Patrick Modiano - Dora Bruder
- Folio
Le narrateur du récit - le romancier en fait - découvre par hasard un avis de recherche dans un exemplaire du journal Paris-soir datant de décembre 1941. Il relate une fugue ou une disparition d’une jeune fille de 15 ans. La domiciliation des parents, boulevard Ornano, interpelle l’auteur. Il garde en effet quelques souvenirs de ce quartier de Clignancourt, qu’il traversait enfant avec sa mère pour se rendre au marché aux puces de Saint - Ouen. A la lumière de la découverte de ce fragile pont mémoriel jeté entre son existence et celle de Dora Bruder, il décide d’enquêter sur le sort réservé à l’adolescente. Ainsi démarre un roman où l'investigation factuelle croise les souvenirs personnels du récitant.
Au bout de quelques pages - ai-je été le seul ? -,
ayant fait dans un premier temps abstraction du bruit répandu autour de ce
livre, j’ai interrompu un instant ma lecture. A quoi avais-je à faire ? A une
fiction ? Non. L’absence de toute information, de notes, d’annexe sur mon
exemplaire de poche m’y incitait pourtant. Il s’agit d’une biographie ou plutôt
d’une enquête biographique à laquelle Modiano joint quelques éléments
autobiographiques. La recherche prévaut sur les faits, lequels se résument à
quelques archives de la Préfecture de Police, c'est-à-dire des notes
lapidaires. En revanche l’écrivain se révèle plus prolixe sur l’itinéraire du
père et de la mère, juifs d’origine autrichienne et hongroise.
De la vie intime de Dora Bruder, de sa personnalité, de ses
aspirations, nous ne saurons rien. D’ailleurs qu’est-ce que l’intimité dans ces
années terribles 41-42, où l’étau des circonstances, des évènements, des
crimes, des recensements, des chasses aux familles juives, des déportations,
réduit les consciences d’une partie de la population à celles de bêtes
traquées. Quel sentiment a pu pousser Dora Bruder, placée par ses parents en
raison de la petitesse de leur studio du boulevard Ornano, dans l’asile provisoire
de la pension catholique Saint-Cœur de Marie, rue Picpus, là même où Jean
Valjean et Cosette se réfugièrent, à fuguer à deux reprises dans le Paris des
miliciens et des nazis ? Il semble en tout cas que la seconde échappée se
termina au centre d’internement des Tourelles en juin 42. Elle rejoignit son
père à Drancy en août suivie quelques mois plus tard par sa mère pour périr
dans les camps de la mort « Là-bas où le destin de notre siècle saigne ».
Les archives relatives aux jeunes filles internées aux
Tourelles n’apportent pas d’informations supplémentaires sur le passage de Dora
Bruder, mais le Prix Nobel 2014 révèle les circonstances des arrestations et
les misérables chefs d’accusation rédigées à l’encontre de quelques autres
jeunes femmes qui partagèrent le sort de l’héroïne. Des portraits arrachés à la
nuit interminable où gisent tant d’ombres émargées brièvement sur le Mur des
Noms.
Cet entremêlement de biographie traditionnelle et d’autofiction
« à la Modiano » fait tout le prix de ce livre rempli de points d’interrogation.
Il y a ce film tourné sous l'Occupation, aux images voilées par les innombrables regards morts des spectateurs d'alors. Il y a cet écrivain allemand Friedo Lampe tué par les soviétiques en 1945 dont
un ouvrage Au bord de la nuit fut mis au pilon en 1933 par Hitler : « Ce nom et ce titre m’évoquaient les fenêtres éclairées dont vous ne
pouvez pas détacher le regard. Vous vous dites que, derrière elles, quelqu’un
que vous avez oublié attend votre retour depuis des années ou bien qu’il n’y a
plus personne. Sauf une lampe qui est restée allumée dans l’appartement vide. »
Vous placez la barre très haut en choisissant ce livre de Patrick Modiano, Soleil vert. J'ai le même embarras que vous.
RépondreSupprimerFiction ? Impossible au-delà de la mort atroce à Auschwitz pour cette jeune Dora Bruder. Impossible d'imaginer ce qu'elle aurait vécu, ce qu'elle serait devenue puisque là-bas des assassins ont mis fin terriblement à sa vie. Elle est comme Anne Frank, Hélène Berr , une douleur inguérissable. Laissant des cahiers déchirants... Ah le petit crayon d'Hélène Berr posé près de son cahier ouvert dans une vitrine au Mémorial de la Shoah.
Serge Klarsfeld et Patrick Modiano ont entretenu une longue correspondance à propos de Dora Bruder.
Tout ça fait mal et fascine quand on ouvre le livre de Modiano.
Ici pas de science fiction mais certainement de la fiction puisque c'est Modiano, l'écriture de Modiano, sa longue recherche sur les traces de sa vie, de son identité par personnages interposés.
Ce quartier il le fait renaître avec tant de précision. Je marche sur ses pas connaissant bien chacune de ces rues, la caserne, le cinéma. Donc, je suis vulnérable car j'ai aussi mes oublis, ma nostalgie, mes paysages dans ce quartier....
C'est très très compliqué tout ça de ce livre. Très compliqué.
D'une certaine façon ce passé appelle le silence.
Silence face au passé qu'il faut peut-être à peine effleurer de peur de le réveiller.et pourtant ne pas oublier, ne pas les oublier.
Je vais lire ce livre car j'aime l'écriture de Modiano, sa façon d'être dans les mots.
Et puis vous avez drôlement travaillé ce billet avec beaucoup d'honnêteté, comme toujours.
Je lis et je vous dirai...
De plus, l'ami libraire a évoqué un livre troublant d'Hélène Dorion, "pas même le bruit du Fleuve". Magnifique. Comment évoquer une mère en suivant aussi les traces qu'elle a laissées.
Et en plus on vote dimanche et ce choix aussi est très important.
Cette lettre que Patrick Modiano envoya à Serge Klarsfeld en mai 1978 :
RépondreSupprimerhttps://www.tribunejuive.info/2014/10/10/lettre-de-patrick-modiano-a-serge-klarsfeld-mai-1978/
Les deux hommes se sont rencontrés en 1995. A partir de cette date, Serge Klarsfeld a enquêté pour Modiano lui fournissant documents et photographies qui ont contribué à la genèse de Dora Bruder.
RépondreSupprimerMerci pour ces informations Christiane
RépondreSupprimerDans un essai de Jeanne Bem, « Dora Bruder ou la biographie déplacée de Modiano » , on peut lire : «Patrick Modiano s'est comporté vis-à-vis de son objet en biographe. [...] Aussi pensé-je que l'auteur a tort de faire suivre le titre Dora Bruder du mot "roman". [...] C'est une biographie écrite par un romancier, mais ce n'est pas une biographie romancée »
RépondreSupprimerPatrick Modiano rédigera quelques années plus tard la préface au Journal d'Hélène Berr, une jeune Française juive, auteur d'un journal pendant l'Occupation et, comme Dora Bruder, morte en déportation."
Mais ces archives ne lui apportent pas ce qu'il cherche. Il est obligé de passer par la littérature pour approcher vraiment cette jeune fille dans ce qui est peut-être sa vérité. Ce qui fait que le livre, comme vous le suggérez, reste ambigu. La 'itterature peut-elle dire le réel et l'Histoire ?
RépondreSupprimerModiano tangue entre la précision de l'historien citant ses archives et la voix de ce narrateur éprouvant une certaine frustration quant aux lacunes de ses recherches. C'est encore un livre où il s'interroge sur le temps qui efface les traces. C'est encore un livre où, plongé dans l'approche d'une vérité, il se fie à son intuition emplissant le vide par des suppositions où se mêle la fiction et le réel. Le lecteur se trouve en terrain instable comme dans tous les livres de Modiano hantés par cette période de l'Occupation. Il cherche, comme nous cherchons, à comprendre l'ébranlement des convictions en 1941, en France. Entre résister, fuir, se taire, beaucoup ont laissé faire l'innommable.
RépondreSupprimerQu'aurions-nous fait de notre conscience, de notre courage dans Paris occupé si nous avions eu l'âge de Dora Bruder, d'Hélène Berr , cette année là ?
La voix fragile de Patrick Modiano s'insinue dans le cheminement de notre pensée et nous interrogeons à notre tour ceux que nous connaissons, que nous avons aimés, qui souvent nous ont quittés. Qu'ont-ils vu ? qu'ont-ils pensé ? qu'ont-ils fait ?
Modiano ? Une conscience....
Les lieux aussi ont changé. Ainsi, page 136 :
RépondreSupprimer"Et l'on avait construit, là-dessus, des rangées d'immeubles, modifiant quelquefois l'ancien tracé des rues. Les façades étaient rectilignes, les fenêtres carrées, le béton de la couleur de l'amnésie.(...) On avait tout anéanti pour construire une sorte de village suisse dont on ne pouvait plus mettre en doute la neutralité.
Les lambeaux de papiers peints que j’avais vus encore il y a trente ans rue des Jardins-Saint-Paul, c’était les traces de chambres où l’on avait habité jadis – les chambres où vivaient ceux et celles de l’âge de Dora que les policiers étaient venus chercher un jour de juillet 1942. La liste de leurs noms s’accompagne toujours des mêmes noms de rues. Et les numéros des immeubles et les noms des rues ne correspondent plus à rien."
Ou encore, quelques pages avant : "Je me suis dit que plus personne ne se souvenait de rien. Derrière le mur s’étendait un no man’s land, une zone de vide et d’oubli."
RépondreSupprimerComment agit, chez Modiano, la perception de ce qui a peut-être été : "J'ai eu la certitude brusquement, que le soir de sa fugue, Dora s'était éloignée du pensionnat en suivant cette rue de la Gare-de-Reuilly, je la voyais, longeant le mur du pensionnat. Peut-être parce que le mot "gare" évoque la fugue.
RépondreSupprimerJ'ai marché dans le quartier et au bout d'un moment j'ai senti peser la tristesse d'autres dimanches, quand il fallait rentrer au pensionnat. J'étais sûr qu'elle descendait du métro à Nation." (129)
L'éclairage de ce dédale de rues est l'âme de ce livre.
SupprimerCette supposition se superpose à ses propres souvenirs car lui aussi a fugué. (p.77)
RépondreSupprimer"Je me souviens de l'impression forte que j'ai éprouvée lors de ma fugue de janvier 1960 - si forte que je crois en avoir connu rarement de semblables. C'était l'ivresse de trancher, d'un seul coup, tous les liens (...) sentiment de révolte et de solitude porté à son incandescence et qui vous coupe le souffle et vous met en état d'apesanteur. (...)
La fugue - paraît-il - est un appel au secours et quelque fois une forme de suicide. (...) Vous n'avez pas seulement tranché les liens avec le monde, mais aussi avec le temps. (...) rien ne pèse plus sur vous.. (...)
Je pense à Dora Bruder. Je me dis que sa fugue n'était pas aussi simple que la mienne une vingtaine d'années plus tard, dans un monde redevenu inoffensif. Cette ville de décembre 1941, son couvre-feu, ses soldats, sa police, tout lui était hostile et voulait savoir perte. A seize ans, elle avait le monde entier contre elle, sans qu'elle sache pourquoi."
Ce balancement de lui à elle est vraiment le fil conducteur de l'écriture de ce roman et par contraste de leurs vies , la perception de l'horreur de ce que vivait Dora Bruder.
Modiano n'a pas manqué d'honnêteté quand il s'est lancé dans l'écriture de ce livre :
RépondreSupprimer"Après la parution du mémorial de Serge Klarsfeld, je me suis senti quelqu’un d’autre. […] Et d’abord, j’ai douté de la littérature. Puisque le principal moteur de celle-ci est souvent la mémoire, il me semblait que le seul livre qu’il fallait écrire, c’était ce mémorial, comme Serge Klarsfeld l’avait fait. Je n’ai pas osé, à l’époque, prendre contact avec lui."
Son écriture c'est un effort pour porter le poids de l'Histoire. C'est un récit sous le récit. A tout instant il plonge dans le souvenir. Mais c'est la pensée qui touche le réel plus que les archives.
RépondreSupprimerIl y a un passage très émouvant dans ce récit quand Modiano réalise que dans ce même quartier, Victor Hugo a placé un passage des Misérables. Cosette et Jean Valjean cherchant refuge au 62 rue du petit Picpus, quartier imaginaire correspondant au lieu où réellement Dora Bruder était pensionnaire. Et ces deux personnages sont aussi poursuivis par la police. Modiano ne se sentirait-il pas le protecteur de Dora Bruder comme Jean Valjean l'était de Cosette ?
RépondreSupprimerAprès tout, sans lui, sans son récit et ses recherches existerait-elle dans notre mémoire ?
Une autre Dora qui a illuminé la vie de Kafka...
RépondreSupprimerToujours cette série de Ruth Zylberman qui toute la semaine nous a enchantés.
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/lsd-la-serie-documentaire/dora-diamant-sur-le-seuil-du-bonheur-4734278
Le passage que vous avez cité est magnifique, celui-ci aussi.(p.144)
RépondreSupprimer"J'ignorerai toujours à quoi elle passait ses journées, où elle se cachait, en compagnie de qui elle se trouvait pendant les mois d'hiver de sa première fugue et au cours des quelques semaines de printemps où elle s'est échappée à nouveau. C'est là son secret. Un pauvre et précieux secret que les bourreaux, les ordonnances, les autorités dites d'occupation, le Dépôt, les casernes, les camps, l'Histoire, le temps - tout ce qui vous souille et vous détruit - n'auront pas pu lui voler."
C'est un très beau livre qui dépasse une enquête. Contrairement à ce que je craignais, il n'imagine rien de ce qui aurait pu être sa vie après la mort dans le camp d'Auschwitz. Il imagine seulement, de son vivant, les rues qu'elle a pu emprunter, sa vie d'avant. Il remet en ordre les documents trouvés avec l'aide de Serge Klarsfeld.
C'est un très bel accompagnement d'une victime de la barbarie, de la guerre, de l'occupation. La Rebelle, comme il l'appelle....
Merci, SV, de me l'avoir fait connaître.
Cher libraire,
RépondreSupprimerC'est un roman puissant que vous m'avez conseille. "Pas même le bruit d'un fleuve" d'Hélène Dorion. Ce n'est pas la mer mais l'immense fleuve Saint-Laurent qui le traverse. Un fleuve sombre portant un drame, avec ses morts.
Une femme découvre après la mort de sa mère une valise contenant des poèmes, des photos, des confidences de celle qui était si silencieuse, si triste un lien très fort se crée reliant trois générations de femmes et c'est en découvrant la parole de sa mère qu'elle comprendra d'où elle vient.... En remontant le Saint-Laurent jusqu'à Kamouraska.
Très beau récit et que d'eau sombre, terrible, couleur de destin...
Merci.
Ce soir, je me fais plaisir. Livres refermés je vais regarder mon film SF préféré , "Premier Contact" de Denis Villeneuve..le temps, la mémoire, les signes ..
RépondreSupprimerAh, j'ai vraiment aimé revoir ce film. Le temps réversible comme le prénom HANNAH. Des signes complémentaires qui ne peuvent avoir sens que réunis. Ce langage qui se diffuse comme l'encre de Chine dans une goutte d'eau.
RépondreSupprimerC'est tout à fait ce dont je rêvais à quinze ans... Oui, c'est tout à fait cela.
Est-ce que des langues différentes impliquent des manières différentes d'interpréter le monde ? Est-ce que les langues structurent la pensée et la culture ?
RépondreSupprimerUne langue peut-elle modifier la compréhension de concepts fondamentaux comme la perception de l’écoulement du temps, la mort, la vie, le passé ?
RépondreSupprimerA l'origine du film de Villeneuve, un roman de science-fiction : "L'Histoire de ta vie "( Story of Your Life) de Ted Chiang, publié en 1998 puis traduit en français et publié en 2006 dans le recueil "La Tour de Babylone" aux éditions Denoël. Il a obtenu le prix Nebula du meilleur roman court 1999 ainsi que le prix Theodore-Sturgeon 1999.
RépondreSupprimerL'avez-vous lu , Soleil vert ?
https://www.babelio.com/livres/Chiang-La-tour-de-Babylone/32490
RépondreSupprimerDe Denis Villeneuve je ne connais qu'un seul film et quel film ! "Incendies" (2010).
RépondreSupprimerJ'ai pensé à "Rencontres du troisième type", un grand film de Steven Spielberg. Nous en avions parlé, un jour, sur ce blog.
RépondreSupprimerDans la nouvelle de Ted Chiang, il y a des passages intéressants sur ce langage, ainsi :
RépondreSupprimer"Quand une phrase de l'heptapode B atteignait une taille respectable, son impact visuel était remarquable. Si je ne m'efforçais pas de la déchiffrer, son aspect m'évoquait des mantes religieuses, chacune dans une position légèrement différente, dessinées dans un style cursif, et accrochées les unes aux autres pour composer une dentelle digne d'Escher. (...) Ils n'avaient rien à voir avec un style de calligraphie : leur sens de définissait selon une grammaire logique.(...)
On décryptait la grammaire de la langue parlée de l'heptapode A. Elle ne suivait en rien le schéma des langues humaines."
Toutes ces petites remarques sont le fruit d'une belle imagination doublée d'un don d'observation aiguisé.
Il n'y a pas de tentative de réponse armée dans le roman. Juste, un jour ils disparaissent...
RépondreSupprimerTout est centré sur la linguiste dont les épisodes de sa vie s'intercalent avec ses travaux de recherche sur le langage des heptapodes. C'est donc le temps et le langage qui sont au coeur du roman .
"La Tour de Babylone", recueil de nouvelles de Ted Chiang.
RépondreSupprimerLu mais pas chroniqué, c'était avant la création du blog (Mai 2011)
Très bon !
Merci, Soleil vert. J'ai commencé à lire ces nouvelles avant le sommeil. Ce matin sortie prévue et nécessaire dans le quartier, avec parapluie !
RépondreSupprimerCe qui est passionnant c'est ce récit direct de sa vie qui coupe littéralement la progression du dialogue avec les heptapodes. Dans ce récit de nombreux échanges scientifiques ayant un rapport avec le temps. Un niveau assez élevé dans le domaine des mathématiques et dans les phases de communication avec les heptapodes un questionnement sur le langage digne de Wittgenstein.
RépondreSupprimerC'est vraiment la connaissance et la découverte de l'autre qui émanent de cette courte nouvelle passionnante.
Même fin que dans le film : la rencontre amoureuse du couple qui donne sens à cette réversibilité du temps. Elle peut revivre à l'infini des périodes de sa vie mais ne peut changer ce qui doit arriver.
Je cherche le lien avec lHistoire. Je me demande quelle influence on peut avoir sur les évènements. Y a-t-il un destin plus fort que nos choix et nos actes ? Cela donnerait à cette philosophie quelque chose lié à une puissance supérieure qui déciderait du sort des hommes.
Pour Dora Bruder, ce n'était pas le destin mais la folie dévastatrice et criminelle du régime nazi et la lâcheté de ceux qui ont laissé faire.
Comment les Juifs croyants ont-ils vécu cette absence de Dieu dans leur martyr ?
Quand je lis les mémoires de votre père -colonne de droite - je me dis que pour lui la lutte était la réponse à cette Occupation de la France. Beaucoup y ont laissé leur peau, beaucoup ont subi tortures et emprisonnement. Quand je retourne dans le Vercors, j'y pense, souvent, à tous ces Résistants
RépondreSupprimerSur son blog, Hélène Dorion, parle aussi d'un retour amont dans le temps. Elle écrit à propos de ce roman : "Remontant le siècle, le long du Saint-Laurent, de Montréal à Pointe-au-Père, suivant des marées parfois cruelles, Hanna retrouvera la trace du premier amour de sa mère et retournera jusqu’en 1914, au moment du naufrage de l’Empress of Ireland. Elle apprendra qu’une catastrophe forme le tronc de tragédies intimes qui traversent les générations et que les survivants sont parfois les vrais naufragés. Sur cette route qui la conduit vers elle-même, elle pourra compter sur la force de l’art et de l’amitié pour éclairer sa quête."
RépondreSupprimerUne autre Hanna dont le nom n'est pas un palindrome puisque tout se passe dans la mémoire retrouvée.
Une issue... L'art, la poésie....
RépondreSupprimerSes questions n'ont pas de réponse....
RépondreSupprimerElle répond à cette question : "Pourquoi ce livre est-il ponctué d’autant de questions ?
RépondreSupprimer« Parce que la question déplace les angles par lesquels on regarde la réalité. Et parce que je trouve le doute extrêmement fécond. Je trouve le gris très important. Bien qu’il soit inconfortable, le gris, c’est l’espace du doute, et le doute, c’est le mouvement. On ne peut pas être fixe face à une question. La question nous force à nous déplacer et on est vivant quand on est en mouvement. La littérature a pour moi cette fonction de mettre en mouvement notre regard sur le monde, nos émotions, notre réflexion."
"Arthur a vu Emma sombrer au fond des eaux glacées, il ne pouvait rien pour elle, tout est allé si vite. Après avoir défoncé la porte de leur cabine, il a pris son fils dans ses bras et l’a poussé dans le corridor, qui n’était pas encore submergé. Au même moment, une autre porte s’est ouverte sous la pression de l’eau, et le petit garçon de quatre ans s’est retourné, il a vu son père être projeté par la vague puis s’est mis à courir.»
RépondreSupprimerHélène Dorion - "Pas même le bruit d'un fleuve".
https://www.magrittegallery.fr/product-page/le-ch%C3%A2teau-des-pyr%C3%A9n%C3%A9es-1
RépondreSupprimerJe regarde cette toile. Un minuscule château tout en haut d'un énorme rocher qui semble en lévitation entre le ciel et la mer. Une impression de vertige.
A la fin du recueil des huit nouvelles qui composent "La tour de Babylone", Ted Chiang a écrit une notice sur chaque nouvelle.
Pour "La tour de Babylone" - première nouvelle - il écrit :
"Cette nouvelle m'a été inspirée par une conversation avec un ami, durant laquelle il m'a raconté le mythe de la tour de Babel. (...) La légende originale concerne les conséquences du défi lancé à Dieu. Ce qu'elle m'a évoqué, c'est une cité fantastique dans le ciel, une image comparable au "Château des Pyrénées " de Magritte. L'audace d'une telle vision m'a fasciné."
Je suis en train de lire cette nouvelle. Quel vertige ! 40 pages éblouissantes. La nouvelle est traduite par Pierre-Paul Durastanti.
"Toucher la voûte du ciel. (...) Quand on aura terminé, tous pourront toucher la voûte du ciel. (...)
Et la tour s'élevait encore et toujours, jusqu'à disparaître dans le néant. (...) Hillalum recula de deux pas en titubant, pris de vertige, et de détourna avec un frisson. (...)
Le regard tourné vers le ciel, ils s'étaient interrogés sur le lieu de résidence de Jéhovah, au-dessus des citernes contenant les eaux du firmament. En ces siècles d'antan, ils avaient entamé la construction de la tour, ce pilier du ciel. (...) Il lui semblait ne plus se trouver sur Terre quand il laissait son regard de perdre le long de cette flèche."
Quelle osmose entre cette toile de Magritte et c'est nouvelle palpitante .!
cette
SupprimerPour l'image du Château des Pyrénées de Magritte, désolée pour le laïus commercial. Je pensais qu'il n'y avait que l'image !
RépondreSupprimerBonsoir SV,
RépondreSupprimerJe n'étais pas venue ici depuis un moment et tombe sur le Modiano le plus célèbre. Ta lecture a créé une gêne chez toi, en ce qui me concerne je n'ai éprouvé qu'un ennui abyssal devant Villa Triste...
Toujours La tour de Babel imaginée par Ted Chiang. Il me semble être face au tableau de Bruegel.
RépondreSupprimer"Les rampes montante et descendante s'enroulaient sans se toucher, mais, à travers la tour, des tunnels les reliaient que les deux trains de haleurs, après s'être déharnachés, empruntèrent afin d'échanger leurs chariots. (...) La première équipe s'attela aux véhicules vides pour regagner Babylone.(...)
"Vous n'avez jamais observé le soleil à cette altitude."
Il alla s'asseoir, jambes dans le vide. (...)
A la base de l'immense pilier, la minuscule Babylone se trouvait dans l'ombre. L'obscurité escalada la tour tel un dais qui se serait déroulé vers le haut. (...)
Hillalum roula sur lui-même et leva les yeux, juste à temps pour voir les ténèbres gravir le reste de la paroi. Peu à peu, le ciel s'assombrit tandis que le soleil s'enfonçait derrière le bord du monde, au loin.
Pour la première fois, il savait ce qu'était la nuit : l'ombre de la terre même, projetée contre le ciel."
Quel régal de lecture...
Là, oui, je ressens un vertige ! Que de beauté...
Et maintenant il coïncide avec les impressions ressenties face au tableau de Magritte.
RépondreSupprimer"On n'avait plus d'assise. L'édifice évoquait un fil en suspens dans les airs, séparé de la terre comme du ciel."
RépondreSupprimerPuis, on entre en science-fiction.
"On dépassa enfin l'altitude du soleil et la situation revint à la normale.
A ceci près que la clarté montait, ce qui paraissait anormal. (...)
Ensuite la caravane atteignit le niveau des étoiles, vaste champ de petites sphères flamboyantes."
Le lecteur peut-il imaginer la suite ?
Un indice :
RépondreSupprimer"Il se sentait incapable de discerner le haut du bas et son corps ne savait plus dans quel sens il était attiré : le vertige, en bien pire.
Comment échapper à la folie ? Peut-être les hommes n'étaient-ils pas censés vivre en un tel lieu."
Je ne vous dirai pas la fin de la nouvelle. C'est époustouflant....
RépondreSupprimerBruegel qui est comme Magritte qui est. Comme Bruegel…Vous n’avez pas un peu fini?!!?
RépondreSupprimerBruegel est plus près de la scène biblique. Magritte en toute représentation sollicite l'étrange, le déséquilibre, l'interrogation devant ses paradoxes.
RépondreSupprimerTed Chiang dont j'apprécie vraiment les nouvelles réunies dans ce recueil confie dans une note que c'est ce tableau de Bruegel qui l'a inspiré. Un tableau (voir lien) qui a priori n'a rien à voir avec la légende biblique de la tour de Babel. Et plus on avance dans la lecture de la nouvelle plus on comprend quelle inspiration elle lui a donnée.
Ne vous en déplaise - vous rimez bien - il y a une vraie pinacothèque dans ma bibliothèque.
Et vous comment lisez-vous ? Que cherchez-vous ici ? Sorti de l'ombre anonymement pour tenter d'échapper à l'oubli....
>ED : Villa triste n'est pas ce qu'il y a de plus représentatif dans l'oeuvre de Modiano. Mais son style, et sa démarche mémorielle vont-ils te plaire ?
RépondreSupprimer>Christiane : Dans ma besace, Salinger, Conrad, un autre Modiano. En littérature générale, je suis déconnecté de l'actualité littéraire, mais j'essaye de viser le haut de gamme. En SF et assimilé je suis l'actualité au compte-goutte, mais j'aime revenir à mes classiques.
Merci pour votre curiosité inlassable de lecteur passionné, Soleil vert.
RépondreSupprimerTrès belle chanson que "Tu es venu", écrite par Jean Ferrat pour sa compagne Christine Sèvres.
RépondreSupprimerElle est restée dans l'ombre....
Pourquoi avoir choisi cette chanson, si bien chantée, pour ce livre de Modiano. Pour Dora Bruder, personne n'est venu...
Il y a dans le texte, l'ombre de Desnos cité par Modiano.
RépondreSupprimerCes vers connus : "J'ai tant rêvé de toi/Que tu perds ta réalité…" pourraient presque s'appliquer à l'auteur de Dora Bruder parlant de son héroïne.
"J'ai tant rêvé de toi..." C'est une autre chanson de Ferrat chantant Aragon et Desnos n'est pas évoqué dans "Tu es venu" mais peu importe, c'est une très belle chanson qui décrit une dérive dans Paris et cela ressemble à Dora Bruder, la fugueuse.
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup aimer l'écouter.
Je pense à toi, Desnos..
RépondreSupprimerhttps://www.google.com/search?client=ms-android-xiaomi-rvo3&sca_esv=d270a6982db3bc8c&sxsrf=ADLYWIIUdmLU0QV22exWqGGPPswjqMJi_g:1719760739755&q=&si=ACC90nzcg09uT9dLCxMVYtMO0-0pjgQ_JR12fuxEIIyv63Ip94qTV1AYapsQRC_0ZtNEAZoynNGfb1YkfgOgI0qMd3VDTJlwyfKvbQGlbSJ5MxqZvkyjNDU%3D&sa=X&ved=2ahUKEwj_kff_z4OHAxUmdqQEHV2iOdQQjukCegQINxAE&ictx=1&biw=375&bih=684&dpr=2.88
Et cet ultime poème de Desnos...
RépondreSupprimerhttps://memoirechante.wordpress.com/2011/07/18/robert-desnos-jai-tant-reve-de-toi/
Aragon qui n'a pas été tendre avec Desnos lors de la scission du mouvement surréaliste lui rend finalement hommage.
RépondreSupprimerOui, les surréalistes ont fait scission et ils ont eu raison.
RépondreSupprimer"1929 : en mars, André Breton et Aragon organisent une réunion pour discuter de l’engagement de certains membres du groupe surréaliste dans l’action collective et politique. Desnos ne se rend pas à cette rencontre et prend parti pour les exclus. Il publie Les Mercenaires de l’opinion dans la revue Bifur de Georges Ribemont-Dessaignes et écrit chaque mois dans la revue de Georges Bataille, Documents. En décembre, dans le Second manifeste du surréalisme, Breton procède à diverses exclusions dont celle de Desnos.
RépondreSupprimer1930 : les exclus du mouvement surréaliste publient un pamphlet extrêmement violent, Un cadavre. Dans ce texte collectif à charge contre André Breton, intitulé « Thomas l’imposteur » (recueil « Un cadavre »), Robert Desnos apostrophe ainsi l’auteur du «Manifeste du Surréalisme» : « la dernière vanité de ce fantôme sera de puer éternellement parmi les puanteurs du paradis promis à la prochaine et sûre conversion du faisan André Breton ». Puis, Desnos poursuit la polémique en publiant Le troisième manifeste..."
Dans la revue Histoire, ces quelques lignes :
RépondreSupprimer"Pourtant, à peine deux ans plus tard, début 1927, les surréalistes adhèrent au parti communiste... Cette évolution, qui peut paraître chaotique, illustre bien la complexité des rapports entre le mouvement surréaliste et la politique. Pourquoi, après avoir clamé haut et fort leur dédain, les surréalistes gagnent-ils les rangs du PC ? Mais aussi, car les deux questions sont liées, pourquoi en sont-ils exclus dès 1933, à l'exception d'Aragon qui demeurera communiste jusqu'à sa mort en 1982 ? Paradoxes, ambiguïtés, revirements : la tentative de greffe du surréalisme sur le terrain du politique était-elle vouée à l'échec ?"
Oui, Soleil vert, page 100, Modiano évoque sa visite au docteur Ferdiere et donc de Desnos.
RépondreSupprimer"Je savais vaguement qu'il avait accueilli Antonin Artaud à l'hôpital de Rodez et qu'il avait tenté de le soigner. Mais une coïncidence m'avait frappé, ce soir-là : j'avais apporté au docteur Ferdiere un exemplaire de mon premier livre, "La Place de l'Étoile", et il avait été surpris du titre. Il était allé chercher dans sa bibliothèque un mince volume de couleur grise qu'il m'avait montré : "La Placé de l'Étoile" de Robert Desnos, dont il avait été l'ami. Le docteur Ferdiere avait édité lui-même cet ouvrage à Rodez, en 1945, quelques mois après la mort de Desnos au camp de Terezin, et l'année de ma naissance. J'ignorais que Desnos avait écrit "La Place de l'Étoile". Je lui avais volé, bien involontairement, son titre."
Début d'une série sur France culture : La Métamorphose de Kafka. Très intéressant.
RépondreSupprimerhttps://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-grandes-traversees/l-insecte-de-la-famille-3722133
RépondreSupprimerJe pourrais chercher
RépondreSupprimerDesnos si je ne l’avais déjà trouvé. J’ai dit mon rejet de l’Aragon d’ Apres-Guerre. Relu le Musée Grevin . Je ne viens pas ici chercher Kafka, Musil, ou les Viennois que j’ai en horreur. En revanche j’y viens pour la SF . Parfois d’accord, parfois pas. Je ne signe anonymement que parce que nous ne sommes pas nombreux et que mes posts sont en général reconnaissables. S’il y a confusion, je le dis. Le Ut Pictura Poesis a tout bout de champ n’est pas non plus mon fait, tout simplement parce qu’on ne s’en sort plus avec ce Bruegel qui , maintenant,inspire Deng(?) mais pourrait nous renvoyer à Picasso, qui lui-même, etc , etc. Ma pinacothèque est limitée: La Tour, Georges de, Le Lorrain, Friedrich, Titien. Ça ne veut pas dire que je n’en ai pas vus d’autres (les Bruegel de Vienne, entre autres, Durer, etc .) Bien à vous. MC
Voir 28 juin à 23h26 pour Ted Chiang et non "Deng".
RépondreSupprimerC'est l'auteur de SF qui a écrit la fiction qui a inspiré le film de SF que j'allais revoir le soir : "Premier contact" de Denis Villeneuve. (annonce à 20h58)
Ted Chiang a annoté chacune de ses nouvelles. Il écrit que la vue de ce tableau de Magritte l'a inspiré.
Après avoir relu celle qui a inspiré à Villeneuve son film, j'ai commencé à lire les autres.
La nouvelle, la première du recueil , "La tour de Babylone", rappelle évidemment cette fiction de la bible "La tour de Babel".
Le rapport avec Magritte n'est pas évident mais j'ai bien sûr pensé aux toiles que Bruegel a fait de ce mythe, exposées à Vienne.
Si vous prenez, MC, un commentaire sans relire ceux qui ont précédé ne vous étonnez pas de n'y rien comprendre.
Et puis signez vos commentaires. Celui-là, je n'avais aucune raison de vous l'attribuer.
Vous ajoutez : "Je ne viens pas ici chercher Kafka, Musil, ou les Viennois que j’ai en horreur."
RépondreSupprimerÇa c'est votre problème. Vous n'allez quand même pas faire la loi sur ce blog qui n'est pas le vôtre en excluant toute référence à ces auteurs que j'adore.
Je trouve que c'est une grande chance d'avoir accès aux lectures de Soleil vert. Si les chroniques qu'il met en ligne ne vous plaisent pas, rien ne vous oblige à les lire ou à les commenter.
Vous êtes un homme très autoritaire, volontiers persifleur, pas toujours agréable.
Bien à vous !
Ça va, MC ne disait pas celà méchamment.
RépondreSupprimerCertes, mais j’ai les Viennois en horreur, et vous ne me changerez pas!
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