Jean Ray
- Le grand nocturne & Les cercles de l’épouvante - Alma
Dans les années 30, qui
furent paradoxalement aussi celles de l’oubli, Jean Ray exerce une activité
littéraire considérable. Sous le pseudonyme de John Flanders il livre à tour de
bras les fascicules des enquêtes policières de Harry Dickson. Comme il l’écrit
par dérision en 1932 dans une self interview, il doit trouver de quoi
« ressemeler ses chaussures »
Tout change lors du
conflit de la 2eme guerre mondiale. Coupant, sous la pression de l’occupant,
tout lien intellectuel et culturel avec les pays anglo-saxons et dans une
certaine mesure avec la France, la Belgique se referme en quelque sorte en
elle-même. La presse collaborationniste redécouvre et encense Jean Ray.
Cependant il ne faut pas se méprendre sur l’adjectif. Durant cette décennie,
outre une considérable activité journalistique, l’écrivain publie des oeuvres
phares : Le grand nocturne (1942), Les cercles de l’épouvante (1943),
Malpertuis (1943), Les derniers contes
de Canterbury (1944), La cité de l’indicible peur (1943). Consacrant son
temps à la création, il ne s’aventure pas sur des terrains politiques
regrettables dans lesquels s’embourberont certains romanciers français d’alors,
aujourd’hui curieusement « Pléiadisés ».
Ses nouvelles portent la
trace des années difficiles. Personnages miséreux comme dans « Le
fantôme dans la cale », ou « Quand le Christ marcha sur la mer », descriptions rêveuses
de repas plantureux. Il y a d’ailleurs quelque chose de goûteux dans sa
prose où abondent mots rares et métaphores. Les récits portuaires ou
maritimes tels « Le fantôme dans la cale », « Quand le
Christ marcha sur la mer »,
« Les sept châteaux du roi de la mer », « L’assiette
de Moustiers », continuent d’alimenter la légende de l’écrivain
flibustier de la route du Rhum. Mais à l’inverse de Cendrars ou Stevenson, ces
voyages relèvent de la pure imagination. Il y a là d’ailleurs comme un paradoxe.
La littérature fantastique de Jean Ray est la littérature de l’enfermement
rappelle Arnaud Huftier. Constatation frappante si l’on recense le nombre d’histoires
de mers présentes dans Le grand nocturne
et Les cercles de l’épouvante. Les marins
de l’écrivain belge ressemblent à ceux de Quai
des brumes, un film de Marcel Carné. Ils partent sans partir, quitte à
finir leur existence dans une assiette.
Quelques textes
classiques émaillent les deux recueils et sortent du cadre du simple récit
d’ambiance. Dans « Le grand nocturne » un commerçant invoque
un esprit des ténèbres afin de retrouver une femme aimée disparue. « Quand
le Christ marcha sur la mer» fonctionne comme un conte de fée sur le thème
de l’amour sacrificiel.
Qualitativement plus
homogène, Les cercles de l’épouvante est encadré par une histoire à la
fois liminaire « Les cercles » et conclusive, « Hors
des cercles ». Il s’agit d’une métaphore sur les artistes prisonniers
de leurs propres créations. L’auteur s’écarte des habituelles atmosphères de
villes provinciales ou portuaires pour délivrer une véritable auto fiction. On
y voit dialoguer une petite fille dotée de pouvoirs magiques et son père. Dans
la dernière partie, Jean Ray évoque la souffrance des détenus séparés de leur
famille, souvenirs à peine déguisés de la prison de Gand. «La main de
Goetz von Berlichingen » est tiré de l’histoire d’un chevalier
allemand du XVI e siècle doté d’une main de fer, laquelle, imagine l’écrivain,
disparaît un beau jour. Autre bon texte, « L’assiette de Moustiers »
emprunte d’abord au « Psautier de Mayence » l’idée d’une
odyssée maritime qui se termine mal. Le thème principal, celui d’un homme
prisonnier d’une image, jadis illustré par Le fameux Portrait de Dorian Gray d’ Oscar Wilde est à nouveau mis à l’honneur
dans « Le miroir noir ».
Enfin parmi les habituels
autres textes dénichés par Arnaud
Huftier dans lesquels l’écrivain s’écarte de sa veine fantastique, « En ville inconnue » raconte sobrement
et mélancoliquement une promenade dans une cité de l’enfance
Au travers de ces
fictions surgit un auteur à cheval entre Poe et Dickens, à la fois
chroniqueur social d’un monde de petites
gens et de bourgeois paisibles mais aussi d’une humanité souffrante et
prisonnière.
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