de M Tch’eng fait écho à la lâcheté de Mingsiun. Epouses et concubines
en sont les principales victimes.
Tamasaburo Bando dans Le pavillon aux pivoines |
Entre tous les personnages décrits dans le roman, le trio amoureux formé par Ts’iyao, Lili et M Tch’eng marque les esprits. Ce dernier, photographe de son état et secrètement amoureux de l’héroïne la pousse à se présenter au concours de Miss Shanghai. Ts’ iyao reste pour lui une image inaccessible fixée sur pellicule, en témoigne cette scène remarquable où il contemple le reflet de l’être aimé dans un verre à la terrasse d’un café. Lili, amie de la première heure de Ts’iyao lui reproche d’avoir pris le cœur de M Tch’eng. Elle aussi subira une fin tragique, à l’opposé de ses espoirs de jeunesse. Que de sombres destins endurés avec dignité !
Au
risque de lasser le lecteur il faudrait citer la description admirable de
Pont-des-Wou village emblématique de la Chine traditionnelle dans lequel vient
se réfugier un temps Ts’iyao au début du Livre II, ou, pages 387 à 390 la relation
d’une veillée rue Ping’anli au sein de la nuit protectrice et de ces petits
riens de l’existence: « ces insignifiances [qui] ne méritaient
aucun dédain, car bien que poussières ce monde, elles dansaient dans les rayons
du soleil, dès son lever. »
Autant
La ballade de l’impossible de Haruki Murakami est le chef d’œuvre de la
jeunesse éternelle, autant Le Chant
des regrets éternels de Wang Anyi
est le chef d’œuvre de la nostalgie des jours enfuis. Comme un dernier
adieu à Ts’iyao, voici La mort du cygne (The Dying Swan) interprété par Maia Plitsetskaya.
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