Vandana
Singh - Infinités - Denoël Lunes d’encre
De nationalité indienne,
vivant aux Etats-Unis, Vandana Singh est professeur de physique et auteur de
science-fiction. Elle a publié depuis 2002 trois romans et une vingtaine de
nouvelles. Celles-ci ont été traduites en France principalement dans les revues
Fiction et Bifrost. Infinités regroupe dix d’entre elles ainsi qu’un
court essai.
Avant de présenter les
textes, quelques mots sur la couverture sidérale et sidérante dessinée par
Aurélien Police. Rarement a été aussi bien illustrée l’idée que le désir en
nous projetant sans cesse sur de nouveaux objets en rejette la satisfaction
définitive vers un horizon inatteignable. L’inaccessibilité de cette
femme-nébuleuse renvoie aussi à l’incompréhension des hommes vis-à-vis de la
gente féminine. James Tiptree avait intitulé une de ses nouvelles « The
Women Men don’t see » et plusieurs textes de Vandana Singh gravitent
autour de ce constat. D’autres enfin y verront Maya, héroïne de « Tétraèdre ».
Une dessin de Virgil Finlay |
Plus prosaïquement,
l’inspiration d’Aurélien Police hérite de celle des pulp-artists, en
particulier ici de Virgil Finlay. Ce dessinateur décédé en 1971 avait travaillé
pour les magazines Weird Tales et The American Weekly. Beaucoup moins connu que
Frank Frazetta, ses travaux témoignent d’une rare élégance de style, combinant
réalisme et imagination.
Les dix nouvelles forment
un ensemble homogène. Les personnages, dont une légère majorité de femmes,
évoluent au cœur de la société indienne, ce qui permet à l’auteur de jouer avec
la thématique de l’émancipation, à la fois rupture avec une culture
traditionaliste dominée par les hommes, et affranchissement du réel au profit
d’autres univers. Vandana Singh se situe ainsi aux avant-postes de la fiction
spéculative moderne.
« Faim»
raconte une fête d’anniversaire interrompue par le décès d’un parent d’un
domestique du voisinage. L’incident met en lumière les clivages sociaux de la
société indoue. Les invités issus de la classe dirigeante et du milieu
professionnel du mari de l’héroïne sont choqués par la compassion de celle-ci envers
les humbles. « On n’a pas besoin d’aller dans les étoiles pour trouver
des aliens » dit Divya. C’est
bien vu, mais justement dans cette optique j’aurais souhaité que l’auteur
s’appesantisse un peu sur les lectures de science-fiction de son personnage, ou
qu’un ouvrage de science-fiction soit mis en parallèle avec le reste du récit.
« Delhi »
met en un scène un personnage vagabond à la recherche d’une jeune femme qui
pense t’il répondra à ses angoisses existentielles. Ses pérégrinations
l’amènent également à emprunter des flux temporels. Comme précédemment le
véritable thème de la nouvelle est la découverte d’univers moraux. A la lecture
cependant le récit semble partir dans tous les sens.
Hormis ces deux réserves
et « Les trois contes de la rivière du ciel » qui m’ont laissé
indifférent, les autres récits vont du bon à l’excellent.
La folie et l’humour
constituent les ingrédients principaux de « La femme qui se croyait
planète », satire encore de la famille indienne avec un mari plus
soucieux de respectabilité que du bien être de sa femme. Un texte fantastique
dans la lignée de Tiptree.
« Soif »,
encore plus abouti, raconte l’histoire
d’une femme attirée comme sa lignée par l’eau et qui oscille entre deux
univers. La progression maîtrisée du texte, la beauté de l’écriture
émerveillent.
Pièce centrale du
recueil, « Infinités » s’apparente autant à une méditation,
qu’à un récit proprement dit, à travers la vie d’un prodige scientifique hanté
autant par les mystères des nombres que par l’irrationalité du comportement de
ses semblables. On ne se lasse pas de lire et de relire cette nouvelle aussi
intelligente qu’érudite.
Le thème de la rencontre
avec des civilisations extraterrestres émerge de deux récits, « Les lois de
la conservation » et « Le Tétraèdre ». Dans le
premier, un astronaute découvre au sein d’une anfractuosité d’une falaise
martienne un espace interdimensionnel remplie de roues (svatiska ?). Dans
le second, promise à un mariage arrangé, une jeune femme profite de l’irruption
d’un gigantesque objet extraterrestre à New Delhi pour s’échapper dans d’autres
mondes. Encore l’influence de Tiptree !
Les deux dernières
nouvelles pourraient tout aussi bien être présentées dans une anthologie de
littérature générale. Elles sont caractéristiques de ces textes qui ne semblent
tenir que par l’écriture tant est mince le fil de l’intrigue. Dans « L’épouse »
une femme récemment divorcée fait le bilan de sa vie dans l’ancienne maison
familiale. Elle réalise qu’elle n’a été tout au long de sa vie qu’une étrangère
jusqu’ à l’être pour elle-même. Avec « La chambre sur le toit »
le recueil s’achève sur un air de fête, la fête de la mousson. Alors que
tombent les premières pluies annuelles, une jeune femme sculptrice s’installe
dans une chambre inoccupée d’une maison familiale. Pour qui, pourquoi travaille
t’elle ainsi sans relâche ? Dans cet ultime texte, la vie et la mort se
fondent joyeusement au sein même de la création.
L’hybridation littéraire
semble être le maître mot de Vandana Singh. C’est ainsi qu’il faudra apprécier
ce beau recueil où l’ombre d’ Alice Bradley Sheldon alias James Tiptree, pèse
plus à mon avis que l’influence revendiquée d’Ursula Le Guin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire