mercredi 25 juin 2014

Aucun homme n’est une île

Christophe Lambert – Aucun homme n’est une île – J’ai lu Nouveaux Millénaires







Certains romans restent en mémoire en raison de leur titre. Jean Edern Hallier, cité narquoisement – non sans raison - au début de l’oeuvre de Christophe Lambert, s’en faisait une spécialité : Le premier qui dort réveille l'autre, Chaque matin qui se lève est une leçon de courage … Mais parfois le titre ne se contente pas de donner de la visibilité à un texte. Il le porte, le charpente ou le condense tout entier. Les membres du jury du Prix Goncourt, enfin la moitié qui plébiscita La condition humaine de Malraux, l’autre appartenant manifestement à une espèce décérébrée, durent éprouver une sensation d’écrasement. Comment émettre un jugement après un pareil intitulé ? Aucun homme n’est une île (1) appartient à cette catégorie. Mais là c’est plutôt l’enthousiasme qui domine.


Christophe Lambert, auteur d’une quarantaine de romans, s’est bâti une réputation en matière d’uchronie depuis La brèche. Son dernier récit a pour cadre l’île de Cuba dans les années 60, quand s’affrontèrent castristes et américains jusqu’à l’épisode paroxystique de la crise des missiles. Dans un scénario alternatif, l’écrivain imagine que Kennedy annule le débarquement de « la baie des Cochons » au profit d’un second mieux préparé et réussi. Les troupes de Fidel Castro et Che Guevara se réfugient dans l’Escambray et tentent avec l’appui logistique des soviétiques de résister aux troupes de l’Oncle Sam. Averti de la situation, Ernest Hemingway, qui s’apprêtait à se faire sauter le caisson, prend l’avion pour interviewer Castro. La CIA lui fourre plus ou moins discrètement dans les pattes un de ses agents sous une couverture de photographe. Le grand romancier américain n’est plus le colosse dépeint par Dan Simmons dans l’excellent Les forbans de Cuba. Affaibli par l’âge et les séances d’électrochocs de la clinique Mayo, il garde néanmoins intact une curiosité et un intérêt indéniables pour le genre humain. Cependant il partage ici la tête d’affiche avec d’autres personnages secondaires que Christophe Lambert a pris soin d’étoffer. Le cameraman Nestor Almendros et le faux photographe Robert Stone embarqués dans des périples différents, l’un avec le Che, l’autre avec Hemingway, subissent en quelque sorte un bain psychologique révélateur dispensé par leurs prestigieux mentors. Une chaine humaine annoncée par le titre du livre.


Mais Aucun homme n’est une île ne se limite pas à un récit d’apprentissage. Le fond de l’affaire c’est tout de même la rivalité entre le Che et Castro inspirée à l’auteur par le discours d’Alger de Guevara. Rebondissements et situations dramatiques se succèdent sans invraisemblances rédhibitoires, au point de transformer l’uchronie en un roman de politique-fiction. Surprise, en bout de lecture, on en oublierait presque Les forbans de Cuba. Christophe Lambert n’ a rien négligé : intrigue, vérité des personnages, gros travail documentaire préparatoire.


« Je suis la Révolution, je suis Cuba » déclare dans le texte Castro. Dans notre réalité, le Che, dit on, avait répondu à son exécuteur « Soyez serein – me dit-il – et visez bien ! Vous n’allez tuer qu’un homme ! »


Aucun homme n’est une île est une sacrée bonne surprise.









Note :
(1) L'un des textes majeurs de John Donne, « No man is an island, entire of itself1... » a inspiré le titre du roman d' Hemingway Pour qui sonne le glas : « Nul homme n’est une île, un tout en soi; chaque homme est partie du continent, partie du large; si une parcelle de terre est emportée par les flots, pour l’Europe c’est une perte égale à celle d’un promontoire, autant qu’à celle d’un manoir de tes amis ou du tien. La mort de tout homme me diminue parce que je suis membre du genre humain. Aussi n'envoie jamais demander pour qui sonne le glas : il sonne pour toi. (Devotions upon Emergent Occasions, 1624) –(Wikipédia). On pourrait ajouter l’aphorisme de Térence « Nihil humanum est … »

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