lundi 26 mai 2025

Les villes invisibles

Italo Calvino - Les villes invisibles - Folio

 

 

 

Tour à tour écrivain néo-réaliste, conteur ou fabuliste, Italo Calvino dévoilait en 1972 avec Les villes invisibles, une autre facette prismatique de son talent. Inspiré de l’ouvrage Le Devisement du monde de Marco Polo, Les villes invisibles se présente comme un dialogue imaginaire entre Polo et l’empereur Kublai Khan au cours duquel le natif de Venise dresse l’inventaire des cités rencontrées durant ses voyages, cités toutes aussi imaginaires (1) que les paroles échangées entre les deux personnages.

 

Le roman (le recueil ?) déploie une suite de textes courts, des poèmes en prose si l’on en croit l’auteur dans une conférence donnée en postface. Chaque ville est nommée, mais pour les identifier Calvino a recours à une taxinomie élaborée autour des thèmes du nom, du désir, des signes, de la mort, des yeux, du ciel etc. Enfin des échanges entre le souverain et le voyageur charpentent l’énumération.

 

Difficile de ne pas évoquer en parcourant ou en feuilletant ce volume à la manière d’un recueil de poésie quelques lectures comme Les Cités obscures de François Schuiten et Benoît Peeters, un roman plusieurs fois cité ici ou, osons, Les Insulaires de Christopher Priest qui cartographiait un archipel fictif à la manière d’un guide touristique, sans affect, procédé renforcé par l’écriture sèche habituelle du britannique décédé en 2024. Cependant en lisant les premières lignes consacrées à Aglaura, « Je ne saurais te dire à propos d’Aglaura davantage que ce que les habitants eux-mêmes répètent depuis toujours : une série de vertus proverbiales, des défauts tout aussi proverbiaux, une certaine bizarrerie, un respect pointilleux des règles. », la figure de Francis Ponge et les fabulations du Parti pris des choses, remontent à la surface.

 

Copyright François Schuiten et Benoît Peeters

Surprise, voilà surgir Borges à l’évocation d’Isadora et au détour d’un procédé de renversement :

« L'homme qui chevauche longuement par des terres sauvages, le désir d'une ville le prend. Il finit par arriver à Isidora, ville où les palais ont des escaliers en colimaçon incrustés de coquillages, où l'on fabrique avec art des longues-vues et des violons, où, quand un étranger hésite entre deux femmes, il ne manque jamais d'en rencontrer une troisième, où les combats entre les coqs dégénèrent en bagarres sanglantes entre les parieurs. Il pen­sait à toutes ces choses quand il désirait une ville. Isidora est donc la ville de ses rêves: à une différence près. La ville rêvée le contenait lui encore jeune ; il arrive à Isidora déjà vieux. Sur la place, il y a le muret des vieux qui regardent passer la jeunesse; il se trouve assis parmi eux. Les désirs sont déjà des souvenirs. » A cet égard Isadora et Dorotea, prescriptrice des rêves de désert et d'autres lieux, sont en quelque sorte les Divinités de l’espace-temps.

 

Page 113 de l’édition Folio, Italo Calvino, par la voix de Marco Polo, lance un autre pavé : « Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise », arc réflexif qui renvoie à la psychogéographie de Guy Debord. Ailleurs Eudossia dont les quartiers sont géométrisés dans les motifs d’un tapis, illustre la confusion entre la carte et le territoire, thème que l’on retrouve sur l’échiquier de Kublai Khan, un empire réduit à soixante-quatre cases. Mais l’une des plus fascinantes de ces cités n’est-elle pas Eusapia, qui comporte sous terre sa copie mortuaire, Eusapia miroir des vivants et des morts ?

 

Ni véritablement utopiques ou dystopiques, les rêveries urbaines d’Italo Calvino lorgnent aussi vers Les voyages de Gulliver. A ceci près que, quand invoque autant d’allégeances, c’est qu’on est unique. Bienheureuse Italie qui tenait là tout à la fois son Swift et son Borges.

 

  

(1)   Encore que Leonia et Naples présentent une étonnante similitude


56 commentaires:

  1. Mais l’une des plus fascinante de ces cités n’est-elle pas Eusapia, qui comporte sous terre sa copie mortuaire, Eusapia miroir des vivants et des morts ?

    Nous attendons la lecture de Christiane pour nous faire une opinion à ce sujet. Bien à vous, cher calviniste émérite ! ... :-)

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  2. Mon roman préféré d'Italo Calvino recueilli comme un joyau rare dans ce billet. Quel charme... Laissez mes souvenirs remonter en bulles lentes du fond de l'étang de ma mémoire. Quelle joie, Soleil vert !

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  3. Soleil vert, vous touchez du mot le corps de l'énigme, "Venise" : "Italo Calvino, par la voix de Marco Polo, lance un autre pavé : « Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise ».
    C'est comme s'il y avait une profondeur superposant le sol et l'eau comme deux façons de la parcourir irréconciliables. L'une sur l'autre, l'une sous l'autre. Quelle merveille d'ambiguïté. Onze villes qui se superposent, se complètent, de lient par les mots, les questions.
    L'écrivain plonge dans ce fatras avec l'âme de Boutès pour entendre la musique qui tourne comme un manège dans son coeur. "Tous les moulins de son cœur"... Ses marches tracent un chemin féminin entre ces villes. Que c'est beau et ensorcelant...

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    1. Non pas onze villes mais 55 villes ! "Onze" ce sont les thèmes de classement de ces villes : désir, souvenirs, signes, etc.

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  4. Quel délice d'avoir choisi ces deux personnages qui hantent notre imaginaire, l'un naviguant, l'autre chevauchant et la halte, le dialogue pour mettre dans les yeux de l'autre, des étoiles.

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    1. https://memoirevive.besancon.fr/page/les-villes-invisibles-italo-calvino-illustre-par-trignac

      Trignac, ça ne se refuse pas !

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  5. C'est important car "Il se détachera petit à petit de la culture nomade mongole pour se rapprocher de celle, sédentaire, des Chinois.
    Il s’entoure de conseillers venus des confins de son empire. Des Perses, des Turcs, des Chinois, leur présence est la preuve de son ouverture d’esprit.
    D’ailleurs, Marco Polo, un aventurier vénitien, a servi l’empereur pendant 17 années."

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  6. Apparemment, CP est éblouie par votre nouveau billet, SV. Huit messages dans la foulée...
    Donc, nous aussi, hein !... Nos apprécions bcp cette merveilleuse influenceuse aux confins de son empire.. En le "refeuilletant", certes un peu jauni par le temps, on se replonge dans les villes et la mémoire, le désir, les signes, les échanges, le nom, les morts, le regard, le ciel, les villes continues comme les cachées.
    Mais laquelle est la pierre qui soutient le pont ? (Kublai Kahn).
    Sans pierre, il n'y a pas d'arc (Marco Polo)
    Bàv,

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  7. les internautes26 mai 2025 à 21:52

    Rappelons que le blog de SV n'enregistre pas les liens... Ce n'est peut-être pas plus mal, je pense, Marc.

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  8. Oh oui, je suis éblouie comme à la page 27. Imaginez vous arrivez dans cette ville nouvelle à dos de chameau, dodelinant... "Chaque ville prend sa forme du désert auquel elle s'oppose."
    Et le lecteur suit le conteur vers des oasis d'eau douce à l'ombre dentelée des palmiers...."
    J'ai repris le livre et je rêve à nouveau. Comme Soleil vert a bien préparé la route vers ce livre somptueux. Il a mis dans son billet outrés et besaces, dattes et fruits confits. La caravane des mots m'emporte vers Despina...

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  9. Dans "Les villes et la mémoire", il y a cet étrange aparté : " La ville rêvée le contenait lui encore jeune ; il arrive à Isadora déjà vieux." Marco Polo a donc vécu et marché longtemps. Ces souvenirs qu'il effiloche sont ceux d'un homme âgé. Un ton de mélancolie traverse le livre. On voit dans ses yeux ces villes qui naissent et s'effacent, se brouillent comme autant de souvenirs fugaces. Ainsi en est-il de cette mémoire involontaire qui parfois nous assaille habitant notre rêverie d'un mur, d'un arbre, d'une route , d'une poussière dorée un certain été ou de la pluie qui goutte à goutte efface l'encre de l'écriture. C'est un atlas imaginaire entrecoupé de dialogues profonds entre Marco Polo et le grand Khan. Je suis vraiment heureuse , grâce à ce billet, de relire ce grand rêve inachevé.

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  10. Et vraiment, ce passage est très très beau :
    "Sur la place, il y a le muret des vieux qui regardent passer la jeunesse : il se trouve assis parmi eux. Les désirs sont déjà des souvenirs."
    J'en ai les larmes aux yeux. Ils sont là partout dans les jardins ou les campagnes, sur un muret ou sur un banc, assis, le regard dans le vide parfois appuyés sur leur canne et ils se souviennent... Et parfois je suis assise auprès d'eux sans faire de bruit accueillant dans mon automne ces compagnons de route aux temps blanchies.

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  11. Vous permettez que je dise encore ?
    Là, cette amorce du dialogue entre Marco Polo et le Khan, c'est irrésistible. (p.38) Écoutez :
    "Et toi ? demanda Khan à Marco Polo. Tu reviens de pays aussi lointains et tout ce que tu sais me dire, ce sont les pensées qui viennent à qui prend le frais le soir assis sur le seuil de sa maison. A quoi te sert donc de tant voyager ?
    - Le soir est là, nous sommes assis sur les marchés de ton palais, il souffle un peu de vent, répondit Marco Polo. Quel que soit le pays que mes mots évoquent autour de toi, tu le verras (...)
    - Mon regard est celui de quelqu'un qui se trouve absorbé et médite, je le reconnais. Mais le tien ? Tu traverses des archipels, des étendues de toundra, des chaînes de montagnes. Cela reviendrait au même si tu ne bougeais pas d'ici."

    Comme s'ils faisaient ensemble un grand voyage immobile...

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  12. Il y avait sur la couverture de l'ancienne édition une reproduction d'une toile de Magritte : le château dans le ciel. Un château deviné posé sur un énorme rocher qui flotte dans le ciel. Une perplexité ressentie devant ce mariage de la légèreté et de la pesanteur comme ces villes invisibles de Calvino. Toutes de pensée donc aériennes mais toutes aussi de vraies villes traversées avec leur poids de pierres. Le poids d'un livre, ses feuilles, son encre et la pensée qui le traverse comme ce vent doux venu de loin. Ici, je pense à Flaubert....

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  13. C'était dans Madame Bovary. Emma et Rodolphe dans la carriole... "Le silence était partout; quelque chose de doux semblait sortir des arbres; elle sentait son coeur dont les battements...."
    Flaubert avait magnifiquement évoqué la montée du désir.

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  14. Quelle finesse dans l'exploration du souvenir, celui qu'on ne savait pas avoir :
    "Le voyageur retrouve un de ses passés qu'il ne savait plus avoir : l'étrangeté de ce que tu n'es plus et que tu ne possèdes plus t'attend au tournant dans des lieux étrangers et non possédés."
    C'est une avancée toute en négations comme "quelque chose qui avait peut-être été un de ses futurs possibles et se trouve désormais être le présent de quelqu'un d'autre."
    Khan pose la bonne question :
    "- Tu voyages pour revivre ton passé ?" Et aussitôt Calvino écrit :
    " - Tu voyages pour retrouver ton futur ?
    Et la réponse de Marco :
    - L'ailleurs est un miroir en négatif.'

    Comme Martin Rueff a dû se régaler en traduisant de l'italien ce beau roman... Il faut que je retrouve l'ancienne traduction, celle du Château dans le ciel achetée en 2013...

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  15. Quand le jeu entre eux s'inverse, quand c'est le Khan qui décrit la ville et Marco Polo qui doit la trouver, il n'y a pas plus de réussite car " les villes que Marco Polo visitait étaient toujours différentes de celles auxquelles pensait l'empereur."
    Comme pour nous. Les souvenirs que nous avons d'une ville ne seront jamais les mêmes que ceux d'un ami qui aurait traversé la même ville. Nous regardons avec le coeur, avec notre culture, nos souvenirs, avec cohérence par rapport à nous-mêmes. Avec, précise Marco Polo, notre état émotif, la légèreté du coeur nous faisant regarder plutôt ce qui est en haut et la tristesse, tête baissée, ce qui est en bas, le sol et dans les villes, les égouts le monde souterrain, l'ombre plutôt que la lumière. C'est un dialogue extraordinaire entre poésie et raison. Mille vies en une, une pour toutes les villes rêvées, mille pour tous les désirs abolis. Jeunesse de cœur dans un corps ébréché, vulnérable. Comme un chagrin de pouvoir se souvenir de ce qui n'est plus et qui a été. Comme un chagrin de ne pouvoir se souvenir de ce qui était désir et qui a fui.
    Il semble, à lire la postface qu'Italo Calvino classer ses souvenirs, ses notes dans des chemises bien référencées pendant des mois, des années et qu'ensuite, il utilisait cette matière dans ses romans. Une collection digne d'un cabinet de curiosités. Nous ne sommes pas loin de Francis Ponge, tant les descriptions sont précises et ... surréalistes. C'est aussi un florilège de poèmes.

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  16. Une suite discontinue de courts textes reliés par des coïncidences. Un courant court de l'un à l'autre, un lien subtil.
    Je suis fascinée, les yeux au ras des mots. La prose de Calvino remue lentement pleine de vibrations, d'ondes concentriques qui se dérobent en s'éloignant. Un écoulement qui va à l'encontre du temps. Le temps de la lecture et celui du surgissement des images résistent l'un à l'autre. L'un passe, l'autre s'attarde. Cette écriture c'est un lieu unique, un damier. Soleil vert parle de cases. Lui, le joueur d'échecs... L'espace mental crée le visible. Les mots glissent du visible à l'invisible et conduisent les lecteurs vers une ville insaisissable.

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  17. Dans votre lien ( cité), ce texte énigmatique de Miéville ( The City /The City) :
    "Où est il à présent ?
    - Comment je le saurais ? Ils ne courent pas le risque de l’observer. Tout ce qu’ils ont bien voulu dire, c’est qu’il s’est mis à marcher. Juste marcher, mais de façon à ce qu’on ne puisse pas déterminer ou il est."

    Comment c'est possible cela ? (J'ai lu le billet pour comprendre mais je n'ai rien compris au billet car le livre est redoutable.)

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  18. Quant au deuxième lien : (Christopher Priest – Les Insulaires – Denoël Lunes d’encre), la couverture du livre est belle, le billet passe de la cartographie des îles d'un archipel à celle des nuages... Encore un polar métaphysique où vous semblez à l'aise comme un poisson dans l'eau et moi mai à l'aise comme un poisson hors de l'eau !

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  19. Cette image présentée dans le billet est une splendeur. Sablier éventré. Sable coulant sans fin. Homme tentant de gravir cette montagne de sable comme Sisyphe devait tenter de gravir la sienne.
    Il semble selon la légende située sous l'image qu'elle soit extraite de la série des "Cités obscures", romans graphiques de François Schuiten et Benoît Peeters, offrant des illustrations époustouflantes.
    Un beau cadeau !

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    1. Le sablier... Le temps qui coule... L'homme ne peut ni arrêter le temps ni remonter le temps...

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  20. Oui, mais quand même, pour y comprendre quelque chose à ce roman-puzzle il faut remonter à l'origine. Khan demande à Marco Polo de voyager dans son vaste empire et de lui raconter ce qu'il voit. Le résultat est pour Khan, désarçonnant. Son ambassadeur - explorateur est un rapporteur un peu loufoque, un poète qui aime les énigmes dit la vérité selon son regard et son regard est décalé, tellement décalé qu'il aurait pu avoir la tête coupée comme dans le poème de Victor Hugo. Mais Marco Polo est aussi rusé que Shérazade car Khan est sous le charme et attend la suite - qui a défaut d'être précise a les charmes d'un conte et les astuces d'une devinette.

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    1. C'était très malin de choisir cet extrait du long poème de Victor Hugo. Sacré Soleil vert !

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    2. C'est sous le billet de dessous sur le Samouraï. Lecture que je vais reprendre maintenant que j'ai chanté la berceuse aux villes invisibles et qu'elles se sont endormies.

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  21. Page 107 : "Marco Polo décrit un pont, pierre après pierre.
    - Mais quelle est la pierre qui soutient le pont ? demande Kublai Khan.
    - Le pont n'est pas soutenu par telle ou telle pierre, répond Marco, mais par la ligne de l'arc qu'elles forment.
    Kublai Khan garde le silence, il réfléchit. Puis il ajoute :
    - Pourquoi est-ce que tu me parles des pierres ? Seul l'arc compte pour moi.
    Polo répond :
    - Sans pierres, il n'y a pas d'arc. "

    Je pense aux ponts gênois vus en Corse, à tous ces ponts de pierre en France, en Italie.
    Je cherche sur internet(architecture) Voilà ce que je comprends. La stabilité de l'arc de ces ponts dépendait de la compression exercée entre les pierres serrées les unes contre les autres. Des forces horizontales agissaient vers l'extérieur qui exigeaient l'édification de contreforts très lourds de chaque côté de l'arc .
    La structure était totalement instable jusqu'à ce que les deux travées se rejoignent au sommet. Une charpente en bois était construite. Elle permettait de mettre en place les pierres, puis était retirée.

    Donc, ils ont raison tous les deux ! Quel dialogue magnifique !

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    1. La pierre que cherche Kublai Khan est la clé de voûte.

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  22. Cette rencontre de Marco Polo et Kublai Khan m'évoque une autre rencontre dans une fiction qui m'avait fascinée celle de Nicolas Machiavel et Léonard de Vinci imaginée par Patrick Boucheron au XVIe siècle à Urbino avec également une folie d'architecture : canaliser l'Arno. J'aime ces fictions bâties sur un peu de vérité historique et beaucoup d'imagination.
    Ce blog est beau, Soleil vert. Il permet, sur fond de littérature de faire des sauts et gambades dans les étoiles et laisser la pesanteur de l'actualité.

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  23. « Je crois que j’ai écrit quelque chose comme un dernier poème d’amour pour les villes, dans un moment où il devient de plus en plus difficile de les vivre comme des villes. Si nous sommes peut-être en train de nous approcher d’un moment de crise de la vie urbaine, Les villes invisibles sont un rêve qui naît du coeur des villes invivables. » Italo Calvino.

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  24. Marco Polo raconte au Khan ses voyages, les villes qu'il a traversées. Une ville est absente, Venise.
    Italo Calvino prête ses paroles à Marco Polo :
    " - Sire, désormais, je t'ai parlé de toutes les villes que je connais.
    - Il en reste une dont tu ne parles jamais.
    Marco Polo baissa la tête.
    - Venise, dit le Khan.
    Marco sourit.
    - Et de quoi d'autre croyais-tu que je te parlais ?
    L'empereur ne cilla pas.
    - Et pourtant je ne t'ai jamais entendu prononcer son nom.
    Et Polo :
    - Chaque fois que je décris une ville, je dis quelque chose de Venise. (...)
    Les images de la mémoire, une fois fixées par les mots, s'effacent. Peut-être ai-je peur de perdre Venise tout d'un coup si je parle d'elle. Ou peut-être, en parlant des autres villes, l'ai-je déjà perdue peu à peu."

    C'est pour moi le centre du livre. Le jeune Vénitien cache dans son cœur, sa ville natale, tant aimée, Venise. Elle rayonne mystérieusement dans ce parcours poetique face au Khan dont l'empire s'écroule.
    C'est très beau. Il lui fait cadeau d'un rêve plus grand que le réel, né du réel mais s'en échappant comme un oiseau dont on a ouvert la porte de la cage.
    Pour faire le portrait d'une ville aurait écrit Prévert, effacez un à un les barreaux de la cage et laissez l'oiseau s'envoler...

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  25. Les villes et les yeux. Page 117 et suivantes.
    "Les ponts qui enjambent les canaux : ponts en dos d'âne, ponts couverts, ponts sur piliers (...) Fillide... Tout le reste de la ville est invisible..."

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  26. Ou encore, Les villes et les échanges.
    "Smeraldina.... Pour aller d'un endroit à un autre tu as toujours le choix entre le parcours terrestre et le parcours en barque. (...) des escaliers qui montent et qui descendent, des galeries, des ponts en dos d'âne ..."
    Partout Venise...
    "C'était une des nombreuses villes où je ne suis jamais arrivé et que j'imagine seulement à travers leurs noms (...) mon esprit contient toujours un grand nombre de villes que je n'ai pas vues et que je ne verrai pas, des noms qui portent avec eux un fragment ou un miroitement..."

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  27. Et puis, soudain, tout devient triste. Les villes et les morts.
    "On arrive à un moment dans la vie où, parmi les gens qu'on a connu, les morts dont plus nombreux que les vivants. Et l'esprit refuse d'accepter d'autres physionomies (...) sur tous les visages nouveaux, il imprimé de vieux moules, le masque qui s'adapte le mieux. (...) Peut-être que moi aussi je ressemblais pour chacun d'entre eux à quelqu'un qui était mort "
    Adelma...
    "Peut-être Adelma est-elle la ville où l'on arrive en mourant..."

    "Mort à Venise" devient un souvenir obsédant.

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  28. "états d'âme, états de grâce, élégies !
    Des phrases et des actes qui n'existaient qu'en pensées, tandis que tous les deux, silencieux et immobiles, regardaient monter lentement la fumée de leur pipe. (...) leurs existences calcifiées dans l'illusion du mouvement...."

    Je tourne les pages de ma mémoire et les pages du livre. Entre les deux, le temps a renversé son sablier. Moi aussi je n'ai jamais bougé de ce jardin... Mon livre préféré... mon espace mental... " le même silence parcouru par le bruissement des feuilles." Soleil vert a laissé la clé sur la porte. Je suis entrée. Le livre était ouvert et la lampe allumée. Lui était encore parti dans les étoiles.
    "Moi, non plus je ne suis pas sûr d'être ici (...) Peut-être ce jardin n'existe-t-il que dans l'ombre de nos paupières abaissées..." (p. 132).

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  29. Je ne me souvenais pas que les clochards célestes de Beckett traversaient ce roman d'Italo Calvino. Quelle joie. En lisant ces lignes je ne peux m'empêcher de penser à Vladimir et Estragon ou Pozzo et Lucky ou Hamm et Clovis se donnant la réplique, de ce rien qui devient une parole vivante, l'ironie romantique sur fond de rien à faire ! Souffrance et mort concerne tous les hommes sans exception. Il reste l'incertitude dans ce monde absurde. Lire Calvino c'est vivre une expérience par procuration...
    Donc page 132 :
    "Kublai : Peut-être notre dialogue se déroule-t-il entre deux clochards surnommés Kublai Khan et Marco Polo occupés à fouiller dans une décharge à ordures, à faire des ras de bouts de ferraille rouillés, de lambeaux d'étoffes, de papiers sales, et qui, ivres de quelques lampées de mauvais vin, voient autour d'eux resplendir tous les trésors de l'Orient."

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  30. Et Marco Polo a cette réponse extraordinaire qui résume bien l'écriture de ces "Villes invisibles' et notre monde actuel bousillé par les guerres :

    "Polo : peut-être n'est-il resté du monde qu'un terrain vague recouvert d'immondices, et le jardin suspendu du Grand Khan. Ce sont nos paupières qui les séparent mais on ne sait lequel des deux est dedans et lequel est dehors."

    Ce jardin suspendu n'est-il pas celui de la littérature, de l'art ?

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  31. Ah, j'ai compris, Soleil vert, un des choix de ce livre pour vous. Ils jouent aux échecs et ça doit vous plaire. Des villes dans des cases, le monde dans un damier. Le noir et blanc des nuits de pleine lune.

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    1. Mais c'est une partie où aucun ne gagnera. D'ailleurs ils ne sont pas certains d'être là...

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  32. Un final majestueux qui est une aube et une mort annoncée. Ce sera ma dernière citation. Après je referme le livre. Heureuse de cette traversée.
    "L'enfer des vivants n'est pas quelque chose qui existera dans le futur ; s'il y en a un, c'est celui qui est déjà là, l'enfer que nous habitons tous les jours, que nous formons en restant ensemble. Il y a deux façons de ne pas en souffrir. La première est facile pour le plus grand nombre : accepter l'enfer et en faire partie jusqu'à ne plus le voir. La deuxième est risquée et exige une attention et un apprentissage continus : chercher et d'avoir reconnaître qui et quoi, au beau milieu de l'enfer, n'est pas l'enfer, et le faire durer, et lui faire place."

    Page 208. "Les villes invisibles". Nouvelle traduction de l'italien par Martin Rueff. Collection Folio - Gallimard.

    Un vrai bonheur.

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  33. Eh bien, ça ne traîne pas ici !
    Je signale simplement que mes réponses à propos du Baron perché se trouvent sur ce "vieux" fil…
    e.g.

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  34. (Pourquoi faut-il qu’il y ait ici un Boutes quignardesque ? Et en quoi Madame Bovary et la scène de la carriole ont-elle quelque chose affaire…..). MC

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    1. 1. Deux plongeons qui pour moi se ressemblent.
      2. Pour la douceur du vent dans les feuillages qui conduisent ces êtres à ressentir , à pressentir, un émerveillement, un abandon, un adoucissement.

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  35. Cela fait un peu « Du Vent dans les branches de Sassafras », on vous l’a dit d’´ailleurs. ….

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  36. Réponses
    1. A chacun sa lecture et ses interprétations. Je ne cherche à convaincre personne mais c'est ainsi

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  37. René de Obaldia ?... Je signale que mon précédent commentaire a été shinté sur ce blog. Aurais-je commis une bévue ? Il était pourtant passionnant, mais depuis hier, j'en ai oublié le contenu.

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  38. J'espère que MC ne va pas aligner tous les titres ( théâtre / romans/ poésie) où le mot vent est associé au mot arbre !

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  39. Jamais lu l’auteur mais c’est tentant.

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  40. A venir un "Fitzgerald like" avant de réemprunter les chemins de la sf pure et dure. SV

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  41. Oui, la SF peut être pure et dure !
    Un Fitzgerald... Je ferai durer...

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  42. Fourbissons nos armes, kamarades !

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  43. Non, le Vent ne vous visait pas, JJJ…. MC

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