Haruki
Murakami - Chroniques de l’oiseau à ressort - 10/18
Suivant la formule
consacrée, on ne présente plus Haruki Murakami écrivain de stature
internationale, dont l’œuvre se nourrit de réminiscences de littérature
traditionnelle japonaise ou occidentale, voir de manga. On peut se demander
cependant au vu de ses derniers opus, IQ84 notamment, si le
meilleur de sa production n’est pas derrière lui.
Paru au Japon sept ans
avant Kafka sur le rivage évoqué ici, Chroniques de l’oiseau à
ressort partage avec son successeur nombre de caractéristiques
communes : atmosphère onirique, personnages à la marge, ados
fugueurs, évocation des années de guerre…
Que ce soit dans la
course à pied ou la création littéraire, l’auteur travaille dans la longueur. Le
présent ouvrage compte plus de 900 pages, consacrées au quotidien de Toru
Okada, un chômeur vivant dans un quartier résidentiel de Tokyo. Marié à Kumiko,
rédactrice d’un magazine de nourriture bio, il ne s’empresse pas de retrouver
une activité professionnelle et endosse la tenue d’homme d’intérieur,
consacrant une partie de son temps à des activités ménagères. Sa vie prend
soudain une tournure étrange. Son chat, puis sa femme disparaissent. Pourtant
l’isolement ne le guette pas. Une inconnue lui passe des coups de téléphones
équivoques, il se lie d’amitié avec une adolescente excentrique, un vieux
monsieur lui raconte ses souvenirs de guerre en Mandchourie, une voyante riche
le prend sous son aile …Toru Okada n’a cependant qu’une idée en tête, retrouver
sa femme, quitte à affronter son inquiétant beau-frère, l’influent Noburu
Wataya.
L’oisiveté est la mère de
toutes les aventures. Réfugié dans sa maison, le héros de Chroniques de
l’oiseau à ressort rencontre toutes sortes de personnages et vit des
événements incongrus apparemment sans lien. Le 4eme de couverture évoque un
théâtre d’ombres. On imagine bien une adaptation théâtrale du roman. Le passif
Toru Okada trône au centre d’un monde dont les protagonistes s’éloignent ou
surgissent inopinément. Déréalisation, dépersonnalisation caractérisent
l’évolution de son état mental. S’il conserve une apparence sociale, sa vie se
déroule sur plusieurs plans d’existence, ce qu’on peut interpréter comme une
fuite devant le réel. Chez Murakami, les événements les plus cruels, comme ce
soldat dépecé en Mandchourie, alternent avec des expériences de vie intérieure.
Il y a chez cet écrivain, un doute permanent de la réalité. Il en résulte une
atmosphère fantastique, à l’image de ces vieux contes japonais dont les héros
affrontent des fantômes. Voilà en définitive la filiation de Chroniques de
l’oiseau à ressort qui sous les oripeaux de la modernité raconte la lutte
d’un homme contre des démons pour retrouver sa bien-aimée.
On ne terminera pas cette
chronique sans évoquer le soin avec lequel Murakami bâtit ses personnages. Ce
n’est pas pour rien que certains se réfugient dans des puits pour réfléchir à
leur existence. Okada, Kumiko, les sœurs Kano aux prénoms d’îles méditerranéennes
sont eux mêmes des puits, dissimulant des enfances difficiles, des fragilités
enfouies. Entre toutes ces figures May Kasahara adolescente fugueuse, fantasque, courageuse, enthousiaste
et confidente du pale Toru Okada, remporte tous les suffrages. Une vraie héroïne
de manga. Chroniques de l’oiseau à ressort mérite sa réputation.
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