André
Tubeuf - L’Orient derrière soi - Actes Sud
Quelle pulsion m’a incité
à acheter un livre dont l’ignorance du signataire révèle à mon corps défendant
une profonde méconnaissance de la musique classique ? D’abord une photographie
rose sépia du Bosphore dont la patine suggérée renforce la force doublement évocatrice
du titre. Car, dans mon esprit en tout cas, dissimulé sous le rituel récit
des adieux à l’enfance caractéristique des autobiographies, surgit un Adieu
balzacien à un Orient en voie de destruction et dont la légendaire hospitalité
plie sous les coups de butoir du fanatisme religieux. Enfin j’étais curieux du
destin de la diaspora chrétienne, pas celle des colons, mais des français
expatriés, fonctionnaires ou ingénieurs.
L’itinéraire d’André
Tubeuf conduit ainsi le lecteur des côtes de la mer Egée, aux bords de la mer
Noire, en passant par Istanbul, puis Alep, Beyrouth et enfin Jérusalem. Né d’un
père ingénieur et d’une mère issue d’une famille consulaire, l’auteur voit le
jour à Smyrne, aujourd’hui Izmir, ville portuaire arrachée après de sanglants
combats aux grecs par les troupes d’ Atatürk. André Tubeuf consacre ses plus
belles pages à sa cité natale et à Zonguldak une bourgade de la mer Noire. Ces
séjours heureux, entrecoupés de brefs aller retour à Paris sont interrompus
autant par les affections professionnelles paternelles que par la détermination
des autorités turques à prendre un contrôle total des activités économiques,
voire à fermer des écoles chrétiennes contraignant par exemple des religieuses
à fuir à Damas. Mais si la fibre grecque vibre de façon préférentielle chez
l’auteur, il n’en maîtrise pas moins rapidement la langue turque et ne
hiérarchise pas en quelque sorte sa nostalgie. On est levantin ou pas, point
final.
Aidé en cela par une
mémoire prodigieuse il exhume minutieusement
les archives familiales et restitue avec passion la vie quotidienne
d’une communauté de français de l’étranger dont il revendique fièrement
l’appartenance et dont les valeurs d’hospitalité et de solidarité résistent aux
exils successifs. La relation des séjours à Beyrouth et Alep durant la seconde
guerre mondiale, n’atteint pas la même intensité émotionnelle et ne suscite pas
le même intérêt documentaire. Le jeune André sous la férule des pères jésuites,
s’immerge dans l’étude, consolide sa foi
religieuse et suit la progression des Alliés. Bref il grandit.
J’ai aimé ce récit
d’apprentissage en forme d’exil permanent. Certes ces communautés m’ont semblé quelque peu refermées sur elles-mêmes. Mais
comme la Smyrne adorée de Tubeuf, nous portons tous en nous le souvenir
d’une Troie, d’un lieu définitivement perdu. De cet Orient enfui et
aujourd’hui en parti détruit - El Atlal (Les ruines) chantait Oum
Kalthoum - André Tubeuf tire une évocation sincère et émouvante. En revanche,
aucune trace de vocation musicale n’émerge à côté de l’initiation religieuse et
philosophique. Etonnant de la part du futur auteur d’un Dictionnaire
amoureux de la musique.
Extraits
Extraits
Smyrne n’en finit pas de s’étirer sur sa propre rive, dans
ses propres odeurs. Les noms turcs n’ont pas réussi à chasser les noms grecs.
On continue à dire Cordelio, le nom est si doux, ce sont les Muses qui l’ont
trouvé, avec ce quelque chose de roulé et de capiteux qui vient des oléandres
et des dattiers de la rive.
…
Smyrne alors s’éloignait dans des vapeurs dorées,
paresseuse, engageante, la douceur même, jusqu’au mauve des collines. Avoir vu
le jour ici, avoir ouvert les yeux ici,, avoir commencé à respirer et humer
l’air, parmi tant de parfums, c’est trop de privilège, cela se paye. Les tous
premiers parents ont connu cela, dans leur jardin à eux, on ne saurait y
demeurer toute une vie. Mais où que l’on doive ensuite errer, se fixer, reste à
jamais la bénédiction d’avoir connu cela d’abord. Le monde premièrement
est beau, le ciel lumineux, les buissons odorants, les gens hospitaliers. Même
l’exil en restera illuminé.
…
Le ciel du jour est plutôt blanc que bleu, grisé d’odeurs à
en être ivre et tomber lui aussi de sommeil. Comme il paraîtra différent quand
nous aurons gagné une autre Turquie, celle de la mer Noire, pour cinq ans de
plus ! Là il se montrera minéralement bleu et pur, profond et épais de
couleur. Mais tous mes étés de Smyrne, c’est comme s’il n’ y avait jamais eu au
ciel un bleu vraiment bleu, mais adouci ou plutôt efféminé de blanc,
comme si un peu de vapeur y était sans cesse en suspend, prête à se changer
sous l’effet de la chaleur qui monte du ciel en un scintillement doré, qui fait
plisser les yeux, et quand il vire au blanc, ils faut qu’ils se détournent.
Cela peut être à quoi les grands voyageurs littéraires en extase ont donné du blond
– mais ils ne l’auraient pas soutenu tout un été. La beauté ici fatigue. A Ephèse,
tout près, l’Histoire arrêtée, la pierre des statues, les colonnes rafraîchissent.
Mais ici l’eau du golfe, au calme plat, ajoute à sa réverbération. On s’enivre
mais on succombe. Homère était aveugle.
Cela passe ici, mais il avait un cote Bossuet des Divas qui rendait sa critique musicale insupportable.et malheureusement, ce style a fait souche...
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