Jack
Vance - La Terre mourante - J’ai lu
Chante la pluie, chante le vent
Chante la Terre et ses enfants
Où sont ta plume et tes chansons
Car bientôt nous disparaîtrons
La quête des origines est un exercice difficile. Qui a
ouvert les portes de la fantasy ? Le nom de l’auteur du cycle de La Terre mourante vient immédiatement à
l’esprit. Mais pourquoi pas Abraham Merrit, dont La nef d’Ishtar semble répondre aux canons du genre ? Et que
dire de Démons et merveilles de Lovecraft
? Plutôt que d’outrepasser les limites d’un horizon forcément illusoire, peut-être
vaut il mieux s’attarder sur le regard des successeurs. El là, après guerre,
tous les yeux se tournent vers Jack Vance (1). Qui dressera la liste des allégeances ?
J’ai pour ma part dévoré un livre peu connu de Carolyn
J. Cherryh, Les adieux
du soleil, dont l’inspiration ne fait aucun doute. Ouvrez Un monde magique, premier recueil du
cycle de la Terre mourante et
retrouvez l’épée d’Elric dans les mains de T’sais, ou le laboratoire d’ Isaac
Dan der Grimnebulin (2) tributaire des cuves de Turgan.
Le cycle de la Terre mourante comprend quatre ouvrages. Tous
racontent un futur extrêmement éloigné, une planète éclairée par un soleil rougeoyant
et moribond. Les personnages évoluent dans un univers gouverné par la magie. Le
premier texte, Un monde magique est
une succession de récits indépendants les uns des autres, malgré la résurgence de
quelques protagonistes. On y trouve déjà ce qui fait le charme des textes de
Vance, à savoir une imagination débordante, une invention lexicale permanente,
une écriture chatoyante rehaussée par l’excellent travail des traducteurs. Le
lecteur jeune préférera sans doute les aventures rocambolesques de Cugel. Mais
ce premier ouvrage, qui date de 1950, garde une fraîcheur poétique inaltérable
et on se souviendra longtemps des couleurs magnifiques du monde d’Embelyon, de
T’sais l’amazone, et de la sorcière aux
cheveux bleus qui du haut du Cap des Tristes Souvenirs regarde inlassablement
la mer.
Les pérégrinations de Cugel occupent deux romans, Cugel l’astucieux et Cugel Saga. Victime de la malveillance
du magicien Iucounu, l’aventurier est projeté à deux reprises au-delà de l’Océan
des Soupirs, bien loin de chère Almérie. Intelligent, malin, pas très
scrupuleux, sa route croise une faune peu recommandable, des magiciens, des
cités aux coutumes étranges. Les textes les plus intéressants lorgnent du côté
de Swift. Ainsi, dans « Le Monde
Supérieur », Cugel traverse deux villages Smolod et Crodz. Dans le premier
vivent des êtres indolents porteurs de lentilles de vue de couleur violette
Elles ont pour effet de transfigurer le bourg minable en une cité merveilleuse.
Les villageois de Crodz assurent la subsistance de ceux de Smolod. Pour prix de
leur travail, le plus méritant d’entre eux hérite des lentilles d’un habitant
de Smolod décédé. Comme à son habitude, Cugel perturbe le jeu en dérobant l’une
d’entre elles pour le compte de Iucounu. Le villageois spolié et l’aventurier s’affrontent
de façon drolatique, chacun bénéficiant d’une vision double. Un récit de Cugel Saga montre une contrée ou les
hommes d’une cité passent leur journée sur une colonne. Chacun exige d’être
placé sur la plus haute. Cugel imagine d’alléger la tâche du pauvre hère chargé
d’insérer les pierres dans les colonnes, en diminuant leur hauteur .Vance
traite avec verve et humour cette allégorie de l’ascension de l’échelle sociale.
Comme à l’habitude son héros ne tire pas profit de ses agissements : fuyant
le lieu de ses exploits où il prend soin de ne pas remettre les pieds, il égare
sacs de sesterces et onguents magiques… Tout juste parvient il à sauver sa
peau.
Rhialto le merveilleux
n’apporte rien à la gloire de Vance. Les péripéties de ce magicien et de ses
confrères en Almérie manquent un peu de souffle. Peu importe, il suffit de se
rappeler qu’à l’époque où Heinlein et
Asimov se disputaient la primauté du genre science-fiction, quoique talonnés
par Bradbury, Simak et Sturgeon, Jack Vance se tenait seul sur son cap et
pouvait contempler sa descendance. Tolkien a certes créé un univers
incomparable, mais c’est bien le vieux Maître qui a ouvert les portes.
(1) L’hommage sensible de Robert Silverberg à Jack
Vance :
(2) China Miéville – Perdido Street Station
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