jeudi 3 octobre 2024

Le Bracelet de Jade

Mu Ming - Le Bracelet de Jade - Argyll - RéciFs

 

 

En l’an 1640, époque où la dynastie chinoise Ming s’apprête à s’effacer au profit de la dynastie Qing, le lettré Qi Youwen emmène sa petite fille Chen à la foire aux lanternes sur le Mont Dragon. Courant de lumières en lumières, la fillette croise la route d’un inconnu, qui lui remet un cadeau. Il s’agit d’un bracelet de jade dont l’intérieur finement ouvragé contient en son creux de fines peintures de paysages. Détail curieux, l’objet est torsadé comme un ruban de Möbius. Sa beauté finit par hanter autant le père amateur de jardins que sa fille dont les rêves s’emplissent de montagnes et de rivières.

 

Premier volume d’une nouvelle collection consacrée à des romans courts rédigés par des autrices, la novella de Mu Ming, newyorkaise née en Chine, ravit par son originalité et sa richesse. C‘est à la fois un récit issu de contes anciens comme Le Bracelet torsadé, de littérature de jardins, d’un très vieux poème utopique de  Tao Yuanming (365-427), La source aux fleurs de pêchers, qui raconte la découverte par un pêcheur d’une vallée paradisiaque dont il perdra trace ultérieurement - et une spéculation inspirée de la géométrie riemannienne (ruban de Möbius, bouteille de Klein).

  

Il est beaucoup question de jardins et de peinture dans cette fiction. L’idée « de reproduire dans ce qui est fini la nature infinie du ciel et de la nature » renvoie à « L’Aleph » de Borges, de même que l’entremêlement d’un paysage et de sa représentation évoque le meilleur texte des Nouvelles orientales de Marguerite Yourcenar. Le vide taoïste, aux sources de l’art célébré par le père de Chen, ne voisine-t-il pas avec avec son équivalent quantique dont les fluctuations énergétiques créent la matière ? On n’en finit pas de rêver autour de ce récit comme dans les meilleures productions de Greg Egan.

  

Mais il n’est pas interdit de reposer les pieds sur terre et d’apprécier tout simplement la biographie d’un lettré et haut fonctionnaire chinois, homme bon et juste, qui las du désordre du monde et des avanies subies par son peuple, décide de cultiver son jardin. Vous avez dit Voltaire ? Enrichi d’un paratexte très intéressant, ce petit volume entame en fanfare la nouvelle collection de l’éditeur Argyll.

5 commentaires:

Christiane a dit…

Quelle beauté...
Il faudra laisser longtemps ce billet et ses longues ramifications (liens).
Ce n'est pas seulement une histoire, c'est toute une civilisation ancienne sa philosophie son art qui viennent à nous...
Merci, Soleil vert.
C'est un grand temps immobile sur votre blog.

Soleil vert a dit…

Bonsoir Christiane, cela faisait longtemps que l'on n'avait pas échangé; les fiches de lecture surgissant ça et là comme des rochers dans le cours du fleuve de la vie

Christiane a dit…

Mais de temps à autre, il y a ces pauses magiques où quelque chose d'indicible émane de votre écriture. Beauté et bonté...
Alors je ne suis plus sur un blog mais près d'un lecteur, vous. Et j'écoute...
Il y a d'abord un silence car les mots viennent de loin. "Ils remontent le cours du fleuve de la vie".
Tige élancée et feuilles fines du bambou, droiture et élévation. Le creux dans la tige, vide, plein d'humilité. Une brise douce. Le bambou chante... Je vous imagine assis, méditant au milieu des bambous... Calligraphie...
François Cheng disait aux Bernardins :
"En Chine, depuis l'Antiquité, résonne une brève phrase que les Chinois se transmettent de génération en génération, phrase qui tire son origine du "Livre des Mutations", le "Yi Jing", premier ouvrage de la pensée chinoise, rédigé mille ans avant notre ère.
Cette phrase, quatre caractères : "Sheng-sheng-bu-xi", ce qui signifie : "La vie engendre la vie, il n'y aura pas de fin."
C'est cette maxime qui a permis au peuple de survivre à tous les conflits meurtriers et à toutes les catastrophes."
Bonne soirée, Soleil vert.

Christiane a dit…

生生不息
shēng shēng bù xī

Christiane a dit…

Terrible conjugaison à l'imparfait pour celui qui est mort
Soudain on entend : "Il était...."
La mort sépare le présent du passé en une nuit....