Garth Ennis & Steve Dillon - Preacher Livre 1 - Urban Comics Vertigo
Sur l’emballage plastique protégeant l’imposant et luxueux
premier tome de Preacher on a fixé un macaron portant l’avertissement
suivant « Pour public averti ». L’intrusion s’arrête là. L’oeuvre de
Garth Ennis et Steve Dillon a été respectée par l’éditeur. On ne mesure pas la
longue marche de la bande dessinée devenue enfin aujourd’hui un art à part
entière. Bien évidemment le lectorat « adulte » de cette série de six
volumes ne va pas jouer dans la même tranche d’âge que celui de Titeuf.
Mais on a peine à imaginer les ravages de la loi du 16 juillet 1949 qui priva
ma génération de la publication de Fantask. Entre mille exemples fournis
par le web, le très érudit site Météor du professeur TNJ donne un exemple de
retaille d’image sur un fascicule Artima (Mondes futurs) (1). La violence même
édulcorée ne fit jamais bonne recette avec les censeurs. Fin du HS
Preacher a été créé par le scénariste Garth Ennis et
le dessinateur Steve Dillon. Les deux auteurs ont collaboré sur d’autres séries
notamment Hellblazer. L’usage conjugué d’un humour noir très décalé et
d’une violence extrême expliquent le succès remporté par ces bandes dessinées.
Les scénarii brillants de Garth Ennis, dans la mouvance d’un Alan Moore, et le
graphisme soigné de Dillon parachèvent le tout. Urban Comics a entrepris, dans
la foulée de Panini, de rééditer complètement la BD. Deux tomes sont parus en
2015, le troisième est prévu en mars 2016.Le livre 1 comprend 12 des 66
épisodes de la série. Chacun est suivi d’un courrier des lecteurs, très
bidonnant, qui respecte la loi du genre : le fan raconte sa vie, l’artiste
réplique par un « oui, certes ».Quelques porte folio complètent
l’ensemble. La qualité de la production Urban Comics n’étonnera pas les
aficionados de Batman. Qu’est ce que c’est beau !
Cette première livraison raconte la quête d’un pasteur à la
recherche de Dieu. Bernanos ? Non, vous n’ y êtes pas. Cherchez plutôt du
côté de James Morrow. La foi a été inculquée de force à Jesse Custer par une
grand-mère tortionnaire, sans doute émule de Josef Mengele. Alors qu’il officie résigné dans une
petite ville du Texas, une Entité fruit des amours d’un ange et d’un démon, nommée
Génésis, s’ échappe d’une prison céleste et fait irruption dans son esprit avec
la délicatesse d’un missile Tomawak, détruisant l’église et les fidèles. Génésis
a légué au Révérend le pouvoir de se faire obéir par la parole, le faisant l’égal
d’un Metatron (2). Pendant ce temps les anges chargés de la surveillance de
Génésis décident de réveiller le « saint des tueurs », un démon au
look de cow-boy, pour le récupérer. Et Dieu direz vous ? Et bien il a
déserté l’empire céleste, rajoutant à la confusion générale. Custer aidé de
deux compères, Tulip, une ex petite amie devenue tueuse à gage et Cassidy, un
vampire irlandais, part sur sa piste, bien décidé à lui demander des comptes.
Voilà un aperçu du tsunami qui attend le lecteur. Et encore
faudrait il évoquer John Wayne, ou le shérif Root et son inénarrable fils baptisé successivement
« Tronchdecul » puis « Tête de fion ». Le scénario se calme
un peu dans les épisodes 5,6 et 7, qui voit une intrigue policière - on n’ose
dire classique - se dénouer, avant de repartir en cyclone sur le récit de l’enfance
de Custer jusqu’ à la fin. Habilement des jalons sont posés, embryons d’histoires
futures. Les personnages secondaires, le cow-boy tueur infernal, le fils du shérif
en imposent tellement qu’ils portent en eux le ferment d’intrigues à part
entière. Il y a du Stan Lee chez ce Garth Ennis.
En essayant tout de même de démêler les fils de cette
histoire délirante, impossible de ne pas s’attarder d’abord sur l’humour fou du
scénariste, humour bordé d’une flopé de jurons telle que je n’en avais pas
entendu depuis Les pirates du métro,
un polar de Joseph Sargent avec Walter Matthau datant de 1974, et qui dit on
inspira Tarantino (3). Voici un exemple de dialogue de flics en page 61 :
« - Attendez une
seconde. Euh… Vous revoulez du café ?
-
Non merci. On
dirait que quelqu’un a joui dedans.
-
J’ai pas pu me
retenir, quand j’ai su que vous veniez. »
Au jeu des références, Preacher
pourrait s’apparenter à un western métaphysique. Le personnage emblématique de
la série, le révérend Jess Custer, sacrifie
à la loi de la bible et du fusil propre au genre. Quelques acteurs s’illustrèrent
dans ce rôle. Robert Mitchum, le plus fameux, incarna successivement un pasteur tueur en
série dans La nuit du chasseur et dans
Cinq cartes à abattre (4). Des paroles de paix et un colt dissimulé dans une
Bible. Chez Custer évidemment la parole est l’arme. D’autres cow-boys s’activent
dans la BD, John Wayne présenté comme le mentor imaginaire du héros - et au
graphisme un peu décevant -, enfin l’exécuteur appelé « Saint des tueurs »,
implacable comme L’homme des hautes plaines de Clint Eastwood.
Plus difficiles à appréhender, Tulip et Cassidy sont appelés
à bénéficier de développements scénaristiques ultérieurs. Cassidy et son look à
la Keith Richard ou Iggy Pop semble émaner de la culture rock/beat génération.
On a évoqué le film Thelma et Louise
à propos du personnage de Tulip.
Du délire narratif de Garth Ennis émerge une ligne claire :
l’amour entre Tulip et Jesse. Les douze épisodes de Preacher 1 peuvent se lire comme l’histoire d’une reconquête
amoureuse.Celle-ci tranche avec le reste du script. Peu de scènes
érotiques, elles-mêmes dessinées discrètement, bref un côté fleur bleue. Comme
les durs de Western, sous leurs oripeaux de bad boys, les créateurs de Preacher dissimulent un cœur sensible (5). Plaisanterie à part, ce
premier tome est une tuerie. La suite gardera t’elle la même intensité ?
(1) en haut version originale (espagnole), en bas version française "retravaillée"
(2) voix de Dieu dans la littérature rabbinique.
(3) Les gangsters de Reservoir
dogs portent des noms de couleur, comme dans Les pirates du métro (Allo ciné).
(4) un lien avec le nom du bar « Five As dinner » ?
Russel Crowe interpréta aussi le tueur Cort repenti en pasteur dans Mort ou vif
(5) ça c’est pour avoir traité Génésis de groupe de merde,
non mais.
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