Roger
Zelazny - L’Ile des Morts - Edition
intégrale -
Mnémos
Le présent volume contient :
-
« En cet instant de la tempête »
-
« Cette montagne mortelle »
-
« Lugubre lumière »
-
L’Ile des Morts
-
Le Sérum de la déesse bleue
-
« Les Furies »
-
« Clefs pour décembre »
Ne pas relater le travail effectué par Timothée Rey pour le
compte de l’éditeur Mnémos sur l’une des œuvres emblématiques de Roger Zelazny
serait au mieux une faute de goût, au pire une injustice. Une génération de lecteurs
a dévoré L’Ile des morts paru jadis chez J’ai Lu et sa suite Le Sérum
de la déesse bleue publiée en Présence du futur. De ces romans où
s’affrontent des dieux incarnés dans des mortels, Timothée Rey propose une
nouvelle édition augmentée et réordonnée en une mini Histoire du futur (1).
Si « Lugubre lumière » était connu, beaucoup découvriront les quatre
autres nouvelles. « En cet instant de la tempête », en particulier
apparaît comme un spin-off, voir un embryon de l’Ile des Morts.
L’anthologiste, qui a également revu la traduction, s’est fendu d’une préface remarquable et d’un glossaire bien utile, car l’écrivain est le maître des ellipses
narratives et de l’hyperespace textuel.
Si l‘on devait prioriser un de ces textes courts, autant se
jeter sur l’introduction. Timothée Rey a concocté un voyage érudit et
passionnant au pays de l’inspiration de Roger Zelazny. Le lecteur parcourt
ainsi les mythes grecs de l’ancienne Arcadie, traverse Les Bucoliques de
Virgile – dont un berger prête son nom à l’une des lunes d’un monde façonné par
Francis Sandow – et redécouvre d’un œil neuf quelques peintures célèbres, au
nombre desquelles figure la fameuse toile de Böcklin qui donne son nom à
l’ouvrage. L’interprétation des figures et concepts présents dans l’œuvre de
l’auteur des Neuf princes d’Ambre éblouit comme jadis la fameuse lecture
de L’homme dans le labyrinthe de Rachel Tanner (2).
A tout seigneur (de lumière) tout honneur, L’Ile des
Morts met en scène Francis Sandow, doyen de l’Humanité et également un des
27 porteurs de Noms. L’homme d’affaire est devenu au cours d’un voyage à la
limite de l’univers connu l’incarnation de Shimbo, un dieu Pei’en maître de la
foudre. Il doit sa longévité à d’interminables périples interstellaires
effectués en hibernation et aux progrès de la médecine. Ce statut de démiurge
lui octroie le pouvoir ou la science (avec Zelazny on ne sait jamais
exactement) de création de mondes et le rend immensément riche. Un message d’un
de ses amis Pei’ens mourant, l’enlèvement de Ruth, une ancienne connaissance, le forcent à quitter Terre Libre, un de ses refuges, et à combattre ses ennemis,
dont Belion, une autre divinité.
Comme souvent chez l’auteur, L’Ile des Morts raconte la
vengeance d’un être solitaire et puissant. Comme souvent aussi on retrouve cet
art des raccourcis narratifs. Par quels moyens Francis Sandow parvient-il à
créer des répliques idylliques de la Terre en quelques dizaines d’années ?
On est très loin des laborieuses terraformations décrites par Kim Stanley
Robinson dans sa trilogie martienne, et plutôt dans l’ellipse poétique. Roger
Zelazny a imaginé un héros hanté par le néant, un démiurge esthète qui n’hésite
pas à créer une île reproduisant le tableau de Böcklin, un personnage à son
image, tant l’écrivain semblait lancé dans une course poursuite entre
l’écriture et la mort. Cette méditation sur la création artistique et la
richesse thématique du roman font de L’Ile des Morts une œuvre majeure.
Le Sérum de la déesse bleue n’atteint pas cette
qualité conceptuelle. Francis Sandow apparaît en second plan dans une intrigue
sur toile de fond d’un conflit opposant « Nations Dyarchiques »
(NADYA) et « Ligues Combinées » (LC).Malacar Miles, un ancien combattants
des NADYA, projette d’utiliser les pouvoirs de Heidel von Hymack pour détruire
Les Ligues Combinées. H, ainsi le surnomme-t-on, est en effet habité par une déesse
Pei’enne de la maladie et de la guérison. En fait Heidel von Hymack sème la
mort sur son passage.
Curieux roman que celui-là avec son intrigue minimaliste et
un final (le combat entre Shimbo de l’Arbre Noir et Arym-o-myra) auquel Zelazny
semble ne prêter aucun intérêt.
Des 4 nouvelles présentes dans ce volume, on retiendra « Cette
montagne mortelle » dans laquelle un alpiniste de l’impossible qui
sacrifie tout à sa passion est confronté à son passé.On retrouve Francis Sandow au sommaire de « En cet instant de
le tempête ». Bien avant Interstellar - mais
Michel Demuth avait déjà abordé le thème - Zelazny confronte le temps long des
astronautes et le temps court des simples mortels dans un texte sur la
solitude. « Lugubre Lumière » met face à face, sur une planète à l’agonie, Francis
Sandow et son fils.
Intrigues, personnages, Zelazny ne serait pas Zelazny sans
ce ton inimitable peut être hérité de Cordwainer Smith, qui tient à la fois de
la poésie et d’une espèce de distanciation par rapport au récit.
On ne saurait trop recommander l’achat de ce volume. Certes L’Ile des Morts est la seule fiction incontournable
- à coté de textes honorables - mais l’appareil éditorial de premier ordre rend
caduques les éditions précédentes.
(1) Glossaire :
les 4 périodes pages 472 et 473
(2)
Bifrost Spécial Silverberg.
Je sens que la pile des bouquins à lire va encore augmenter d'un étage... Ca fait un moment que je voulais essayer L'Île des morts, je crois que c'est l'occasion. Et la couverture a de la gueule, ce qui ne gâche rien !
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