Christopher
Priest - Le Glamour - Denoël Lunes d’encre
Les grands philosophes,
dit-on, réécrivent toujours la même œuvre. Les romanciers, à leur façon, ne
parviennent parfois pas à couper le cordon ombilical avec un texte, fut-il
terminé. A l’image d’un travail de deuil ininterrompu, le processus créatif ne
cesse pas, aboutissant soit à des commentaires ou à des préfaces, bref à une
intertextualité, soit, comme dans le cas du Glamour de Christopher
Priest, à une refonte du roman.
Refonte d’ailleurs est un
bien grand mot. Paru initialement en 1986 chez Laffont sous le titre Le don,
réédité plusieurs fois, ce récit bénéficie tout à la fois d’une retraduction,
d’une réécriture très partielle de la cinquième partie et d’un allègement de la
seconde partie. Mais l’architecture d’ensemble n’est pas modifiée. Le titre
original de l’édition britannique The Glamour est identique. Il faut en
conclure que si Priest a retravaillé ce roman, le regard du lecteur, et en
premier chef de l’éditeur et du traducteur, a aussi changé. Ceci est une
caractéristique de l’écrivain anglais : on ne lit pas seulement son œuvre,
on y est narrativement et subtilement intégré.
De quoi s’agit-il ?
Richard Grey, cameraman professionnel de la BBC, suit une convalescence dans un hôpital du sud du Devon, un comté du sud-ouest de l’Angleterre. Gravement blessé lors d’un attentat de l’IRA, il souffre d’une amnésie partielle. Des séances d’hypnose ne parviennent pas à débloquer la situation. Mais la visite d’une jeune femme nommée Susan Kewley qui prétend avoir eu une liaison avec lui éveille sa curiosité et ils repartent tous les deux prématurément à Londres. Le chapitre suivant relate la période qui a précédé l’attentat. On y apprend que Richard et Susan se sont rencontrés lors d’un voyage en France et que la jeune femme tente de mettre fin à une autre liaison avec un écrivain, Niall. Sans succès d’ailleurs, ce qui provoque la rupture des deux premiers. La quatrième partie évoque les événements consécutifs au départ de l’hôpital. Surpris, le lecteur découvre que Richard et Susan n’ont jamais voyagé en France, mais ont fait connaissance dans un pub londonien. Il comprend alors que le déroulement de la troisième partie est une invention de la mémoire défaillante de Richard et apprend aussi que les trois protagonistes dont l’agaçant et omniprésent Niall ont un don d’invisibilité, que Priest appelle glamour.
Du don au glamour
Comme à son habitude, dans ce récit à plusieurs voix, l’écrivain anglais ouvre progressivement un espace spéculatif qui perturbe le lecteur : Grey et Niall sont-ils la même personne ? Doit-on considérer Richard et Susan comme les personnages d’un roman de Niall... ? Cependant le véritable moteur narratif du roman n’est pas la mémoire mais l’invisibilité. Etre invisible selon Priest, c’est être ignoré socialement. Le glamour renvoie à la Grande Bretagne des années Thatcher, où s’exercent aussi bien la violence des inégalités sociales que celle de l’IRA. Dans le récit Susan Grey évoque ses rencontres fugitives avec d’autres invisibles. Tous sont des marginaux dérobant des produits de première nécessité pour survivre et sont exclus des systèmes de santé.
On retrouve un thème classique de la littérature de science-fiction à savoir l’ostracisme ou la malédiction dont souffrent les mutants. Robert Silverberg en avait fait le fil conducteur d’un de ses plus grands ouvrages L’oreille interne, Van Vogt ou Théodore Sturgeon la matière de classiques du genre. Pour renforcer cette métaphore de la disparition sociétale, Christopher Priest effectue un parallèle entre l’invisibilité et l’hypnose. On est exclu non pas parce qu’on ne se conforme pas aux codes sociaux, mais parce que l’observateur [le Pouvoir] vous ignore. Si l’on voulait une justification de la réédition de ce roman vingt ans après la voici : la réussite sociale aujourd’hui ne se mesure pas à l’aune de l’épaisseur d’un CV mais bien à la visibilité médiatique, au glamour serait-on tenté de dire.
Or ce terme explique l’écrivain anglais est issu d’un vieux mot écossais glammer. Un glammer est un sortilège qu’utilisait une jeune fille pour dissimuler la beauté de son fiancé aux autres prétendants. L’usage actuel de ce mot est donc en totale contradiction avec sa signification première, sauf peut-être à considérer les images des icônes du glamour comme une métaphore ou un miroir du néant, néant des foules voyeuristes et sentimentales, néant des exclus de tous bords. En définitive la séduction est une malédiction.
De quoi s’agit-il ?
Richard Grey, cameraman professionnel de la BBC, suit une convalescence dans un hôpital du sud du Devon, un comté du sud-ouest de l’Angleterre. Gravement blessé lors d’un attentat de l’IRA, il souffre d’une amnésie partielle. Des séances d’hypnose ne parviennent pas à débloquer la situation. Mais la visite d’une jeune femme nommée Susan Kewley qui prétend avoir eu une liaison avec lui éveille sa curiosité et ils repartent tous les deux prématurément à Londres. Le chapitre suivant relate la période qui a précédé l’attentat. On y apprend que Richard et Susan se sont rencontrés lors d’un voyage en France et que la jeune femme tente de mettre fin à une autre liaison avec un écrivain, Niall. Sans succès d’ailleurs, ce qui provoque la rupture des deux premiers. La quatrième partie évoque les événements consécutifs au départ de l’hôpital. Surpris, le lecteur découvre que Richard et Susan n’ont jamais voyagé en France, mais ont fait connaissance dans un pub londonien. Il comprend alors que le déroulement de la troisième partie est une invention de la mémoire défaillante de Richard et apprend aussi que les trois protagonistes dont l’agaçant et omniprésent Niall ont un don d’invisibilité, que Priest appelle glamour.
Du don au glamour
Comme à son habitude, dans ce récit à plusieurs voix, l’écrivain anglais ouvre progressivement un espace spéculatif qui perturbe le lecteur : Grey et Niall sont-ils la même personne ? Doit-on considérer Richard et Susan comme les personnages d’un roman de Niall... ? Cependant le véritable moteur narratif du roman n’est pas la mémoire mais l’invisibilité. Etre invisible selon Priest, c’est être ignoré socialement. Le glamour renvoie à la Grande Bretagne des années Thatcher, où s’exercent aussi bien la violence des inégalités sociales que celle de l’IRA. Dans le récit Susan Grey évoque ses rencontres fugitives avec d’autres invisibles. Tous sont des marginaux dérobant des produits de première nécessité pour survivre et sont exclus des systèmes de santé.
On retrouve un thème classique de la littérature de science-fiction à savoir l’ostracisme ou la malédiction dont souffrent les mutants. Robert Silverberg en avait fait le fil conducteur d’un de ses plus grands ouvrages L’oreille interne, Van Vogt ou Théodore Sturgeon la matière de classiques du genre. Pour renforcer cette métaphore de la disparition sociétale, Christopher Priest effectue un parallèle entre l’invisibilité et l’hypnose. On est exclu non pas parce qu’on ne se conforme pas aux codes sociaux, mais parce que l’observateur [le Pouvoir] vous ignore. Si l’on voulait une justification de la réédition de ce roman vingt ans après la voici : la réussite sociale aujourd’hui ne se mesure pas à l’aune de l’épaisseur d’un CV mais bien à la visibilité médiatique, au glamour serait-on tenté de dire.
Or ce terme explique l’écrivain anglais est issu d’un vieux mot écossais glammer. Un glammer est un sortilège qu’utilisait une jeune fille pour dissimuler la beauté de son fiancé aux autres prétendants. L’usage actuel de ce mot est donc en totale contradiction avec sa signification première, sauf peut-être à considérer les images des icônes du glamour comme une métaphore ou un miroir du néant, néant des foules voyeuristes et sentimentales, néant des exclus de tous bords. En définitive la séduction est une malédiction.
Le glamour est un grand roman qui renouvelle totalement le thème de l’invisibilité,
une œuvre transfictionnelle du calibre des Ecrits fantômes de David Mitchell. On savait que
Christopher Priest était un maître de la littérature spéculative. On découvre un romancier de la
souffrance sociale.
Sommes nous ce dont nous nous souvenons?
RépondreSupprimerLa fin est un peu frustrante.