Greg
Egan - Cérès et Vesta - Le Bélial’ Collection Une heure lumière
« Cérès d'un
côté, Vesta de l'autre. Deux astéroïdes colonisés par l'homme, deux mondes clos
interdépendants qui échangent ce dont l'autre est dépourvu — glace contre
roche. Jusqu'à ce que sur Vesta, l'idée d'un apartheid ciblé se répande,
relayée par la classe politique. La résistance s'organise afin de défendre les
Sivadier, cible d'un ostracisme croissant, mais la situation n'est bientôt plus
tenable : les Sivadier fuient Vesta comme ils peuvent et se réfugient sur
Cérès. Or les dirigeants de Vesta voient d'un très mauvais œil cet accueil
réservé par l'astéroïde voisin à ceux qu'ils considèrent, au mieux, comme des
traîtres... Et Vesta de placer alors Cérès face à un choix impossible, une
horreur cornélienne qu'il faudra pourtant bien assumer... »
La littérature de science-fiction
a traité de multiples façons le thème de l’ostracisme. La figure du mutant
reste la plus populaire du domaine classique, et c’est Théodore Sturgeon qui a
introduit l’idée, selon l’heureuse formulation de Gérard Klein, que Les Plus
qu’humains pouvaient être des moins qu’humains. Mais d’autres auteurs ont
abordé le sujet plus directement, Ursula Le Guin en réactualisant le mythe du
bouc émissaire dans Ceux qui partent d’Omélas, ou Cordwainer Smith avec les sous êtres de La
Planète Shayol transformés en banque d’organes (1)
Cérès et Vesta (2) de Greg Egan raconte une tragédie, le récit d’une révolte et d’un
crime contre l’Humanité. La mise à l’écart des Sivadier sur l’astéroïde Vesta
au cours d’ un vote « démocratique » précédé d’ une campagne de haine,
évoque sans fard la montée de l’antisémitisme en France et en Allemagne et
l’avènement d’un pouvoir fasciste (3)
dans les années 30. Le pitch est d’autant plus sensible que l’écrivain a œuvré
pour les réfugiés dans le secteur de l’humanitaire. La question de l’éthique de
la science draine d‘ailleurs toute son œuvre.
Quel démon pousse le
dénommé Denison à entreprendre une campagne de dénigrement contre une partie de
la population de Vesta et à remettre en cause le pacte des Fondateurs ?
L’argument mercantiliste ne tient évidement pas la route. Camille, héroïne du
récit, issue de la lignée Sivadier, dévoile involontairement la vérité. Son désintérêt
croissant pour les nouvelles de la Terre symbolise la disparition des valeurs
morales de la planète mère chez les habitants des astéroïdes. Cérès et Vesta véhicule ainsi un second thème classique de science-fiction, celui des
arches stellaires dans lesquelles les pactes sociaux et les croyances se redéfinissent
perpétuellement.
Egan a bâti son intrigue
autour d’un double entrelacement spatial et temporel. La novella démarre par la
fuite de Camille, et se poursuit par la narration rétrospective de sa révolte sur Vesta. Son
histoire alterne avec celle de Anne, son pendant éthique de Cérès, chargée de
l’accueil des migrants. Camille ouvre et clôt le récit. A l’inverse de
l’héroïne de Corneille (4) elle ne sacrifie pas son devoir à l’amour. Elle
concilie les deux, tout en mesurant les risques encourus. En revanche Anne affronte une situation beaucoup plus difficile. Dans un univers où la science et les machines régissent le quotidien, peut t-on quantifier un choix moral ?
Voilà un aperçu de ce
très beau texte au final en coup de poing, dominé par deux figures féminines, vestales en quelque sorte de la
conscience humaine.
(1) in Les Seigneurs de
L’instrumentalité de Cordwainer Smith
(2) Titre
original, The Four Thousand, The Eight Hundred
(3) Jusqu’au J’accuse
de Zola relatif à l’affaire Dreyfus et reproduit par Camille.
(4) Horace - Corneille
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