Roger
Zelazny - 24 vues du Mont Fuji par Hokusai - Le Bélial’ - Une Heure Lumière
Commençons par le bandeau
rouge du Hugo 1986. Je me souviens que jadis certains esprits sans doute bien
informés tentaient d’expliquer la liste impressionnante d’ouvrages primés de
Roger Zelazny par l’existence de coteries. Si coterie il y eut, ce fut sans
doute une confrérie de gens intelligents et cultivés et non de Puppies. Ces 24
vues appartiennent en effet à une catégorie de fiction qui au delà de
l’intrigue interroge la littérature à l’instar de Don Quichotte. On ne
trouve plus guère aujourd’hui que Christopher Priest ou Jasper Fforde pour
jouer ainsi sur les codes narratifs. Or, on le verra, les 24 vues du Mont
Fuji par Hokusai dans l’édition du Bélial’ proposent ni plus ni moins une
expérience multimédia.
Le pitch n'est pas des plus
simples. L’éditeur prend soin à ce sujet de citer Georges Martin qui qualifiait
l’auteur des Neuf Princes d’Ambre de poète. Vous voilà prévenus. Bref, Mari
vient de perdre son époux. Un deuil compliqué d’ailleurs puisque
Kit a opté pour un mode d’existence digitale. Munie de vingt quatre estampes, elle
entreprend un pèlerinage sur les traces du célèbre peintre Hokusai afin de débusquer
un ennemi, peut-être le responsable de la disparition. Les étapes ou stations fournissent le support d’une réflexion
renforcée par la confrontation entre les images et la réalité des paysages, ou
de cadre à des combats contre des artefacts électriques.
24 vues du Mont Fuji par Hokusai se lit d’abord comme un jeu de piste, une histoire guidée par des images. C'est aussi une
course entre l’écriture et la mort, un thème récurrent dans l’oeuvre de
Zelazny. Il ne s’agit pas de fuir dans la représentation pour échapper au réel,-
c’était l’idée de Yourcenar dans « Comment Wang-Fô fut sauvé »
- mais de combattre « l’ennemi intime ». L’art ne se substitue
pas à la réalité mais la tient à distance en lui apportant une signification, et
en offrant une forme de salut. Mari récuse d’ailleurs toute forme d ’abandon de
l’esprit, y compris le nirvana digital, une réponse peut être à Neuromancien
paru un an plus tôt.
Chaque chapitre suscite une
méditation et suggère une leçon. « Le mont Fuji depuis Hodiyaga »
et ses pèlerins semblables aux pins tordus du second plan métaphorise
évidemment l’idée que la vie est un voyage mais renvoie l’héroïne aux souvenirs
des pins de l’Oregon, ainsi qu’aux contes de Canterbury dont s’inspira plus
tard un certain Dan Simmons pour rédiger Hyperion. Le pêcheur au dessus de la
vague du chapitre 6 fait surgir Le vieil homme et la mer. Plus étonnant la
mer à marée basse et les pêcheurs de l’estampe intitulée « Le mont Fuji
depuis Naborito » deviennent acteurs du drame de la cité engloutie
R’lyeh, lieu de repos d’un certain Cthulhu.
On ne détaillera pas le
contenu des autres chapitres. Mais quelque chose survient. Très vite le lecteur
se précipite sur son PC ou son smartphone et effectue des allers retours entre
le livre et les images. La lecture devient jeu de piste, confrontation entre
texte et décor. Regardez bien le tonneau du chapitre initial, on dirait une
porte d’entrée … C’est ainsi que j’ai eu l’impression de basculer tour à tour
dans Quin (vénérable jeu vidéo de 1988) ou le blog de Lionel Dersot et ses
balades photographiques dans le région de Tokyo. Une expérience multimédia. Incroyable
non ?
(Texte corrigé le 08/07/2020)
(Texte corrigé le 08/07/2020)
RépondreSupprimerBrillante chronique .En effet on peut y voir une interaction avec le roman de Sabato (art et fiction)
A Biancarelli