vendredi 7 avril 2023

Les Cartographes

Peng Shepherd - Les Cartographes - Albin Michel Imaginaire

 

 

La jeune Nell Young - admirez le clin d’œil, il n’est pas le seul - travaille à New York dans un modeste atelier de reprographie. Ses compétences en matière de cartographie la destinaient à un tout autre emploi, à la prestigieuse New York Public Library par exemple, sur les traces de son père, le célèbre Dr Young. Mais celui-ci l’avait exclue d’un stage qu’elle effectuait dans ce même établissement pour une faute professionnelle. A l’annonce de son assassinat, bientôt suivi d’un second, elle se rend dans son bureau et découvre dans un tiroir secret une carte routière datant de 1930, celle-là même qui lui avait valu son renvoi.

  

Un peu à l’exemple Arturo Pérez-Reverte qui dans Le tableau du maitre flamand démarrait une intrigue policière à partir d’une curiosité nichée dans une toile de peinture, Peng Shepherd invite le lecteur à repenser les liens qui unissent le monde et sa représentation. Le document détenu par son héroïne mentionne en effet l’existence d’un village situé nulle part. Pire, tous les autres exemplaires de ce plan ont disparu. Certains ont brodé avec intérêt sur le sujet comme le philosophe Jean Baudrillard dans Simulacres et simulation émettant l’hypothèse comme l’auteure américaine que la carte précédait le territoire. D’autres comme Michel Houellebecq (1) semblent avoir mis un pied sans l’autre dans le pré carré Van Vogtien (2).

  

Le thriller est construit à partir d’une intrigue en miroir. Les investigations de Nell la mettent sur la piste d’un groupe mystérieux « Les Cartographes » auquel appartenait sa mère. Le présent et le passé des uns et des autres vont se télescoper comme dans Ça de Stephen King, les pièces du puzzle s’assemblant jusqu’au dénouement final. Les personnages sont un peu à l’eau de rose mais l’auteure tient bien son sujet, les pages s’avalent agréablement et on se prend même à rêver de l’Atlas du rêveur, le projet avorté des protagonistes, refuge de ceux qui se cherchent une place dans ce monde et les autres. 

 

 

 

 

(1) La carte et le territoire - Michel Houellebecq - Flammarion Prix Goncourt 2010

(2) Les multiples citations d'Alfred Korzybski dans Le monde des non A

115 commentaires:

  1. Quel souffle d'aventure plaisant. "Atlas du rêveur"... "repenser les liens qui unissent le monde et sa représentation."...
    Hum, ça donne envie !
    Lien intéressant avec "Le tableau du maître flamand" de Perez . Un échiquier et un polar. Superbe idée.

    RépondreSupprimer
  2. Merci Christiane. SV

    RépondreSupprimer
  3. Chut ! Je commence à le lire et ça me plaît.

    RépondreSupprimer
  4. C'est très agréable de se trouver face à ce mystère. Mais qu'a donc de particulier cette carte routière de New York ? Je savoure l'entame. Cela me fait penser à la Lettre volée d'Edgar Alan Poe. Un mystère caché aux yeux de tous par la banalité de sa cachette.
    Je sens que je vais passer de bons moments avec ce livre.

    RépondreSupprimer
  5. (Allan)
    Oui, cette carte semble banale, ordinaire. Il faut donc la regarder autrement...

    RépondreSupprimer
  6. Lecture appréciée.
    Pas mal de rebondissements et surtout on ne se doute pas de la fin.
    Vraiment recommandable.

    RépondreSupprimer
  7. Chic alors ! J'espère ne pas deviner la fin mais tout mettre en oeuvre pour la deviner.
    Vous n'avez pas de nom ? C'est triste de ne pas avoir de nom.

    RépondreSupprimer
  8. Ah ça c'est drôle, page 51, quatre fois le mot "volée" !

    RépondreSupprimer
  9. C'est tellement prenant que je résiste au désir de lire la fin mais ce serait gâcher le plaisir. Alors, 1 je résiste, 2 je ne dévoilerai pas la fin dans cet espace. C'est bien mené. Cela fait longtemps que je n'avais lu un bon polar, ça fait du bien. Quelle détente !

    RépondreSupprimer
  10. "Pas de vitres brisées, pas de trous dans les murs."
    Il y a du Gaston Leroux dans ce mystere, un bureau qui ressemble à La chambre jaune.
    "Nell soupira. Plus elle réfléchissait, moins elle avait de réponses - et plus elle avait de questions.(...)
    Ça n'avait aucun sens. Comment peut-on faire intrusion dans un bâtiment... sans faire intrusion dans un bâtiment ?"

    RépondreSupprimer
  11. Un certain Samuel écrit sur la RdL "Pourquoi une fin du monde alors que notre monde est plutôt sans fin ?"
    Voilà une belle ouverture à la science-fiction.

    RépondreSupprimer
  12. l'Atlas du rêveur. Quelle belle idée... Une "collection d'endroits vrais et d'endroits imaginaires mais intervertis".
    Cela me conduit encore une fois aux globes de Corinelli . Surtout le globe terrestre car il présente l'état des connaissances géographiques connues et imagine ce qui n'est pas connu. Ainsi la Californie est une île. Les tracés géographiques furent confiés à des spécialistes. (Pour le Mississippi : Franquelin, cartographe et à Cavelier de La Salle, explorateur.)
    Même exploration que dans le roman de Peng Shepherd. "Des points communs entre l'art et la science cartographique" et l'Histoire (MC en sait beaucoup at ce sujet....).
    Oui, les cartes sont des choses merveilleuses et puissantes . Il est bon aussi que le roman rappelle toutes les cartes magnifiques des romans de fantasy. Et dans la bande d'étudiants, évoquée par Ramona, ceux qui "devaient décortiquer les romans et effectuer des recherches sur leurs cartographies respectives."
    Ainsi la poésie entre de plein fouet dans le thriller.
    .

    RépondreSupprimer
  13. Mais est-ce de la SF ou du Harlequin? J’avoue ne pas bien voir la différence. Enfin il est permis de s’égarer du côté du meilleur Arturo Perez-Reverte, qui, depuis ce coup de maître, poursuit obstinément sa descente aux Enfers! .MC

    RépondreSupprimer
  14. "Dieu déplace le joueur, et celui-ci la pièce. Quel Dieu derrière Dieu commence donc la trame ?" J.L.Borges
    Pensée mise en exergue au chapitre I du roman d'Arturo Pérez -Reverte : "Le tableau du maître flamand".

    RépondreSupprimer
  15. Cartographie : un bon exemple, l'île de sable (Sandy island), cartographiée mais inexistante.SV

    RépondreSupprimer
  16. ... à moins de se rendre sur place avec la carte
    SV

    RépondreSupprimer
  17. C'est vrai que les cartes font rêver et que parfois approchant du lieu recherché, soudain, happés par la verticalité du paysage, les jeux de lumières et d'ombres, les bruits, les gens rencontrés ou leur absence, l'architecture, une pluie soudaine... on se retrouve ailleurs, comme si le réel avait absorbé le dessin de la carte. Ou le temps...
    Et puis, il y a la boussole et cette petite aiguille aimantée attirée par le nord. Imaginons que la boussole s'affole côtoyant une source d'aimantation autre. Imaginons que ce chemin traverse une forêt immense, que les arbres cachent le soleil, que le sentier se perde.
    Je me souviens d'une carte dans un livre d'enfant, L'île au trésor. C'était tout à fait extraordinaire. Le chemin vers un secret.
    En ce temps-là nous dessinions des cartes imaginaires simulant la géographie des lieux qui nous étaient familiers. Il fallait trouver quelque chose que le maître du jeu avait caché.
    Il faut bien connaître le paysage et les maths pour faire une carte géographique utilisable ou indiquer de fausses directions pour perdre un poursuivant.
    A Quimper en 2017 vous aviez utilisé une carte du XVIe siècle je crois pour Le Nobletz...

    RépondreSupprimer
  18. Vos deux messages, Soleil vert, dont une ouverture immense sur le rêve de Peng Shepherd et pas seulement le sien. Une carte qui invente un chemin entre le réel et l'imaginaire. Un lieu qui existe parce qu'on le dessine, qu'on le nomme , que l'on fait une carte qui montre le chemin pour le trouver. C'est comme l'écriture....
    Nous sommes toujours sur cette crête façonnée par la jointure de deux versants, le réel et le rêve.... Marchant au milieu d'un espace où tourbillonnent des étoiles invisibles, des planètes inconnues, des rivières de lait.
    J'aime bien votre livre et de temps at autre j' entrouvre Le tableau du maître flamand...

    RépondreSupprimer
  19. https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/10/sandy-island-lile-cartographiee-qui-nexistait-pas

    RépondreSupprimer
  20. Lire les quelques pages de remerciements qu'elle écrit à la fin du livre, c'est saisissant. Quand la fiction rencontre le réel....

    RépondreSupprimer
  21. Encore Samuel sur la RdL
    "Pourquoi n’est-il pas possible de trouver la paix dans les ténèbres ?"
    La réponde de MC est parfaite. "C'est un peu la question de Pâques."
    Samuel écrit comme Fra Angelico peignait...

    RépondreSupprimer
  22. Dans le roman de Peng Shepherd j'ai aimé la carte routière qui indique un village dont l'existence n'est pas certaine et qui dépend du dessin de la cartographe.
    Par contre l'histoire qu'elle a construit autour de ce postulat m'a paru simplette. Affaire de goût. Le personnage de Nell se suffisait à luimemey ainsi que la quête du mystère de la carte.
    J'ai beaucoup aimé les méditations qu'ouvre le postulat de départ et cette cartographie de linstable.
    Mais je brûle de me glisser dans le roman d'Arturo Pérez -Reverte : "Le tableau du maître flamand".

    RépondreSupprimer
  23. "Lire les quelques pages de remerciements qu'elle écrit à la fin du livre, c'est saisissant."

    Dans la littérature de genre anglo-saxonne, les remerciements sont souvent conséquents. On dirait que les écrivains font corps.

    RépondreSupprimer
  24. Elle dit la même chose que vous (Sandy Island).
    Cette situation mystérieuse de terres ou villages ou fleuves dont l'existence est liée à une carte géographique est tellement énorme, époustouflante que j'aurais aimer la voir traitée comme Les mystères de l'île de Pâques de Francis Mzzières. La saga familiale est presque superflue. Le travail de la cartographe est bouleversant comme sa solitude. Ce huis clos aussi dans le bureau fermé sur son mystère. Enfin plein de belles choses, de belles intuitions. On ne peut reprocher à un écrivain de suivre le chemin de son imagination mais le lecteur peut bifurquer, songer à un autre chemin d'écriture tout en respectant le travail de l'artiste. J'ai aimé la première partie. Après j'ai écrit une autre suite dans ma tête.
    Merci pour cette délicieuse surprise.
    Ah les cartes... Quel. chemin de rêverie, d'aventures possibles.
    Mais non c'est loin d'être arlequin sauf pour le costume en chapitres très comedia delarte.

    RépondreSupprimer
  25. Francis Mazière. "Fantastique île de Pâques" : . (Photographies de l'auteur)

    Comedia Dell'arte

    RépondreSupprimer
  26. Ah Francis Mazieres! Les livres noirs de Robert Laffont, alors surfant sur le mouvement planète. De lui, j’ai entendu dire que sa femme était pascuanne. Mais une thèse non encore publiée est venue m’inciter à la méfiance. Portant sur Planète, encore inédit, le grand travail de Damien Karbovnik révèle que les trois-quarts de ces écrivains Laffont sont in identifiables….ont-ils seulement existé ? L’écrivain qui fait rêver mais qui n’existe peut être pas! La prochaine fois que je le vois, je lui demande ce qu’il faut penser du cas Mazieres…. MC

    RépondreSupprimer
  27. Au demeurant, je me souviens avoir utilisé son autorité pour une vraie-fausse conférence - elle ne dépassa pas l’affiche- ou , devenu Poete, il était sensé présenter le futurisme italien avec certes Marinetti, mais aussi les oins connus , et pour cause, Monoto, Petireccho, etc…plasticité du mythe Mazieres…. MC

    RépondreSupprimer
  28. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer
  29. MATE KITE RANI... Celui qui regarde les étoiles (la couverture du livre de Francis Maziere. fantastique île de Pâques)

    RépondreSupprimer
  30. Une vraie fausse conférence ! Amusant.

    RépondreSupprimer
  31. J'ai supprimé un commentaire trop personnel se rapportant à un certain 8 avril mémorable où j'échangeais avec une interlocutrice bien particulière des impressions sur ces mystérieuses statues de l'île de Pâques. Toutes semblant regarder les étoiles.

    RépondreSupprimer
  32. Bonheur de ce matin de Pâques, je commence "Le tableau du maître flamand" f'Arturo Pérez -Reverte.
    "La partie d'échecs", une huile sur bois de Pieter Van Huys de 1471.
    Une scène d'intérieur, peinte avec le réalisme minutieux des Quattrocentistes. Deux hommes, un seigneur et un chevalier, de noble aspect, assis de part et d'autre d'un échiquier. Au deuxième plan, à droite, à côté d'une fenêtre en ogive, une dame vêtue de noir lit un livre qu'elle tient posé sur ses genoux...
    Mais, cinq siècles plus tard, une radiographie du tableau révèle une phrase cachée : "QUIS NECAVIT EQUITEM" ("Qui a tué le chevalier ?")
    Et pour rappel, la citation de J.L. Borges, mise en exergue : "Dieu déplace le joueur, et celui-ci la pièce. Quel Dieu derrière Dieu commence donc la trame ?"
    Comme je suis heureuse de n'avoir pas encore lu ce livre...

    RépondreSupprimer
  33. On pense au "Joueur d'Échecs" de Stefan Zweig l'écrivain face au destin et à l'Histoire.
    Un palimpseste aussi entre deux époques et l'art pour mener une enquête policière.

    RépondreSupprimer
  34. https://soleilgreen.blogspot.com/2020/04/le-joueur-dechecs.html

    RépondreSupprimer
  35. Je me demande si cette phrase de Borges n’est pas aussi une vraie fausse citation. Ne jamais oublier son éducation anglaise qui lui permet de considérer l’ésotérisme avec une distance très british….c’est ainsi qu’on peut le ressentir. Vous qui aimez la peinture, vous allez vous régaler. (Tiens, Un Nakagami « « période bleue » va bientôt rejoindre certains murs!)

    RépondreSupprimer
  36. Voilà le poème de Borges en entier . Je crois qu'il méditait sur le joueur prisonnier comme enfermé dans un labyrinthe.

    "Roi faible, torve fou, et acharnée,
    La reine, tout directe et pion malin
    Sur le noir et le blanc de leur chemin
    Cherchent et se livrent un combat concerté.

    Ils ne connaissent pas la primauté
    De la main qui gouverne leur destin,
    Ils ignorent qu’une rigueur sans frein
    Commande leur journée, leur liberté

    Le joueur lui aussi est prisonnier
    (Omar l’a dit) d’un tout autre échiquier
    Où blancs sont les jours et noires les nuits.

    Dieu pousse le joueur et lui, la dame.
    Quel dieu derrière Dieu, tisse la trame?
    Poussière et temps et songe et agonies?"

    RépondreSupprimer
  37. "Tenue rey, sesgo alfil, encarnizada
    reina, torre directa y peón ladino
    sobre lo negro y blanco del camino
    buscan y libran su batalla armada.

    No saben que la mano señalada
    del jugador gobierna su destino,
    no saben que un rigor adamantino
    sujeta su albedrío y su jornada.

    También el jugador es prisionero
    (la sentencia es de Omar) de otro tablero
    de negras noches y blancos días.

    Dios mueve al jugador, y éste, la pieza.
    ¿ Qué Dios detrás de Dios la trama empieza
    de polvo y tiempo y sueño y agonías ?"
    Borges

    RépondreSupprimer
  38. Mais comme dans "Le septième sceau" de Bergman les échecs ont aussi un lien avec la mort quand la partie prend fin. Alors le chevalier est face à un adversaire de l’au-delà. L’échiquier met l’homme face à sa mort.

    RépondreSupprimer
  39. Nakagami... C'était au temps des nuages, nous étions comme eux de passage.

    RépondreSupprimer
  40. https://www.google.com/search?q=pieter+van+huys+la+partie+d%27%C3%A9checs&oq=pieter+van+hyus&aqs=chrome.2.69i57j46i13i512j0i13i512l2j0i13i30l3j0i22i30l7.11809j1j1&client=ms-android-xiaomi-rvo3&sourceid=chrome-mobile&ie=UTF-8#imgrc=_H7fM08FbEYBDM&lnspr=W10=

    RépondreSupprimer
  41. Mais Pieter Huys né en 1519 et mort en 1584 à Anvers. Donc le tableau et l'artiste ont été inventés par l'auteur Peng Shepherd...



    RépondreSupprimer
  42. Oups ! non Peng Shepherd
    mais Arturo Pérez -Reverte auteur du tableau du maître flamand.

    RépondreSupprimer
  43. Une exploration remarquable de Jean-Pierre Nauguette
    pour La Revue des deux mondes sur ce roman.

    https://www.google.com/url?sa=t&source=web&rct=j&url=https://www.revuedesdeuxmondes.fr/wp-content/uploads/2016/11/f1d4872e8bdd21e75099f32adeb4ddb3.pdf&ved=2ahUKEwigycbWw5z-AhU9TKQEHehKA5gQFnoECDcQAQ&usg=AOvVaw02CMDanb-MAgG6kyFnyYBt

    RépondreSupprimer
  44. Jean-Pierre Naugrette "Qui a tué le chevalier ?"

    RépondreSupprimer
  45. Allez lire la belle chronique de SV sur Perez Reverte!

    RépondreSupprimer
  46. Mais elle est déjà en lien. Et oui, elle est remarquable.

    RépondreSupprimer
  47. Celle que j'ai rajoutée
    de Jean-Pierre Naugrette explore la vérité historique du "chevalier, Roger d’Arras, assassiné deux ans avant la réalisation de la toile et qu’une partie oppose au Duc d’Ostenbourg. " et d'autres personnages en comparant les dates de leur vie réelle et celles supposées dans le roman.
    Ce qui est extraordinaire c'est ce trompe l'oeil très réussi. On y croit vraiment à cette toile. Un peu les faux-semblants de l'autre roman avec ce village réel ou irréel qui apparaît et disparaît d'une carte routière.
    Les deux romans sondent ce qui dans l'image ou l'écriture est trompeur , mêlant le réalisme magique à l'Histoire, à l'art, la géographie. C'est très poétique..
    Par contre j'ai été très étonnée du peu d'enthousiasme des commentateurs du roman chroniqué dans ce billet de Soleil vert (en lien dans le billet du jour). Ils semblent s'être ennuyés en lisant le palpitant roman d'Arturo Pérez-Reverte "Le tableau du maitre flamand".
    Je l'ai juste commencé mais je suis conquise d'autant plus que la prouesse de l'auteur est remarquable tant la fiction ressemble a la réalité. Le fameux Pieter Huys (le vrai) n'a jamais peint de joueurs d'Échecs.
    Bref un régal et un intuitif chroniqueur.

    RépondreSupprimer
  48. Soleil vert vous ciblez bien leur étrange parenté : "Un peu à l’exemple Arturo Pérez-Reverte qui dans Le tableau du maitre flamand démarrait une intrigue policière à partir d’une curiosité nichée dans une toile de peinture, Peng Shepherd invite le lecteur à repenser les liens qui unissent le monde et sa représentation. "

    RépondreSupprimer
  49. Au fond cette histoire de carte rappelle un peu le Sylvia Baron-Supeevielle sur le Phare dont je vous avais parlé, avec ce correctif qu’on arrive jamais ou l’on croit. Mes excuses pour Borges, j’avoue avoir pratique ses nouvelles plutôt que ses poèmes. Bien à vous. MC

    RépondreSupprimer
  50. Merci, Soleil vert pour cette autre piste : "Simulacres et Simulation"de Jean Baudrillard . Savez-vous dans quelle nouvelle de Borges il y reprend la métaphore de la "carte" : des cartographes créent une carte si précise qu’elle aboutit à recouvrir très exactement un territoire inconnu ?

    RépondreSupprimer
  51. Le dédale est une figure de la littérature. Contemporaine , qu’il s’agisse de la SF ou de l’autre, institutionnelle, pour faire bref. Un des titres les plus convaincants de Robbe-Grillet n’est-il pas Dans le Labyrinthe?

    RépondreSupprimer
  52. Mais Jean Baudrillard, semble assimiler notre époque à un artefact technologique qui annule toute distinction entre le réel et l’imaginaire.
    Là, je ne suis pas d'accord avec le philosophe. Ce qui fait la saveur de ces romans (ajoutons italo Calvino, Borges, Houellebecq....) c'est de distinguer l'un de l'autre , réel et fiction, pour apprécier la création de ce réalisme magique et le talent de ces écrivains..

    RépondreSupprimer
  53. Quatrième de couverture de l'essai de Jean Baudrillard : "Aujourd'hui l'abstraction n'est plus celle de la carte, du double, du miroir ou du concept. La simulation n'est plus celle d'un territoire, d'un être référentiel, d'une substance. Elle est la génération par les modèles d'un réel sans origine ni réalité : hyperréel. Le territoire ne précède plus la carte, ni ne lui survit. C'est désormais la carte qui précède le territoire - précession des simulacres - c'est elle qui engendre le territoire et s'il fallait reprendre la fable, c'est aujourd'hui le territoire dont les lambeaux pourrissent lentement sur l'étendue de la carte. C'est le réel, et non la carte, dont les vestiges subsistent çà et là, dans les déserts qui ne sont plus ceux de l'Empire, mais le nôtre. Le désert du réel lui-même."

    RépondreSupprimer
  54. Jean Baudrillard va très loin dans son jugement pessimiste : "Nous ne sommes pas passés au-delà, mais en deçà du Bien et du Mal, en deçà du Vrai et du Faux, en deçà du Beau et du Laid – non dans une dimension par excès, mais dans une dimension par défaut. Il n’y a eu ni transmutation, ni dépassement, mais dissolution et indistinction.»
    Ce n'est justement cela dans la création littéraire mais dans les médias, certainement.

    RépondreSupprimer
  55. Je préfère la pensée de Deleuze qui croit possible une riposte créatrice.

    RépondreSupprimer
  56. J'aime dans sa conférence sur la création quand Deleuze dit : "Quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d’art et un acte de résistance ? alors que les hommes qui résistent n’ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l’art, je ne sais pas. Malraux développe un bon concept philosophique. Malraux dit une chose très simple sur l’art, il dit “c’est la seule chose qui résiste à la mort“.

    RépondreSupprimer
  57. Dans "Critique et Clinique"(ed.de minuit) Deleuze écrit à propos des romans : "Ce n’est pas tant le contenu qui est intéressant mais la force, l’énergie, qui le traverse, la façon dont le monde souffle à l’intérieur."
    C'est pourquoi il aime Kafka, Kerouac, Dostoïevski, Lewis Carroll.
    ..

    RépondreSupprimer
  58. Il y a une chose qui est certaine, MC, c'est que vous lisant la pensée n'est jamais en repos.
    Vous voici dans le labyrinthe de Robbe-Grillet.
    Alors là ! Un Je est bien à l'abri dans sa chambre puis la regardant avec attention il semble s'évaporer et errer dans une ville inconnue, sous la neige, sans repère. Un soldat sans visage, sans identité erre dans ce summum du labyrinthe avec un paquet à la main. Est-il réel ? Est-il une divagation du Je replié dans cette chambre. Plus de personnage. Plus de cadre. Et ça dure et ça dure et ça dure et zut j'ai refermé doucement le livre pour ne pas réveiller le soldat.
    Vous en avez d'autres ?
    Soleil vert met ses lecteurs dans une belle interrogation sur la représentation du monde, sur les frontières ténues entre le rêve et le réel.
    Pendant ce temps Damien écrit des choses affreuses sur la Rdl et Ete Ali nous berce d'une leçon de ténèbres avec finesse.
    Le réel est catastrophique à Marseille. Et ça c'est le réel. Sont-ils morts enlevés à la vie en plein sommeil ?

    RépondreSupprimer
  59. La carte de Borges, en fait se réduit à un paragraphe, en en-tête d' une nouvelle de "Histoire de l'infamie"
    Merci pour cet extrait de Deleuze.
    Le Dieu derrière le Dieu, ça me rappelle ce concept mathématique incroyable : Un infini peut en contenir un autre.
    Une autre surprise Christiane. Certains de mes articles se terminent par un libellé. Cliquez dessus pour voir.

    RépondreSupprimer
  60. Ah merci pour les libellés en fin des articles. Oui, une belle surprise. Beaucoup de réponses à mes questions dont : "Une interprétation partielle des idées de Korzybski forme l'ossature du roman de A. E. van Vogt : Le Monde des Ā. Korzybski " et sur La carte de Borges.
    C'est bien quand tout se lie pour accompagner le fil de la pensée.
    Il y a les livres que vous chroniquez et le travail d'élucidation que vous y intégrez. La forêt derrière l'arbre...
    Marcel Proust pensait juste quand il écrivait : "La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature." Un va-et-vient entre le livre et hors le livre.
    Sans oublier que c'est dans l'enfance qu'ont eu lieu les premiers rapports avec le langage, avec les mots. Tous ces mots que nous roulions sur la langue sans les comprendre. Juste en savourer le goût, les sonorités. Tenter de les glisser dans une conversation anodine avec les grands pour voir l'effet produit.
    Mille mercis pour cette nourriture.

    RépondreSupprimer
  61. Tome 7 - Le temps retrouvé / La Recherche- Marcel Proust

    RépondreSupprimer
  62. Et pour répondre à ce "concept mathématique incroyable : Un infini peut en contenir un autre.", Ce on-dit : Einstein aurait dit un jour : «Rien n'arrive jusqu'à ce que quelque chose bouge.» ...

    RépondreSupprimer
  63. Bonjour, Soleil vert.
    Vous m'avez bien aidé pour Borges.
    Voici le résultat de mes recherches.
    Dans un volume, intitulé en espagnol "El Hacedor" (tiré du verbe "faire" /hacer - soit "faiseur, fabricant, artisan"), que le traducteur Roger Caillois s'est résigné à traduire "auteur" d'où le titre du recueil "L'auteur et autres textes" (édité dans la collection L'Imaginaire/ Gallimard), se trouve un petit nombre de textes brefs dont certains se trouvaient dans d'autres recueils.
    Un des textes, (celui que vous évoquez) rangé ici sous le titre "Musée", terminait la section "Et cœtera" dans l'"Histoire universelle de l'Infamie". Le voici , page 207 :

    Musée
    "... En cet empire, l'Art de la Cartographie fut poussé à une telle Perfection que la Carte d'une seule province occupait toute une Ville et la Carte de l'Empire toute une Province. Avec le temps, ces Cartes Démesurées cessèrent de donner satisfaction et les Collèges de Cartographes levèrent une Carte de l'Empire, qui avait le Format de l'Empire et qui coïncidait avec lui, point par point. Moins passionnées pour l’Étude de la Cartographie, les Générations suivantes réfléchirent que cette Carte Dilatée était inutile et, non sans impiété, elles l'abandonnèrent à l'Inclémence du soleil et des Hivers. Dans les Déserts de l'Ouest, subsistent des Ruines très abîmées de la Carte. Des Animaux et des Mendiants les habitent. Dans tout le Pays, il n'y a plus d'autre trace des Disciplines Géographiques."
    (Suarez Miranda, Viajes de Varones / prudentes, livre IV, chap. XLV, Lérida, 1658)
    Le texte étonnamment truffé de majuscules suit la graphie du texte en espagnol présenté sur la page de gauche car le recueil est bilingue.
    Un texte épilogue clôt le recueil que je fais suivre car il est très révélateur.

    RépondreSupprimer
  64. Voici, page 225, le texte "Épilogue", précédé sur la page de gauche par le texte d'origine en espagnol.

    "Le temps, plus que moi, a composé ce mélange qui recueille des textes périmés. Je ne me suis pas risqué à les amender, écrits qu'ils étaient sous l'influence d'une autre conception de la littérature. Dieu veuille que leur monotonie fondamentale apparaisse moins que la diversité géographique et historique des thèmes. De tous les livres que j'ai confiés à l'impression, je crois qu'aucun n'est aussi personnel que cette "forêt de variantes multiples", qui est turbulente et enchevêtrée, précisément parce qu'elle abonde en reflets et en interpolations. J'ai vécu peu. J'ai lu beaucoup. Mieux dit, il m'est arrivé peu de choses qui soient plus dignes de mémoire que les idées de Schopenhauer ou la musicalité de la langue anglaise;
    Un homme fait le projet de dessiner le Monde. Les années passent : il peuple une surface d'images de provinces, de royaumes, de montagnes, de golfes, de navires, d'îles, de chevaux, de gens. Peu avant sa mort, il s'aperçoit que ce patient labyrinthe de formes n'est rien d'autre que son portrait."

    (Un jour proche, je vous ai demandé pour quelles raisons vous teniez cet espace riche en chroniques de vos livres préférés. Ce dernier paragraphe de ce texte écrit par Borges pourrait être signé par vous, Soleil vert et me tient lieu de réponse.)

    RépondreSupprimer
  65. Et pour ne pas sortir du labyrinthe :


    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/pierre-boulez-cette-notion-de-labyrinthe-est-ce-que-j-ai-retenu-de-plus-frappant-dans-l-oeuvre-de-kafka-4817749

    RépondreSupprimer
  66. Je suis impressionnée par l'érudition d'Arturo Pérez -Reverte dans ce bijou qu'est "Le tableau du maître flamand". Quelle découverte ! Un régal.

    RépondreSupprimer
  67. Et par la précision avec laquelle il décrit ce tableau ( personnages, objets, lumière, indices...) Peu à peu le lecteur a une connaissance intime de ce tableau.
    Une surréalité plus vraie que le vrai. Impressionnant.
    Cela m'évoque un roman où Pierre Michon invente un tableau.

    RépondreSupprimer
  68. les Onze de Pierre Michon, (2009). Le tableau de François-Élie Corentin n'était pas au Louvre. Il avait pourtant décrit cette «grande toile vénitienne» de quatre mètres sur trois qu’on appelle "Les Onze" et précisait qu’on pouvait la voir au Louvre "sous la vitre blindée" qui la protégeait. Mais c'est une fiction comme pour le peintre qui n'a jamais existé.
    J'adore, le temps d'une lecture, être abusée par une fiction.

    RépondreSupprimer
  69. Arturo Pérez -Reverte pose sur cette toile imaginaire un regard d'artiste car bon connaisseur du Quattrocento.

    RépondreSupprimer
  70. Une intrication entre les tableaux représentant des joueurs d'Échecs et ses songes personnels.

    RépondreSupprimer
  71. Seul le travail de l'historien permet de démêler le fictif du réel dans cette fiction paradoxale. Ce n'est pas une falsification mais une création. Le tableau inexistant dans la réalité devient visible pour le lecteur et ça grâce au talent de l'écrivain, à la puissance de son écriture. Et puis c'est l'occasion de mettre à jour un mystère, celui d'un meurtre correspondant à la phrase cachée.

    RépondreSupprimer
  72. D'où le choix en exergue de la pensée de Borges. Quel Dieu derriere Dieu ? Quel créateur derrière le créateur. Les romanciers aussi s'ennuient, alors ils créent un monde, des paysages, des êtres, des bêtes, un temps autre, des vies et des morts.

    RépondreSupprimer
  73. C'est dans ce roman un travail minutieux. Touche après touche, mot après mot. Arturo Pérez-Reverte savoure, le lecteur aussi.

    RépondreSupprimer
  74. Ce qui est fort c'est qu'il cite ses sources comme un historien et que la mémoire que nous avons des oeuvres du Quattrocento fait que ce formidable trompe-l'oeil fonctionne. Une mise en abîme du pouvoir d'une fiction par ce fin connaisseur des oeuvres d'art et des... miroirs.

    RépondreSupprimer
  75. Et un thriller inattendu glissé en fraude au sein de l’art.

    RépondreSupprimer
  76. J'imagine Arturo Pérez -Reverte inventant son roman avec l’œil discrètement rieur.

    RépondreSupprimer
  77. Une rivalité cruelle entre la littérature et l'art. Le pouvoir d'un récit reprenant les techniques d'un historien d'art.
    Je pense aussi à "Un cabinet d’amateur" de Georges Perec.

    RépondreSupprimer
  78. Mais revenant à Arturo Pérez -Reverte et à ce roman policier très complexe. Une enquête qui s'avère double (présent/passé) et dans laquelle on avance en observant l'état du mouvement des pièces de la partie représentée sur le tableau à cet instant arrêté.

    RépondreSupprimer
  79. C'est cet échiquier et ces personnages qui deviennent une énigme. Une enquête ludique...

    RépondreSupprimer
  80. Bon, j'arrête là. C'est un seul commentaire qui est venu par morceaux !

    RépondreSupprimer
  81. Oui, il faudrait dire à Soleil Vert que parfois le commentaire décolle et parfois pas. Il est un film auquel me fait penser le Perez, c’est l’Hypothese du Tableau Volé de Raoul Ruiz. Concernant le « quel Dieu derrière Dieu », il me semble que cette question remonte aux gnostiques qui en ont pensé un bon et un mauvais. Ce doit etre en germe aussi dans Platon ( Cratyle? A Verifier) bien à vous. MC

    RépondreSupprimer
  82. Le commentaire morcelé c'est une pensée qui se cherche comme dans la conversation, comme un busard qui plane en décrivant des cercles au-dessus de sa proie, ici, la pensée.
    Les haltes entre les commentaires c'est quand elle se transforme en mots pour se dire. Une attente.
    Décoller dites-vous. Jaillir aussi.
    Oui, il y a un mouvement qui passe par une perte de l'opaque. Alors on reprend. Soleil vert, débonnaire, accepte ces ruptures dans ce qui devrait être continuité.
    Le langage contient cela, ces avancées, ces reculs, ces trous, ces silences, ces dérobades, ces carences. Et puis autre chose vient dans ce qui paraissait plat, immobile. Quelque chose de soudain qui charrie ses mots d'abord en désordre.
    Donc des ratés, des essoufflements et puis la pensée remonte dans le corps, le traverse et suinte dans l'encre qui l'a fixe (ici le clavier)
    J'aime ces interruptions dans l'acte d'écrire. Ça résiste. C'est bien. Quelque chose cache dans ce qui est dit ce qui allait venir. Traverser cette obscurité c'est éclaircir ce qui pouvait être dit.
    C'est bien ici. C'est un champ d'écriture.

    Voilà que vous multipliez les dieux. Janus est plus simple . Il a les deux en lui.
    Je retiens Raoul Ruiz.
    (Très bien votre réponse claire à Damien.)

    RépondreSupprimer

  83. Oh, MC, vos deux dieux me conduisent à deux personnages complémentaires de Hugo dans "L'homme qui rit". D'abord enfant perdu et défiguré, Gwynplaine, adopte un nourrisson presque mort qui deviendra Dea.
    Les années passent. Ursus les protège.
    Dea, qui est maintenant une belle jeune fille, aveugle, ne voit pas la difformité de Gwynplaine. Elle ne voit que la beauté de son âme . Et la cessité de Dea provoque la tendresse attentive de Gwynplaine. Ils sont vraiment complémentaires.
    Les deux faces de l'homme ? Celui qui tâtonne, tout en intériorité lumineuse. Celui qui qui est défiguré par les luttes du monde. Un combat entre les deux, une tentation de se séparer. L'homme faillible, parfois feroce dont la lumière intérieure (divine?) est Dea. Le prototype des personnages de Victor Hugo comme Jean Valjean.

    RépondreSupprimer
  84. C’est tentant, cependant
    Si Gwymplaîne fait son chemin dans le monde, peut-être exilé du Paradis ,par un biais affreux, je suis moins sûr de la Divinité de Dea, qui appartient surtout pr son nom au vocabulaire galant de VH pour qui la femme est déesse…pour les joies qu’elle lui donne. Il existe un très beau et très galant « Avé Dea morituri te salutat » ou la Dea est Judith Gautier!. Meme ds de grandes et belles machines comme le Sacre de la Femme, je suis plus sur du panthéisme Hugolien que de sa divinisation.il y a certes la Fin de Satan, mais c’est toute autre chose et dans un tout autre contexte, encore que si on réfléchit bien, Liberté est une larve, un ectoplasme. C’est curieusement le mal qui s’en tire le mieux avec Isis-Lilith…Bien à vous. MC




    ´bien à vous. MC

    RépondreSupprimer
  85. Bonsoir, M.C.
    J'ai beaucoup apprécié votre courage et votre clarté dans vos réponses à Damien embourbé dans ses contradictions et son désir de provoquer. Rose, tonique, oui. Elle ne laisse rien passer comme Closer et Alexia.
    Pour ce roman fleuve et compliqué de Victor Hugo, "L'homme qui rit", je retiens son attrait pour les monstres sauf que celui-ci ne l'est qu'extérieurement , mutilé par les hommes et devenant une métaphore hugolienne. Dea est surtout le personnage qui est son complément et son double inversé.
    J'ai lu ce roman à saute-chapitre pour survivre !
    L'opposition des deux personnages et leur complémentarité m'était une passerelle vers vos dieux gémellaires mais s'il faut trouver le visage du mal ce serait plutôt la séductrice féline, Josiane, une vraie Isis-Lilith , qui emprisonne dans une emprise érotique et démoniaque le pauvre Gwymplaine ! Mais comme Gilliat, l'océan sera la mort volontaire du héros.
    Un beau papier de Paul Edel sur Manchette offert par Jean langoncet , je crois. Pour Kafka, ses romans, son journal, ses lettres à Max Brod ou à ses amies me suffisent.

    RépondreSupprimer
  86. "Jean Langoncet dit:
    De Hammett à Amette en passant par Manchette

    Paul Edel dit:
    "Une anecdote concernant Manchette.
    Nous étions début années 8O. Le hasard fait que Robert Soulat, patron de la série noire, Robin Cook, Manchette et moi, étions affalés plutôt qu‘attablés au fond du bistrot « le buisson d’argent » rue du Bac.. Nous nous moquions des auteurs collection blanche qui circulaient dans les étages nobles de l’immeuble, nous les polardeux, les soutiers cachés dans les caves de la maison Gallimard (car on accédait au bureau de la série Noire par un sombre couloir vouté délabré, murs écaillés, encombré de paperasses).Cook était long, maigre et droit, avec son béret basque délavé vissé sur la tête, visage émacié. Il parlait avec un accent rocailleux de l’Aveyron où il avait longtemps vécu. Nous tous médusés par la noirceur si élégante de ses polars et aussi sa prononciation rendue difficile par un évident manque de dents sur le devant . Soulat, rondouillard et chaleureux devant son verre de rouge, écoutait les histoires de Cook. Manchette, rencogné sur la banquette , restait silencieux, avec sa frange qui lui durcissait le regard. Ce regard d’ailleurs ressemblait à une attention suspicieuse. On avait du respect pour lui car il était comme une sorte de théoricien coupant de sa génération, gardien des valeurs éternelles du roman noir, modèle déposé aux Etats-Unis dans les années 4O. Ses prises de position ressemblaient assez à celles du tireur debout qui allume les polardeux du dimanche, les amateurs, les moyens, les flous, enfin tous ceux qui ne répondaient pas à ses tables de la Loi pour rétablir le genre dans sa noblesse. Manchette donc, le législateur, parlait peu ce jour-là.. ses paroles tombaient comme des arrêts de cour suprême. Après un long silence, Manchette dit :
    – ah, j’aimerais bien un jour aller sur une plage normande.. Ça fait des années que je suis pas sorti de Paris…
    Je réponds :
    – Je vais souvent en Normandie, si vous voulez (c’était notre première rencontre, je le vouvoyais) je vous emmène.. j’ai une voiture..
    Il me regarde et dit :
    -Oh.. d’accord.. Pourquoi pas… Si vous êtes prêt… à me prendre chez moi… bien après minuit et filer sur l’autoroute… quand il est vide en plein hiver…. je ne voyage que de nuit…
    Ce voyage au bout de la nuit ne s’est pas fait ."

    RépondreSupprimer
  87. Mais, dans "L'homme qui rit" de Victor Hugo, mon personnage prêt est Ursus et son loup Homo. Ce vieux grognon est tellement attachant dans cette scène où il accueille les deux enfants dans sa cahute roulante et leur donne en maugréant son maigre repas. Il est heureux alors.
    C'est d'ailleurs lui qui ouvre le roman, lui qui porte un nom d'ours et s'enveloppe dans une peau d'ours ("il appelait cela se mettre en costume") et son loup, Homo, si sage, qui porte un nom d'homme. "Maigre, d'une bonne maigreur de forêt".
    C'est une vraie réussite ces deux personnages. Ursus est un bateleur misanthrope un peu guérisseur et vieux poète latin.
    Lui aussi est remarquable "dans le soliloque, ayant le désir de ne voir personne et le besoin de parler à quelqu'un " ! Donc, il se tirait d'affaire en se parlant à lui-même ." Le goût de la vie errante lui était donc venu. "Libre, de la grande vie du hasard."
    C'est donc cheminant près d'eux que je suis entrée dans ce roman. Hugo me charme. Il sait raconter. Et j'aime son écriture.

    Voilà, MC, et Soleil vert, la mémoire que vous m'avez donnée en écrivant ces choses étranges que personne ne voit comme ces dieux doubles ou comme l'écrivait Soleil vert "Le Dieu derrière le Dieu, ça me rappelle ce concept mathématique incroyable : Un infini peut en contenir un autre."

    "Il y avait dans ces temps-là un vieux souvenir..."

    RépondreSupprimer
  88. Un critique que j’aime bien , Arnaud de Pontmartin, se sert d’ailleurs d’une tirade de Josiane pour montrer selon lui la « démence » du roman. Il faut bien avouer que dans sa peinture des filles de marbre, car c’est de cela qu’il s’agit, le Père Hugo est moins convaincant que Balzac dans sa peinture des dangers de l’éternel féminin. Josiane n’est pas déesse, elle est tentatrice, comme Eve. Ne jamais oublier la portée de la Bible sur le jeune Hugo. Moyennant quoi on a une sorte de melo façon Porte St Martin compliqué de puritanisme! C’est étrange mais c’est comme ça. Est- ce un hasard s’il a choisi la Cour de Charles II, particulièrement dissolue, pour mettre ces fantasmes en Scène ? Je ne le pense pas. Bref pas de transcendance autre qu’une transformation et une noyade. Et partant, pas d’ Isis-Lilith. Mais un roman très sombre sous le signe de la fatalité, un peu comme l’était le libretto de Notre Dame de Paris qui se terminait précisément sur ses mots là. Bien à vous. MC

    RépondreSupprimer
  89. Tout cela est vrai. J'aime imaginer le Père Hugo dans ses encres, qu'il écrive ou dessine. Oui, un peu fou mais ce faisant des éclats inoubliables dans son ecriture, des personnages, des paysages. Les mots ne tiennent plus en place...
    Cette écriture est un élément. L'océan rageur. Les tempêtes. Les gouffres... Comme un puits dans le ciel.
    ... Sa poésie aussi.
    Il faut de ces grands fous lettrés, érudits, passionnés de justice, avec des rêves plein la tête, luttant contre le mal qui cisaille, blesse, tue, qui court à travers le monde et le roman comme le feu dans la poudre. Le lire, c'est aller avec l'infini....
    L'important c'est sa route...
    et le plaisir de le lire.

    "Nous habitons je ne sais quel creux de la terre, et nous croyons habiter au plus haut ; l'air, nous l'appelons ciel. Comme si c'était à travers cet air, pris pour du ciel, que se meuvent les astres. En fait, sur ce point aussi, nous sommes pareils : le poids de notre faiblesse et de notre paresse nous rend incapables de traverser l'air jusqu'au bout. Car si l'un de nous parvenait jusqu'aux cimes de l'air, ou si, pourvu subitement d'ailes, il s'envolait, alors, de même que les poissons voient les choses d'ici-bas en levant la tête hors de la mer, il pourrait voir, en levant la tête, les choses de là-bas." (Platon, Phédon).
    Une folie qui manque parfois à l'écriture de la science-fiction.
    Mais je retourne à ma lecture, suave : "Le tableau du maître flamand" d'Arturo Pérez-Reverte.

    RépondreSupprimer
  90. Tiens, ce Platon là m’évoque le Péri Bleu, mais chut!

    RépondreSupprimer
  91. Ah oui, Maurice Renard. Vous l'aviez évoqué pour ce roman "Le péril bleu". Il y etait question de "Sarvants" , des êtres invisibles qui vivent au-dessus de la Terre, qui l'explorent avec leur vaisseau et pêchent des êtres humains inconnus pour eux, qu'ils étudient, dissèquent, classifient, conservent et exposent dans des musées, jusqu'à ce qu'ils découvrent que ces êtres sont capables de souffrir et de penser... Alors, ils partent...
    C'était aussi pour Maurice Renard l'occasion de d'écrire la grande peur dans ce village qui voyait disparaître ses habitants mystérieusement.
    Oui, comme des poissons...

    RépondreSupprimer
  92. Christiane : pas dans l'immédiat, SF oblige, je vous emmènerai dans une grande ville étrangère au travers d'un quatrième roman.

    RépondreSupprimer
  93. J'aime cette promesse même si elle est lointaine. Merci, Soleil vert.
    Cela me rappelle l'histoire de deux amis. Moshe rencontre son ami Jacob à la sortie de leur shtetl. "Je pars pour l'Amérique, dit Jacob. Bientôt je serai loin."
    Mohse dit alors : "Loin de quoi ?".

    RépondreSupprimer
  94. Car quel que soit ce nouveau voyage de lecture ce ne sera pas loin d'ici : votre site, le monde de vos chroniques avec ces liens qui les relient entre elles. Nul romancier, nul lecteur n'y sont solitaires. Ils trouvent un chemin dans tant de lectures dans lequel ils ont baigné.
    C'est comme "le tableau du maître flamand" d'Arturo Pérez-Reverte, quand Munoz parle à Julia de l'analyse rétrospective de la partie d'échecs peinte sur le tableau.
    "En partant d'une position déterminée sur l'échiquier, on reconstitue la partie en arrière pour voir comment les joueurs sont arrivés à cette situation... Une partie d'échecs à rebours."
    De plus, je sais maintenant que certains de vos articles se terminent par un libellé et qu'il ne faut pas oublier de cliquer dessus pour voir d'autres pistes.
    C'est donc à chaque fois, un voyage dans votre bibliothèque et parfois dans la nôtre.
    Les livres ça tient chaud comme la pelisse d'Ursus ("L'homme qui rit" de Hugo). Comme une grande mémoire. Comme imaginer un poisson cherchant un poisson dans l'obscurité de la mer. Des ouïes dire...

    RépondreSupprimer
  95. La grande peur au village, c’est plutot le leitmotiv de Ramuz. Là il s’agit de toute une région : le Bugey et meme Paris Le Duc d’ Agnès évoque le Duc ou la Duchesse d’ Uzes. Première femme à détenir un brevet de pilote et un permis de conduire autour de 1900!

    RépondreSupprimer

  96. J'avais écouté ces trente minutes délicieuses quand vous aviez évoqué ce roman, M.C.
    Je trouve que cela fait peur...

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/le-peril-bleu-un-chef-d-oeuvre-oublie-de-maurice-renard-du-genre-merveilleux-scientifique-1959927

    RépondreSupprimer
  97. Et les blogueurs ont le droit aussi de souffler un peu.

    RépondreSupprimer
  98. M.C.,
    Ramuz c'est le souvenir d'un bel échange avec Rose. Nous évoquions "La grande peur dans la montagne", une sorte de conte , une légende, qu'on devait raconter aux veillées, les soirs d'hiver devant le feu et "Derborence".
    Ces villages de montagne où survivent les superstitions, les maladictions, les grandes peurs des hommes de la montagne.
    Et cet énorme glacier qui menaçait le pâturage maudit. Qui devient le personnage principal du roman.
    Je me souviens d'une impression de fantastique distillée par le roman de C.F. Ramuz. Le bruit d'un caillou, celui du vent la nuit. Comme une force terrible, impalpable, qu'il ne fallait pas réveiller. Un torrent menaçant de tout emporter même le village, les séracs, des craquements inquiétants...
    Et Joseph qui veut rejoindre sa fiancée malgré le danger qui tue les bergers. Et elle qui le cherche...
    Un peu le style de Giono pour évoquer ces récits qui pourraient disparaître..

    RépondreSupprimer
  99. Puisqu'on est en pause, cela donne le temps de regarder ailleurs, sur un blog proche.
    Je relis les commentaires de Damien de ces derniers jours, pas seulement ceux qui se rapporte à la mort affreuse de S.Paty.
    Ils sont travaillés par des contraires, adoptant peu à peu une forme d'atténuation. La dénégation y occupe une place de plus en plus importante. Comme s'il de débattait dans une formulation impossible de sa pensée, une dualité en elle. Un ethos divisé. La place d'un autre en lui...
    Écrivant il découvre l'ambivalence de ses mots lus par les autres.

    RépondreSupprimer
  100. L'image que je me fais de Rose et de ses mots de laine dans cette chanson de Jacques Douai :

    File la laine.
    "Dans la chanson de nos pères
    Monsieur de Malbrough est mort
    Si c'était un pauvre hère
    On n'en dirait rien encore
    Mais la dame à sa fenêtre
    Pleurant sur son triste sort
    Dans mille ans deux mille peut-être
    Se désolera encore

    File la laine filent les jours
    Garde ma peine et mon amour
    Livre d'images des rêves lourds
    Ouvre la page à l'éternel retour

    Hennins aux rubans de soie
    Chansons bleues des troubadours
    Regrets des festins de joie
    Ou fleurs du joli tambour
    Dans la grande cheminée
    S'éteint le feu du bonheur
    Car la dame abandonnée
    Ne retrouvera son coeur

    File la laine filent les jours
    Garde ma peine et mon amour
    Livre d'images des rêves lourds
    Ouvre la page à l'éternel retour

    Croisés des grandes batailles
    Sachez vos lances manier
    Ajustez cottes de mailles
    Armures et boucliers
    Si l'ennemi vous assaille
    Gardez-vous de trépasser
    Car derrière vos murailles
    On attend sans se lasser

    File la laine filent les jours
    Garde ma peine et mon amour
    Livre d'images des rêves lourds
    Ouvre la page à l'éternel retour."

    (Un croisé des grandes batailles est passé en sa cotte de maille, sachant la lance manier...)

    RépondreSupprimer
  101. En fait je ne suis pas en pause, mais je rame sur un bouquin

    RépondreSupprimer
  102. Oui les dénégations se multiplient, mais cela ne prouve rien…MC

    RépondreSupprimer
  103. Vous ramez sur le fil d'une écriture. Laissez le temps de ce canotage vous enchanter. Écoutez la musique de cet écrivain sans vous souciez de réaliser une chronique. Juste le plaisir égoïste de lire pour vous. Ne perdez pas le fil et si quelque torpeur vous saisit écoutez les oiseaux, le bruit des feuilles, le clapotis où les gouttes d'eau sur les feuilles des rives.
    Il y a des livres qui nous résistent. Peut-être ont-ils aussi résisté à l'homme ou la femmes de plume qui y travaillait.
    Ah j'aime lire ce petit soupir.
    Bonne soirée, Soleil vert..

    RépondreSupprimer
  104. Je suis bien d'accord, M.C. De plus l'article en question sur le Figaro, il ne l'a pas compris.
    Enfin bref... s'il continue ce n'est pas pour nous convaincre c'est pour se convaincre .
    Bonne soirée aussi.
    (C.P est passé. Joie ancienne...)

    RépondreSupprimer
  105. Alexia Neuhoff, quel talent ! Une belle plume et de sacrées intuitions.

    RépondreSupprimer

Attente de modération