Antoine Chainas - Bois-aux-Renards
- Folio policier
Les lecteurs de récits du domaine de « l’imaginaire »
versent assez souvent dans le roman policier comme si l’addiction à une
littérature de genre les incitait à en parcourir tous les sentiers. Tel n’est
pas mon cas ; affirmation à relativiser toutefois car les pitch de
science-fiction se livrent parfois à de véritables cross over entre les
branches précitées, en témoignent Les Cavernes d’acier, ou Face
aux feux du soleil d’Isaac Asimov, pour ne citer que ceux-là. A l’image des
westerns, l’adaptation cinématographique des plus célèbres polars américains ne
m’est évidemment pas étrangère, mais la filmographie française pré Manchette ne
m’enthousiasme guère. Averti néanmoins par quelques plumes expertes du talent
de certains auteurs contemporains hexagonaux, je vais consacrer ici quelques
fiches au sous-domaine le plus sombre de la littérature policière, nommé à
juste titre roman noir.
1986 : la jeune Anna est témoin de l’assassinat d’une
prostituée. Vivant avec sa mère, une marginale, dans une région montagneuse et boisée
du Sud-Est (l’auteur ne donne pas de précisions), la fillette croise dans son
escapade un combi Volkswagen à l’arrêt. Un couple s’y livre à un meurtre
ritualisé à l’arrière du véhicule. Le mari, apercevant l’œil d’Anna collé à une
vitre, se lance à sa poursuite. Après une longue course et beaucoup de chance
elle atterrit saine et sauve dans une ancienne ferme d’élevage au coeur d’une forêt, le Bois-aux-Renards.
Une femme solitaire, Chloé, l’accueille et l’héberge. Elle-même, jadis seule
rescapée d’un accident de la route qui a couté la vie à toute sa famille y a
trouvé refuge. Devenue adulte elle a secondé un scientifique qui se livrait à
des expériences de domestication des goupils, expériences interrompues par sa mort et l'arrêt des financements. Pendant ce temps les tueurs, qui
continuent leurs exactions, se perdent et trouvent refuge dans une étrange
communauté dirigée par un gourou et une sorte de chamane.
Etrange roman à la lisière du fantastique, Bois-aux-Renards
met en scène des personnages qui, avec des parcours différents, ont tourné le
dos à la civilisation. La condamnation de la société de consommation pour les
uns, la recherche d’une spiritualité pour d’autres ou tout simplement une
fuite, les ont amenés en un lieu où leur nature profonde parfois prédatrice s’exacerbe
au contact d’une forêt et de ses sortilèges :
« On sentait dans l'air calme les prémices du déclin
du jour, un affaiblissement de la luminosité qui n'en était pas
un, mais ressemblait plutôt à un engrisaillement précoce, où la
fatigue paraissait se projeter sur tout, où la pensée se refusait
aux muscles. Les odeurs de terre et de racines plongées dans la terre remontaient,
comme s'exhalaient celles du plâtras et du mortier, du crépi et du ciment,
quand les chantiers des maisons en construction s'achevaient. Les
troncs, les feuilles, l’écorce et la sève soufflaient au dernier clair du ciel
une haleine chaude, longuement retenue et enfin libérée. Cette haleine
disparaîtrait lorsque la foule y installerait des tentes, puis des maisons, et
enfin des supermarchés. Un rossignol piquetait l'obscurité des bois
d'une pluie de notes annonciatrices d'une obscurité plus prononcée, plus
étendue. L'attaque des staccatos, les notes accentuées des trilles, les
silences d'un demi- soupir anticipaient les trémolos poignants et la
tension des heures ténébreuses. Un basculement miraculeux advenait : il se
dégageait de ce chant quelque chose de solennel et d'éternel. Yves jugeait
pourtant que le miracle était mort avec la disparition du sacré. Le jour où
l'humanité avait échangé son ciel contre un bilan comptable, sa pensée contre un
billet de banque, le prodige était devenu intraduisible. De toutes les
absurdités de l'existence, songeait-il, la moins convenable - celle de l'homme
qui ne s'encombrait plus de religion - était encore celle qui lui allait le
mieux. »
ou plus loin,
« L'endroit que l'on nommait pudiquement la Fourche
du Pendu se caractérisait par un immense hêtre, aux branches duquel on avait
autrefois brisé le cou d'un pauvre bougre - la légende mentionnait un couple
désespéré, une femme-renard, une fille de blé et de seigle, puis l'éternelle
populace qu'un feu sombre échauffait -, la Fourche, donc, constituait le
dernier embranchement permettant d'opérer choix entre Bois-aux-Renards et la
civilisation. Les branches principales de l'arbre s'étendaient à droite et à
gauche, comme pour inviter le promeneur à prendre une décision en matière non
seulement de trajectoire mais d'existence. D'aucuns parmi les gens du cru
estimaient le choix biaisé, car rien de ce qui se rapportait à Bois aux-Renards
ou à ses environs ne relevait du libre arbitre. Qu'étaient les voies aménagées,
la terre dégagée de sa végétation, les étrécissements de chaussée, sinon
l'absence de l’alternative ? À quoi se réduisait donc un tracé, si ce n'était à
l'abolition des options ? »
Les pièges finissent par se refermer sur les uns et les autres, mais n'est-ce pas la Nature qui dicte sa loi ? Des renards omniprésents parfois de connivence avec les hommes, une tour
en ruine comme dans La Neuvième Porte à moins qu’il ne s’agisse
de celle de La trilogie du Rempart Sud, Antoine Chainas guide son
lecteur dans un Conte et Légende dont l’ambiance atténue l’âpreté de plusieurs scènes
de prédations. L’écriture fourmille de surprises (« L’aube avait une
couleur de liquide amniotique »), le chapitre 44 et les délires d’Admète
m’ont paru longs mais l’ensemble est vraiment bon.
pas le temps de lire, il importe d'être le premier à lever le lièvre. A plus tard, soleil rouge ! (JJJ)
RépondreSupprimerEh bien, quel étrange livre commencé à la nuit tombée. J'aurais dû avoir peur, voire éprouver une répulsion en découvrant la chasse impitoyable à laquelle se livre ce couple de tueurs en série. Oui, mais voilà, l'écriture d'Antoine Chainas m'attire comme un aimant. Jamais vu ce qu'il fait des mots. C'est comme une rocaille qui déboule et entraîne tout.
RépondreSupprimerEt puis il y a la gazoute qui leur échappe. Étrange et fragile petite lutine pas tout à fait comme les autres. Elle sait où sent des choses que les autres enfants ne savent pas et dans le même temps elle est limitée intellectuellement, est passée à côté des apprentissages. Trimballée par une mère borderline dans une sorte de van avec parfois un homme à bord.
Mais là n'est pas le problème. Je n'arrive pas à me situer dans le début de ce récit trop philosophique, trop poétique et complètement effrayant. Je suis ailleurs dans un temps féroce. Un temps où la mort se donne comme preuve d'amour dit la femme tueuse. La belle affaire ! Ils sont atroces ces deux là.
Et puis il y a l'autre fillette qui des années avant a échappé à la mort. Toute sa famille y est restée. Accident de la route dans cette même forêt qui porte un drôle de nom, le bois aux renards. Elle doit être vieille maintenant.
Bon, qu'est-ce qu'Antoine Chainas va faire de ces personnages, de cette forêt ? Comment va-t-il tailler les mots pour qu'ils luisent comme des gemmes. Il y a un goût de sorcellerie dans ce récit. Je le pressens à cause de la connaissance des mots qu'il a , complètement hors du commun. C'est plein de métaphores étranges comme s'il cherchait autre chose que la route sanglante de ces deux tueurs.
Alors là, Soleil vert, je suis piégée. Je ne m'attendais pas mais pas du tout à ce livre pour l'instant inclassable même si le début pourrait faire penser à un roman noir, poisseux à souhait.
JJJ est passé de bon matin. Il mène une aventure pas ordinaire sur la RdL, celle d'un passe-muraille.
Parfois l'écriture devient plus fluide mais alors Antoine Chainas crée une diversion. Il entraîne le lecteur dans un méandre qui fait presque oublier le récit amorcé. Il prend le temps d'approfondir le passé de ses personnages, de s'attarder près d'une renarde qui va toute une nuit réchauffer le petit corps d'Anna endormie , cachée dans un buisson ou parler de la terre, des arbres, des mousses. Comme s'il vivait entre deux mondes d'écriture.
RépondreSupprimerPendant ce temps, la tueuse danse nue sur la tombe précaire de leur dernière victime. On croit se souvenir d'une danse tribale, d'un sabbat de sorcière. Et puis on revient à soi. D'où le "je" peut-il connaître cette mémoire du "on" ? Des mythes des contes habitent ma mémoire de scènes étranges que je n'ai pas vécues mais que les anciens racontaient, au village. C'était au Pays d'Ouche. La forêt des mystères.
Je reprends le livre. Pourquoi Anna pense à Garou-Garou alors que j'imaginais JJJ en passe-muraille ?
RépondreSupprimerArrivée page 118. Complètement enfouie dans la lecture de ce récit. Je me sens dans l'interdit de l'enfance, celui qui nous fait faire les pires sottises comme de continuer un chemin défendu pour le plaisir de l'aventure.
C'est un récit abracadabrantesque (Merci Mr Chirac!) qui donne envie de savoir la suite. Bonjour Shérazade !
Signe de la rencontre de deux imaginaires ? Ce récit glisse en moi comme un rêve ancien.
RépondreSupprimerJe m'attends à des sortilèges. Le récit bascule hors du roman policier. La magie est en marche....
C'est un beau roman où on s'éloigne peu à peu des deux tueurs pour entrer dans le monde des sortilèges, des renards, des présences venues des rêves qui se teintent de réel pour les crédules dont je suis dès que j'ouvre le livre. Tout un petit peuple qui me rappelle celui du Seigneur des Anneaux de Tolken et autres contes nordiques ou russes avec une babayaga qui ici recueillerait Anna.
RépondreSupprimerLa petite ne peut raconter ce qu'elle a vécu avant que l'homme au nez pointu ne la poursuive avec son couteau mais l'odeur du renard qui imprègne les coussins où elle est roulée en boule la rassure.
C'est incohérent comme dans un rêve.
J'aime la façon d'écrire d'Antoine Chainas, il fait de la langue une argile souple entre ses doigts du potier.
Ici, j'aime écrire car je peux être farfelue tout en étant très sérieuse, au plus près du texte écrit par l'auteur mais pas toujours...
Elle s'approche des livres dont elle ne sait lire les titres : "Dictionnaire infernal, discours et illusions et impostures des diables, transformations et extases des sorciers. "
RépondreSupprimer"La fillette ne tarda pas à s'aviser qu'ils traitaient à quelques exceptions près des anciennes croyances de la faune régionale," grâce aux images... "elle choisit "un épais volume en couleurs, se fiant aux représentations de forêts, de terriers, et de goipils.(...) Elle suivit du bout des doigts, comme on caresse une fourrure, les contours des animaux sur papier glacé."
J'ai lu entre deux chapitres ( ils sont très courts dans ce livre) que les tueurs ont été surpris par l'agression de leur dernière proie, une jeunette qui les a bombardés d'énormes pierres qui ont défoncé la tôle du van. Ils fuient et semblent se perdre dans le bois aux renards....
Quand le vieillard raconte l'histoire de la femme-renarde., Antoine Chainas écrit : "Avec quelle puissance le récit et le timbre grave du conteur avaient-ils dilué la réalité !"
RépondreSupprimerC'est exactement cela, j'écoute le récit plus que je le lis.
L'auteur dodeline comme un charmeur de serpents.
Ce Bois-aux-Renards est la forêt du conte.
L'accumulation de contes régionaux sur la femme renarde est un peu pesante au milieu du récit.
RépondreSupprimerNotez que le Dictionnaire Infernal existe bien, étant de Colin de Plancy. Il est absolument sans danger étant paru au Dix Neuvième siècle! Les Discours des Diables, eux, font penser à du De Lancre, auquel cas il s'agirait d'un livre de juge des années 1610 ayant participé à la répression sanglante des Procès du Labour. ou du Del Rio, sj. Ce genre du discours renvoie à fin XVIème- début XVIIème .Donc cette bibliothèque est documentée, ces ouvrages, notamment le second, étant (toujours) rares et chers. C'est le propre du Diable de garder des prix élevés quand ses actions s'écroulent! MC
RépondreSupprimerJe vous copie le passage (p.154) :
RépondreSupprimer"Lentement elle s'approcha des rayons. Nynauld, "De la lycanthropie, transformation et extase des sorciers", Plancy, "Dictionnaire infernal", Wier, "Histoires, disputes et discours des illusions et impostures des diables'... Les plus gros livres comportaient des illustrations, des photographies. La fillette ne tarda pas à s'aviser qu'ils traitaient à quelques exceptions près des anciennes croyances de la faune régionale. La plupart des images décrivaient des mammifères, et plus particulièrement des renards."
Plancy et Wier figurent dans ma bibliothèque. Wier est un auteur indulgent pour ces pratiques, pensant au XVIeme siècle qu'elles ne reposent sur rien de sérieux. Je vais voir pour le Nynauld. ca ne me dit rien, ce qui ne signifie pas qu'il n existe pas....
RépondreSupprimerNynauld...Plus un essai (128 pages), qu'une somme comme l'ouvrage précédent. Sans doute début dix Septième.
RépondreSupprimerC'est une des richesses de ce roman. Antoine Chainas est un homme d'une grande culture. Beaucoup de légendes, de mythes sont évoqués dans ces pages. Ce polar se dissout dans ce Bois-aux-Renards. L'homme à tête d'oiseau se pose des questions mais continue à tuer par impulsion. Anna vit une initiation près de sa protectrice qui est elle-même l'enfant d'un ancien désastre. Rien ne suit un chemin prévisible
RépondreSupprimerPas de héros. Des hommes des femmes des jeunes avec des failles se retrouvant réunis par les hasards de leur route dans ce bois des sortilèges.
De plus le roman est long (parfois trop étiré) donc on a le temps de découvrir ce qui a modelé la vie ces personnages.
Le lecteur fait des choix. Certains personnages sont vraiment attachants
Le paysage est de toute beauté, inquiétant à souhait.
Bref, une belle échappée au pays de l'étrange.
Pas de présence démoniaque mais des renards qui se métamorphosent...
Des sorciers avec des têtes tellement trompeuses.
Soleil vert est surprenant. Ses choix se ramifient. Ils ont tous un point commun : l'écriture.
Un jour un de mes petits élèves dans l'atelier bibliothèque m'a demandé : mais le vrai métier des écrivains c'est quoi ?
Pour lui écrire c'était un plaisir mais pas un métier sérieux. Son père travaillait sur un chantier, un grutier. Pour lui c'était un vrai métier.
Et vous, et Soleil vert, et tous ces amis d'ici ou d'à côté lisent jusqu'à plus soif et parfois même écrivent
Sommes-nous des gens sérieux ?
Un renard ? "Les traits lupins dissimulés dans l'ombre rappelaient le chat de Cheshire, sourire et nihilisme en moins."
RépondreSupprimerEt notre personnage est justement au bord d'un puits étrange...
"Il vit ces lucioles de mort accorder leur vol pour entamer un lent ballet funèbre ; l'envoûtement se transforma en désorientation, les mouvements hypnotiques en vertige ; il se sentit partir en avant. Ne pas chuter. Établir un contact tangible avec un objet matériel, lutter contre l'étourdissement, la torpeur et le vague espoir d'être soulagé par le trépas. Il se fait doux ailleurs, mais où ?"
Une épreuve de natation en eau libre. Les rives de la Seine vers l'île de la Cité ? Non, c'est plus bas. Beaucoup de barges, des stands de ravitaillement mais je reconnais au loin le Pont Alexandre III. Insolite... Incroyable ... L'eau gicle sur les bras des nageurs à contre courant dans cette partie du marathon. Quelle résistance ! 10 kilomètres !
RépondreSupprimerJe pense au "Nageur" de Pierre Assouline, Alfred Nakach ce champion juif qui, revenu d’Auschwitz, représenta la France aux JO de 1948.... après avoir tant souffert.
Peut-être regarde-t-il cette épreuve. Loin des piscines...
Des canots les suivent pour la sécurité.
Le Hongrois s'envole... à cent mètres de l'arrivée. Christophe Rasovsk l'emporte.
Voilà qui conclut les épreuves de natation. Une course magnifique pour ces grands nageurs.
J'écris beaucoup ici, Soleil vert. Si c'est trop, dites-le. C'est comme une eau ouverte qui invite à la nage en eau libre....
RépondreSupprimer
RépondreSupprimerJe reprends ce roman incroyable. La chute dans le puits, puisque chute il y aura est une sorte de cauchemar que cette communauté du Bois aux Renards fait subir à un des tueurs, l'homme, Yves. Il est conscient par éclairs de lucidité que ce qu'il vit , cette claustration infernale au fond du puits au milieu de tous ces squelettes est un leurre. L'ancêtre continue à raconter et viennent d'autres sortilèges.
Antoine Chainas écrit alors : "il aurait pu figurer dans un "tenebroso' du Caravage."
(«ténébrisme»... de l’italien «tenebroso», sombre... ) Toute une école de peinture du baroque italien et bien d'autres peintres.
Un noir d'enfer traversé d'ombres profondes pour ce prisonnier au fond du puits et par contraste une zone violemment éclairée par une unique source de lumière : le ciel, ce qu'il en distingue par l'ouverture du puits, là-haut, bien loin.
Le Caravage, Rembrandt, Velasquez, Zurbaran....
Par cette simple phrase, il introduit dans cette scène des toiles qui donnent au supplice vécu par cet homme toute sa cruauté . Son salaire ?
Tout cela au milieu d'une horde de braillard munis de flambeaux dans les ténèbres de cette nuit.
C'est pour des scènes de ce genre que j'éprouve un plaisir fou à lire ce roman. Je ne sais où il me conduit.
Les divinites qui veillent sur cette forêt et sur ses animaux semblent garantir un équilibre des forces en ce lieu, protégeant et punissant, tour à tour.
Yves pense à sa femme. "Qu'allait-il advenir d'elle ? Comptaient-ils l'éliminer des qu'il aurait rendu l'âme ? Son calvaire ne connaîtrait jamais de fin...
Je pense à la fin du "Septième sceau" de Bergman où la Mort entraîne des proies vers l'enfer dans une folle sarabande.
Ce sont les artistes, les écrivains, les cinéastes qui donnent durée aux mythes.
Soleil vert,
RépondreSupprimerJ'ai terminé le roman que vous avez choisi. Quel carnage sanguinolent traversé de citations bibliques ou mythiques. Quand il ne reste plus personne à tuer, quand le sang devient pourriture et les corps si effrayants que tous les animaux fuient même les insectes et les serpents, alors, le Bois aux renards reprend ses droits et Anna y conduit la meute hors des lieuxs de légendes et de mythes.
"Un vent léger de leva. Les herbes ondulèrent doucement. La troupe y passerait le reste de la journée comme à l'ordinaire, sans se soucier ni des hommes ni des dieux."
Antoine Chainas pose la plume. La lecture de cahier intitulé "Bois-aux-Renards (contes, légendes et mythes)" est achevé .
"Quelqu'un a ajouté une phrase manuscrite sur la dernière page intérieure du volume. L'écriture est différente. Il s'agit peut-être d'une citation : "Tout est réconcilié."
Est-ce Antoine Chainas qui a écrit cette phrase ? L'encre est encore humide...
Il faut alors revenir à la première page du carnet : UN.
An 01
"Au commencement étaient les hommes. Puis vinrent les armes et la chasse. (...)
(Extrait de ce carnet "retrouvé dans un hameau abandonné du Haut Pays. Plusieurs pages arrachées en tête de volume (...) L'ouvrage s'intitule "Bois-aux-Renards ( Contes, légendes et mythes).")
Je tourne la page. Je suis maintenant à la page 4.
je lis :
DEUX
An 1951
"Il faisait environ minuit. Tout sommeillait..."
Je me souviens être arrivée étonnée à la page 12.
TROIS
An 1986....
Ce chapitre est plus long...
Puis, page 31
QUATRE
"Elle s'appelait Anna et n'avait pas encore soufflé des douze bougies..."
Ainsi suis-je arrivée au chapitre 63, page 441.
Qu'ai-je lu ? Un roman noir ? Un carnet de légendes trouvé par hasard ? Une cosmogonie étrange ?
Ces pages me transportent dans un temps incertain de sauvagerie et de douceur. Les deux se succédant, se superposant, se fondant en un miroir à deux faces où une enfant regarde son visage se transformer....
Dans ce livre d'Antoine Chainas, j'ai discerné plusieurs séries de temps qui scandent un abîme d'agonies. Un temps qui se déroule sans notion d'antérieur ou de postérieur. Une infinité de scènes le dissout. Elles communiquent entre elles. Le passé remonte à la surface comme une bulle qui serait restée coincée dans les herbes noyées d'un étang. Elles se rejoignent et les personnages deviennent de plus en plus complexes. C'est parfois tellement embrouillé qu'ils subissent des métamorphoses et je n'arrive plus vraiment à les cerner. Sont-ils mauvais au point d'être "perdus" comme le dit le prêtre ? Sont-ils écrasés par le destin, par leurs actes abominables ? Manipulés par plus fort qu'eux ?
RépondreSupprimerCe récit ressemble à une chimère. Toutes ces vies sont hantées jusqu'à ce que la mort les tranche avec sa faux.
Le hasard a un grand rôle dans ces rencontres entre les uns et les autres.
Le lecteur est toujours condamné à revenir en arrière pour comprendre. Et c'est une logique paradoxale qui conduit ce récit vers sa fin.
Le temps s'affole comme la chronologie des évènements parce que chaque personnage est mis en attente. Et chaque retour en arrière offre une part d'obscurité supplémentaire.
Une immense machinerie, dirait Cocteau... Infernale, oui. (Billet précédent).
Indifférence progressive de mort en mort jusqu'au dernier... C'est un jeu de foire de chamboule-tout ! Le dernier instant de chaque vie est souvent... divisible !
De ce chaos final, un sens existera. C'est le choix d'Antoine Chainas. Un temps différent. Cela lui appartient. (même si le lecteur est dans l'impossibilité de saisir ce sens.)
Un rêve est entré par effraction dans la réalité. Heureusement , il reste la circularité du récit. On peut refaire le chemin de cette légende obscure, découvrir l'architecture du récit.
Je garde en mémoire la lumière plutôt que le sombre même si Antoine Chainas écrit : "il aurait pu figurer dans un "tenebroso" du Caravage."