vendredi 6 mars 2015

Les Scarifiés



China Miéville - Les Scarifiés - Pocket Fantasy


Les Scarifiés constitue le deuxième volet d’un cycle de fantasy consacré à la cité de Nouvelle-Crobuzon. Le présent ouvrage a certes pour cadre une ville franche, maritime, nommée Armada, mais la fameuse métropole, objet de ressentiment pour les uns, lieu nostalgique pour les autres, parcourt en filigrane les pages du livre et fournit le point de départ de l’intrigue, voir son aboutissement pour un des personnages. Ce triptyque, achevé avec Le concile de fer a en tout cas placé China Miéville au rang des tous meilleurs écrivains du genre et le désigne comme le maître de l’Urban fantasy.

Bellis Frédevin, linguiste de renom, fuit Nouvelle-Crobuzon. Plus ou moins mêlée aux événements décrits dans Perdido Street Station, elle embarque dans le Terpsichoria. Mais des pirates arraisonnent le bateau et évacuent les passagers, au nombre desquels figurent des esclaves - les Recréés - dans une ville flottante, conçue à partir d’un assemblage de navires (1). Les bannis intègrent avec reconnaissance Armada, dont l’organisation sociale s’inspire des sociétés de pirate des mers caraïbes. Tous ne partagent pas cet enthousiasme, à commencer par Bellis et Silas Fennec, un espion à la solde de Nouvelle-Crobuzon. Armada est dirigée par un couple de flibustiers « Les scarifiés » secondés par un guerrier quasi-invincible Uther Dol. Ils entraînent leur communauté dans un périple mystérieux au bout du monde.

Ceux qui ont découvert l’œuvre de China Miéville avec Perdido Street Station, ne seront pas dépaysés. Ils retrouveront avec plaisir les races ou espèces peuplant Nouvelle-Crobuzon impliquées ici dans une aventure maritime, en découvriront d’autres, et goûteront à nouveau à cette écriture minutieuse, visuelle, sans faiblesse. En parcourant le précédent roman une double délectation s’emparait du lecteur : celle, bien connue des voyageurs de se perdre dans les grandes métropoles. China Miéville, qui a fréquenté Le Caire « mère du monde » ne dirait pas le contraire. Et enfin la joie de s'immerger dans la jungle d’un texte nourri d’images et d’inventions verbales.

Le plaisir, ici, sera différent. L’intrigue, plus cohérente malgré un coup de mou en milieu de volume, donne lieu à une véritable épopée s’étalant sur plus de 800 pages. Les personnages marquent durablement l’esprit. En cela Les Scarifiés dépasse Perdido Street Station. Avec Bellis, Miéville campe un être introverti, observateur, qui contient impitoyablement ses émotions. Les événements vont balayer cette forteresse mentale et projeter la linguiste au cœur de la mêlée. Sa nostalgie de Nouvelle-Crobuzon l’oppose à Tanner le Recréé. Celui-ci  s’est pris d’affection filiale pour le jeune Shekel, un ado qui fut son geôlier dans le Terpsichoria. Leur destin final arrachera des larmes au lecteur. Plus distants, Les Scarifiés et Uther Dol gardent leur mystère.

Illustration de l'Ile à hélice de Jules Verne
Cette fois les monstres ne surgissent pas du ciel mais des fonds des mers. Les escales ne sont pas non plus sans danger. Dans le genre « Eve cherche Adam » voici le début de l’attaque de la Femme Moustique : « … la première des Anopheliae émerge du couvert des arbres. Au pas de course. On dirait une femme pliée en deux, et repliée encore contre le grain de ses os, tordue, nouée en une position subtilement mauvaise. La nuque tournée trop loin, trop durement, les longues épaules osseuses ramenées en arrière, la chair d’un blanc de ver de terre, et des yeux immenses ouverts très grands. »

Vous lirez la suite dans Les Scarifiés, un roman extraordinaire.













(1) Pour l’anecdote, le plus gros de ces bateaux, le Grand Esterne, siège du pouvoir des Scarifiés, évoque irrésistiblement un navire ayant réellement existé, The Great Estaern, dont Jules Verne s’inspira pour rédiger Une Ville flottante et peut-être L’île à hélice.


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