Ken Liu
- La Ménagerie de papier - Le Bélial'
Venus après vous, nous vous avons dépassés.
Bienvenus aïeux, ce n’est plus très loin.
Ken Liu est un jeune
auteur américain d’origine chinoise né en 1976, émigré à l’âge de onze ans. Il
a essentiellement publié des nouvelles et a aussi traduit des textes
d’écrivains de son pays d’origine. Un premier roman The Grace of King
devrait paraître au moment où sont rédigées ces lignes. Le présent recueil a
été composé par Ellen Erzfeld et Dominique Martel. Certains des dix neuf textes
ont fait l’objet d’une première publication dans les revues Bifrost et Fiction.
La Ménagerie de papier sort enfin des presses. La réputation de l’auteur, bardé de prix, et
qualifié de prodige a contribué à l’impatience des lecteurs, avides de
découvrir un nouveau talent. En effet le domaine du fantastique et de la
science-fiction ressemble de plus en plus à une terre brûlée. En France les
ventes stagnent et les romanciers ou nouvellistes prometteurs outre-Atlantique comme Ted Chiang ou
Paolo Bacigalupi prennent la mauvaise habitude de sortir des écrans radars. On
espère que Ken Liu gardera le cap, sachant déjà que la fabuleuse nouvelle titrant
le recueil, rejoint l’ étagère des merveilles aux côtés de « La petite
déesse » de Ian MC Donald et des pépites de Sturgeon, Ballard, Sheppard,
Varley, Brown ou Bradbury (sans oublier Oncle Bob).
En quoi réside
l’originalité de Ken Liu. ? Sa biographie donne quelques éléments de
réponse. Prenez les dernières fictions de La Ménagerie de papier :
« Le peuple de Pélé », « Mono no aware », « La forme
de la pensée », « Les Vagues » répètent avec obstination, à
travers les thèmes SF bien balisés de l’exode de l’Humanité à la recherche d’une
planète habitable, le drame de la séparation, la douleur des familles fracturées,
la perte du passé. Les familles, les enfants sont au cœur de ces récits. Le
pont franchi, surgit alors un second thème forcément connexe, celui de la
découverte de l’autre, de l’apprentissage de nouveaux langages comme dans
« La forme de la pensée » un beau texte que ne renierait pas Le Guin,
ou « Le peuple de Pélé ». Ken Liu trace en fait la figure de
l’immigré, cet individu entre deux mondes.
Il use, dit il dans sa
préface, de l’arme de la métaphore - plutôt de l’allégorie. Cela fonctionne parfaitement
avec « La Ménagerie de papier »
illustration de l’idée qu’écrire c’est donner vie à des personnages. Dans cette
nouvelle, un jeune homme américain se souvient de sa mère chinoise décédée.
Pour calmer ses pleurs d’enfants, elle confectionnait des animaux en papier qui
s’animaient à son souffle. Le pôle du récit se déplace du garçon à la mère,
cette étrangère (titre d’un roman de Gardner Dozois), choisie sur catalogue, une
femme de papier qui à travers ses origamis - une façon de replier
son passé -, tente de communiquer avec son fils, jusqu’au jour où enfin tout
est révélé, déplié.
Les dix huit autres
récits, certes de qualité, restent néanmoins un ton au-dessous. Ils révèlent en
tout cas que Ken Liu est un fin connaisseur de la littérature de
science-fiction
« Renaissance » traite du
parasitisme de l’espèce humaine par une race alien. Les Tawnins sont dotés d’un
cerveau qui se régénère constamment, les obligeant à trier leur souvenir. Une
technique qu’ils appliquent aux humains en effaçant des pans entiers de leur
mémoire. Le thème a été abordé par Silverberg dans « Les passagers »
ou Heinlein dans Les marionnettes
humaines.
Plus discutable, « Avant et après » traite également de
la mémoire et de l’oubli. Ken Liu se livre volontiers à des expérimentations
langagières dans ses shorts stories. On trouve mieux par exemple sur le même
thème dans le caustique et spirituel « Emily vous répond », texte que n’aurait pas renié Frédric
Brown. « Nova Verba, Mundus Novus »,
toujours aussi court est un clin d’œil amusant sans plus à Terry Pratchett et
Lewis Padgett. Mais bon on a bien le droit de s’amuser, non ?
Dans « Les Algorithmes de l’amour », une
chercheuse en I.A perd son bébé et tente inconsciemment de le retrouver dans
les automates qu’elle conçoit. Un récit d’aliénation, beau et sensible. «
Faits pour être ensemble »
décrit un monde googlisé dans lequel le comportement quotidien des individus est
guidé à chaque instant à des fins commerciales. Le résultat déçoit, en raison d’une
intrigue un peu attendue. Evoquer une vie humaine en une trentaine de pages s’avère
un exercice périlleux. Mission accomplie avec « Trajectoire », même si les images ou métaphores conçues pour
illustrer le destin de cette femme partagée entre le désir de mort (plastifier
des cadavres) et le désir de vie (l’immortalité sur un plateau) semblent bien
lourdes. On retrouve par ailleurs cette obsession de l’auteur, de la
conservation du lien familial, présent aussi dans les derniers récits du
volume.
« Le Golem au GSM » tombe à l’eau.
Dieu s’adresse à Rebecca et lui demande de nettoyer les rats d’un vaisseau
spatial. Oui et alors ? « La Peste » est une short story classique
sur l’incompréhension et l’affrontement entre
humains et posthumains nés d’une catastrophe écologique. <On me pardonnera d’avoir fait l’impasse sur l’expérimental
« L’erreur d’un seul bit »
et « La plaideuse »>
La qualité des textes
monte d’un cran à partir de la page 232, consécutivement à « La Ménagerie de papier » donc. Au
borgésien « Le Livre chez diverses espèces » dans lequel l’univers des livres rivalise avec l’univers
physique, succède « Le journal
intime » récit tout en finesse à la Bradbury d’une femme dont le
quotidien est perturbé par l’irruption d’un évènement fantastique. « L’Oracle » s’inspire de Minority Report.
Surgit
enfin la salve finale de toute beauté avec « Le peuple de Pélé »,
« Mono no aware », « La forme de la pensée », « Les Vagues » qui abordent les
thèmes de l’exploration spatiale, et la découverte de l’altérité. « Mono no aware », rejeton de « La ménagerie de papier » est le
texte le plus sensible. L’acceptation de l’impermanence s’y oppose à
l’angoisse de séparation. « Le peuple
de Pélé » et surtout « La forme de la
pensée » célèbrent la différence et la rencontre de l’autre, en écho
à l’œuvre de Le Guin. Tout finit en apothéose avec « Les Vagues ». Les occupants d’un vaisseau spatial acquièrent l’immortalité
et s’affranchissent des lois de l’espace et du temps. Ken Liu y élargit sa
conception de la famille à une espèce de panthéisme cosmique, une façon de
liquider ses obsessions. Pour la forme, on relèvera la parenté avec Le fils de l’homme de Robert Silverberg.
Normal, après tout Silverberg est Dieu, non ?
La Ménagerie de papier contient de bien belles choses. Les thèmes
abordés devraient séduire un lectorat jeune, sans compter la nouvelle éponyme, une
véritable tuerie, qui justifie à elle seule l’achat du recueil. Traduction
soignée de Pierre-Paul Durastanti et bibliographie d’Alain Sprauel complètent
la fête.
J'ai adoré ce recueil de Ken Liu, une excellente idée du Bélial' que de nous l'avoir proposé !
RépondreSupprimeroui, et j'espère qu'il va se vendre !
RépondreSupprimerJ'en ai acheté deux, puis je les ai fait contrefaire en Chine... c'est vrai que des fois, il écrit ses nouvelles comme ses ex-compatriotes tricotent des sacs Vuitton à la chaine : un faux Sturgeon, un faux Silverberg... (je ne suis pas encore tombé sur le faux Dick) mais de temps en temps, y'en a une qui est vraiment de lui, et là ça fait mal !
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