jeudi 6 novembre 2025

Héros et tombes

Ernesto Sabato - Héros et tombes - Points - Signatures

 

 

 

Héros et tombes, traduction de Sobre heroes y tumbas, est le deuxième volume d’une trilogie d’Ernesto Sabato initiée par Le Tunnel. On peut regretter le titre de la première version Alejandra abandonné par l’auteur tant ce nom imprègne le roman. Le récit se déroule à Buenos Aires, labyrinthe de rues, de souvenirs, d’errances voir de désespérances ou comme l’exprime Borges :


« Voici Buenos Aires. Le temps qui aux humains

donne l'amour ou l'or m'a seulement laissé

cette rose pâlie et ce réseau vain

de rues qui répètent tous les noms du passé

de mon sang : Laprida, Cabrera, Suarez, Soler…

Noms où retentissent, déjà secrets, réveils,

républiques, chevaux, matins, heureuses victoires, morts par le fer... »

 

 

Le poème cité par Sabato donne le ton. Les personnages, pour paraphraser Juan Asensio, sont sous l’emprise d’un sang ancien, parents pitoyables pour Martin, héros et fous pour Alejandra. Les amours de ces deux-là forment un premier bloc narratif. Le second, entremêlé aux autres arcs textuels ressuscite les épisodes sanglants de la guerre civile après l’Indépendance entre le dictateur Rosas et le général Lavalle. Un autre intitulé « Rapport sur les aveugles » occupe la troisième partie du livre. Il raconte l’enquête menée par le père d’Alejandra sur une secte maléfique.

  

Les relations épisodiques de Martin et Alejandra balaient les deux premières parties de Héros et tombes. Tout débute par une rencontre de hasard dans un parc de la capitale argentine. Le jeune homme tombe sous le charme d’Alejandra, femme présente et absente à la fois, confrontée à d’inquiétants démons intérieurs exaspérant par ses mystères, ses disparitions momentanées, les sentiments de son partenaire. Celui-ci doit aussi lutter contre un dégoût personnel, l’ascendance d’un père falot et d’une mère prostituée, « mère-égout », ce qualificatif repris et substantivé ultérieurement dans « Le rapport aux aveugles ». Le roman tout entier est d’ailleurs placé sous le signe de la corruption, de la dégénérescence des chairs voir de la pestilence comme en témoigne la fuite des « unitaires » vers la Bolivie trainant le cadavre décomposé de Lavalle. Sabato n’est pas loin ici de Sous le Soleil de Satan, avec ce point d’orgue du manuscrit de Fernando relatant le contact Lovecraftien avec l’Œil, anomalie insulaire circulaire entourée d’eau à la périphérie de Buenos Aires, métamorphosée sous la plume de l’écrivain argentin en Divinité maléfique, écho dans une moindre mesure de l’œil sépulcral hugolien qu’on aurait niché dans un cloaque inspiré du même auteur.


El Ojo

 

Buenos Aires, ville de désemparés : Héros et tombes raconte l’incapacité de personnages à surmonter une fortune contraire, à se forger un destin, à remplacer les désespoir individuel par une espérance collective. Et de citer Saint-Exupéry (Terre des hommes ?) et les mouvements anarchistes et communistes, façon de revisiter l’Histoire violente de l’Argentine et de constater que les passions plutôt que la raison gouvernent les actions humaines. On notera la présence de personnages secondaires comme Bruno double vieillissant de Martin et narrateur annexe.

 

Sartre expliquait La Nausée par la contingence, Sabato invoque ici le Dégoût au nom de la prédestination. Grand livre assurément que ce Héros et tombes, inquiétant, voir lent et angoissant par instant, mais vivant par son style plutôt que par la Saudade d’un récit seulement libérateur dans ses dernières lignes.


89 commentaires:

  1. Introduction de Witold Gombrowicz. Et que dit-il de ce roman ?
    Le billet donne vraiment envie de découvrir ce roman.

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  2. J'ai trouvé cet extrait :
    Witold Gombrowicz (Avant-propos au roman) : « Héros et tombes appartient à un genre des plus suspects : celui des romans dont la lecture se termine souvent à quatre heures du matin. (...) J'ai passé en Argentine vingt-quatre ans de ma vie. Je ne connais aucun livre qui introduise mieux aux secrets de la sensibilité sud-américaine, à ses mythes, phobies et fascinations... »

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  3. "Introduction de Witold Gombrowicz. Et que dit-il de ce roman ?"
    Pas grand chose, en fait. SV

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  4. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/voix-du-silence-ernesto-sabato-1ere-diffusion-01-10-1988-3395852

    Il est vraiment passionnant Ernesto Sabato dans cet entretien quand il explore les personnages de romans à ne pas confondre avec l'auteur, nés de l'inconscient de l'auteur.
    De plus, j'aime beaucoup sa voix, son rythme de parole, la façon dont il insiste sur certains points où ses questions qu'il laisse parfois sans réponse. Une patience en attendant le livre en fin d'après-midi.
    Ce qu'il dit de la pensée magique dans le roman me fait penser à ce que vous en dîtes.

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  5. Très très étrange roman. Voilà quatre fois que je relis les dix premières pages. Impression de marcher sur un sol glissant. Quelque chose paraît qui n'est pas ce qu'il semble. Un jeune homme préfère imaginer qu'une statue est derrière lui plutôt qu'une jeune fille car les statues de pierre le rassurent. "peur de se retourner mais envie fascinante de le faire." Il se retourne... Qui est-elle ?
    Qui est-il ? l'accident de sa mère qui n'a pas réussi à avorter et qui le lui répète inlassablement ? Il aurait pu finir dans l'égout... donc, il la nomme la mere-égout.
    Le temps est plein de va et vient. Ça bouge tout le temps.
    D'abord une fille, Alejandra, qui tue son père puis s'immole. Fait divers paru dans un journal le 28 juin 1955. Puis retour amont. Mai 1953. C'est donc la rencontre de Martin et d'Alejandra. Ils se voient, se parlent à peine, se perdent, se revoient.
    Elle mène la danse. Je ne sais comment mais elle est plus forte que lui.
    Lui, raconte tout à Bruno. Bruno pense mais ne dit pas tout à Martin de cette rencontre. Surtout à propos de cette parole qu'elle a dite à Martin : "Toi et moi avons quelque chose de commun, quelque chose de très important."

    Puis le livre inscrit d'autres choses qui ne sont pas ces personnages comme :
    "tout commence à surgir avec une étrange gravité. Un mystérieux événement survient à ce moment-là : la nuit tombe. Et tout change (...) C'est l'heure où l'existence de toute chose devient plus profonde et énigmatique. Mais aussi plus inquiétante "

    Mais eux dans cette étrangeté ? Martin avant de se retourner avait senti que quelqu'un voulait communiquer avec lui.
    "son regard s'était retourné sur lui-même, comme lorsque l'on pense aux choses passées et qu'on essaie de reconstruire d'obscurs souvenirs "

    C'est épais, ensorcelant, un peu effrayant. Je ne me ferais pas à cette fille...
    Lui, va se faire dévorer... Voilà ce que je ressens après avoir lu ces dix pages.
    Soleil vert annonce bien d'autres étrangetés. Il a le don de choisir des romans qui remuent l'inquiétant de la vie.... Il finit par ressembler au joueur de flûte de Hamelin....

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    1. Alejandra est belle et maléfique mais comme si elle ne pouvait pas s'empêcher de détruire d'être cruelle. Elle attise la jalousie de Martin, diaboliquement. Je crois que deux autres hommes sont fascinés par elle dont son père lui-même fasciné par les aveugles.
      Quelle histoire !

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  6. Je ne comprends rien à cette histoire, à cette Alejandra. C'est la mort cette femme !
    Mais peu importe... Il y a
    De telles beautés dans ce livre. Je les surligne, y revient et ... vogue la galère....
    Ainsi page 199 :
    "Comment ne pas comprendre le vieux D'Arcangelo ? Car plus nous approchons de la mort, plus nous nous rapprochons de la terre, non point de la terre en général, mais du lopin, du coin de terre minuscule mais tant aimé et regretté où s'est écoulée notre enfance, où nous avons eu nos jeux et connu l'irrécupérable enchantement de nos jeunes années. Alors, nous nous souvenons d'un arbre, d'un visage ami, d'un chien, d'un ruisseau, d'un sentier poussiéreux en été dans la chaleur du midi, avec le crissement des cigales, de bien d'autres choses encore : pas de grandes choses, de petites, de très modestes choses, mais qui dans le moment qui précède la mort prennent une importance inimaginable, surtout quand, dans ce pays d'immigrés, l'homme qui va mourir ne peut se défendre que par le souvenir, si dramatiquement imparfait, transparent et abstrait de l'arbre, du ruisseau de l'enfance, dont il n'est pas seulement séparé par les abîmes du temps, mais par l'immensité des océans. Et c'est pourquoi il nous est donné de voir des vieillards qui, comme le père D'Arcangelo, ne parlent quasiment pas et semblent tout le temps regarder au loin, alors qu'en réalité ils regardent en eux-mêmes, au plus profond de leur mémoire."
    (Voilà ce qui réuni Gombrowicz et Sabato. Gombrowicz est resté dix-huit ans en exil a Buenos-Aires...)

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  7. " Car plus nous approchons de la mort, plus nous nous rapprochons de la terre, non point de la terre en général, mais du lopin, du coin de terre minuscule mais tant aimé et regretté où s'est écoulée notre enfance, où nous avons eu nos jeux et connu l'irrécupérable enchantement de nos jeunes années. "

    A rapprocher de "D'où suis-je ? Je suis de mon enfance comme d'un pays" Saint-Ex, nommé d'ailleurs plus loin.SV

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  8. Quel beau rapprochement ! Terre des hommes ?
    C'est à travers ce couple insolite une lutte féroce entre le Mal (l'âme complexe et torturée d'Alejandra) et l'innocence (Martin), tous deux plongés dans l'histoire d'une ville, d'un quartier inquiétant.
    Tant de personnages... Et ces bonheurs de lecture semés comme les cailloux du Petit Poucet. Là aussi il y a des ogres et de la peur...
    Je passe une première fois, ballottée par une histoire démembrée puis je reviendrai. Là, je m'emplis d'une atmosphère... Ce jeune Matin est en souffrance, désirant un corps qui lui est interdit, côtoyant des êtres monstrueux. J'aime bien son ami, Bruno.

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  9. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  10. Martin souffre non du réel mais par son imagination. Tout ce qu'il ne peut vivre et qu'il désire avec Alejandra, il le projette sur un autre inventé. Cela me fait beaucoup penser à Proust qui a remarquablement sondé. Le sentiment de jalousie. Martin ne comprend pas les refus de cette femme qu'il désire. Il invente une situation qui me paraît à ce stade (p.177), loin des motivations d'Alejandra. Se sachant prédatrice, je crois qu'elle veut à la fois le protéger en l'éloignant tout en jouissant du mal qu'elle lui fait. Elle aime torturer, c'est plus fort qu'elle. Cela doit être une jouissance morbide liée à ses pouvoirs maléfiques. Ou un sort, un envoûtement .Et là on entrerait dans le domaine de la pensée magique, du surréalisme et de la galerie de personnages diaboliques dont la littérature n'est pas avare.
    Une sorte de couple maudit qui ne doit pas étonner Martin qui a peu d'estime pour lui-même et se sent rejeté de tous. Un couple sadomasochiste ou chacun ne peut s'éloigner de l'autre. Une perversion douloureuse mais recherchée.
    Mais il se peut que je sois dans l'erreur et que Ernesto Sabato conduise ses personnages vers autre chose...
    Je sens aussi comme une métaphore l'influence de ce pays sous contrainte en ces années-là - années 1930, coup d'état militaire... années 70 , dictature, répression sanglante , emprisonnements, disparitions, mises à mort... Un égout énorme qui absorberait la ville labyrinthique de Buenos-Aires, ce quartier de la Villa Devoto, ces personnages et la mystérieuse, la famille d'Alejandra , une vieille famille argentine. Une lignée "de héros et de fous"...

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  11. Dans la construction savante du roman, j'aime que la mort terrible et volontaire d'Alejandra soit notée comme un fait dès la première page et que le lecteur passe sans s'en rendre compte des années où elle est encore en vie, où elle rencontre Martin , au récit que le narrateur fait en notant d'une façon répétitive : "des années après la mort d'Alejandra."...
    Il y a un trou obsédant : les évènements qui ont conduit Alejandra à tuer puis à se suicider..
    Ernesto Sabato construit une machine diabolique qui entraîne le lecteur malgré lui à avancer selon le rythme qu'il a choisi
    Alors je lis un roman policier.

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  12. Et là, quel délice ! Sabato se glisse dans la pensée de Bruno pour nous offrir une halte pensive sur la naissance des "signes prémonitoires". (p. 203) :
    "Toutefois, pensa Bruno, ce détail pouvait n'être qu'un souvenir inexact, fruit de la lucidité rétrospective que nous donnent ou que nous croyons que nous donnent les catastrophes, quand nous disons : "Je me souviens maintenant d'avoir parfaitement entendu un bruit suspect", alors qu'en réalité ce bruit n'est qu'un petit détail ajouté par notre imagination aux faits précis et nets issus de la mémoire. C'est ainsi que le plus souvent le présent pèse sur le passé, en le modifiant, l'enrichissant et le déformant par des signes prémonitoires."

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  13. Vous êtes courageux SV et Christiane de vous attaquer à ce roman de Sabato. Lu il y a longtemps. Le thème de la cécité et des relations toxiques était déjà présent dans ”Le tunnel ”. L’époque était quand même très conservatrice.Qui sont les véritables héros d’après le titre. ?
    J’avais cru comprendre que Alejandra avait une relation incestueuse avec le père.

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    1. Eh bien, il ne manquait plus que cela ! Relation incestueuse avec le père ? Peut-être dans les pages à venir.
      Oui, c'est compliqué ce roman car les éléments donnés avec parcimonie par l'auteur ressemblent à ceux d'un mecano que l'on doit associer avec logique ou témérité.
      Soleil vert choisit des romans qui ont marqué les lecteurs, la mémoire des lecteurs, l'imaginaire des lecteurs.
      Et là , en plus, nous abordons ce grand pays travaillé par l'injustice, la cruauté pendant les années de dictature sanglante, mais aussi quand on lit Borges, Cortazar et maintenant Sabato les mythes, les legendes, l'irrationnel, les doubles, le temps circulaire, les métamorphoses.
      C'est tout un monde parfois onirique, souvent mélancolique et cruel.
      Parfois, je comprends parfois, je suis perdue... mais je continue car je veux rendre lisible cette histoire pleine de trous. L'auteur est aussi physicien. Cela doit avoir une importance dans l'architecture de ce roman.
      Il a fréquenté à Paris le quartier Montparnasse, les poètes surréalistes, les peintres. Ce roman m'évoque les créations de Wilfredo Lam que j'avais vues à la fondation Cartier, boulevard Raspail
      Oui, tout un univers où l'on plonge avec effarement et délice.

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  14. Donc, Fernando...
    "Il me semble qu'entre toi et lui, il y a un secret, que vous formez , toi et lui, quelque chose à part, loin des autres (...).
    Alejandra le secoua tellement qu'on aurait dit qu'elle voulait le battre. (..), il l'entendit crier :
    - Imbécile ! Imbécile ! Cet homme est mon père !
    Puis elle se sauva en courant.
    (...) Martin eut l'impression, après les mots terribles d'Alejandra, d'être plongé au cœur d'un immense rêve noir, lourd, comme s'il dormait au fond d'un océan de plomb fondu. Longtemps, il déambula à la dérive dans les rues de Buenos Aires."

    Bon, il semble que vous avez raison !

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  15. Et plus loin, l'ombilic du roman :
    "Ici, disait-il , nous ne sommes ni en Europe, ni en Amérique, mais bien dans une région brisée, instable et tragique, un lieu de fracture et de déchirement. (...) Et lui Martin, il n'avait ni foyer ni patrie. Il était donc seul, seul, seul (...) Alors, tel un naufragé dans la nuit, il s'était précipité sur Alejandra. Mais c'était se réfugier dans un antre au fond duquel avaient surgi de terribles fauves. (...)
    Et puis un jour, il se vit tout à coup entraîné par une foule qui courait, tandis que dans le ciel, rugissaient des avions à réaction et que les gens criaient : "Place de Mai !" (...)
    Hurlements confus, éclatement des bombes, crépitement des mitrailleuses (...) et des gens qui couraient, de bousculaient pour trouver un abri dans les maisons...."

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  16. Il voit Alejandra s'engouffrer dans une maison, ne pas ressortir. Il s'éloigne tristement.
    FIN de la première partie.
    Page 260.
    Formidable ce roman !

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  17. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  18. "Bon, il semble que vous avez raison !"

    ? SV

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  19. Concernant le terme" héros ”du titre,sans être spécialiste de l’histoire de L’Argentine, Alejandra est une descendante du général Galo de Lavalle,militaire indépendantiste argentin et l’histoire de l’Argentine est chargée d’héroïsme. Sàbato le fait cheminer vers le Nord,peut-être ça reste un héros. Voir peut-être la fiche Wiki de Lavalle.

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  20. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  21. "Dans la construction savante du roman, j'aime que la mort terrible et volontaire d'Alejandra soit notée comme un fait dès la première page"

    Il semble que Marquez et ses cent ans de solitude ... aient donné le "la"n matiere de construction.SV

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  22. Oui c’est quand même très complexe comme roman. Merci à SV et à vous pour ces éclairages.
    Je retourne à ma fiche de lecture sur Flaubert et La légende de Saint Julien l’hospitalier.
    Libraire

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    1. Dans la légende de saint Julien l'Hospitalier j'avais aimé l'avance que le lecteur prenait sur les évènements grâce aux prédictions et prémonitions que trois personnages gardent pour eux. Flaubert organise ce décalage magnifiquement.

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  23. Ah Flaubert... Ces trois derniers écrits. Magique...

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    1. Un cœur simple que son amie George Sand n'a pu lire. Un conte écrit pour elle...

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  24. St Julien, c’est aussi, peut-être surtout, le vitrail de la Cathédrale de Rouen que Flaubert a bel et bien vu…

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  25. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  26. Dans sa présentation, J.C. Mondragon écrit des lignes très justifiées. Ainsi :
    "a) le journal dissimule une énigme en rapport avec un trafic de pouvoirs maléfiques ces événements, en apparence ordinaires et quotidiens, toucheront a la fois le sublime et l'abjection. b) l'éducation sentimentale du jeune Matin del Castillo qui sur une période de deux années, de présente comme un passage et une initiation difficiles à la vie adulte. Mais ces

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  27. Il cite aussi dans cette présentation ces mots de l'écrivain : "On s'embarque pour des terres lointaines, on cherche la nature, on est avide de la connaissance des hommes, on invente des êtres de fiction, on cherche Dieu. Puis on comprend que je fantôme que l'on poursuit n'est autre que Soi-même."

    Mondragon ajoute : "De cette combustion intérieure surgit un essayiste ironique, un écrivain assailli par des fantômes qu'il lui faut exorciser, un créateur de fictions."

    Ce volume qui suivait "Le Tunnel" sera suivi de "L'Ange des ténèbres". Une trilogie, donc.

    Pour lui "Héros et Tombes", " n'est donc pas le texte du milieu, central, mais celui dont la masse est la plus lourde, celui qui condensé et étend la vision du monde de l'écrivain, celui qui tend au maximum l'écriture, son chef-d'œuvre."

    J'aime qu'il signale que dans le "Rapport des aveugles", l'écrivain porte l'aveu jusqu'aux limites du supportable. Le ton est celui d'un aliéné, d'un illuminé, d'un homme qui a découvert le complot ; le récit possède le rythme d'une enquête policière sur des crimes inhumains, et constitue une véritable descente aux enfers de la ville, aux égouts de la conscience. Si par moments le texte évoque des réminiscences surréalistes, il est empreint de gravité et offre une série d'images d'inspiration démoniaque ; il est en quelque sorte, la conscience que l'expérience de l'au-delà est possible."

    Ouf ! Que ces lignes font du bien. Je me sens moins seule dans mon effarement.

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  28. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  29. Il est curieux qu’on convoque un critique pour mettre de l’ordre dans un imaginaire argentin typique…. MC

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    1. https://fr.wikipedia.org/wiki/Juan_Carlos_Mondrag%C3%B3n

      Faites-en autant !

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  30. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  31. Ouf! Finalement le seul personnage le plus sain,si je puis dire est Bucich,le camionneur que va rencontrer Martín pour un voyage vers le Sud,en Patagonie,symbole de nouvelles générations à venir.

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  32. Page 521
    "Le temps avait changé, il ne bruinait plus. Un vent violent soufflait. Le froid était coupant. Mais maintenant le ciel était limpide. A mesure qu'ils progressaient vers le sud, la pampa se déployait, le paysage devenait imposant et Martin trouvait l'air plus net. Et puis il se sentait aussi utile. Quand ils avaient dû changer le pneu, c'était lui qui avait allumé le feu. Et ce fut la première nuit. (...)
    - Je suis comme ça, j'aime pas bouffer dans les auberges, dit Bucich en garant son camion sur une petite route.
    Les étoiles éclairaient la nuit âpre et froide.
    - C'est ma façon à moi, mon p'tit gars, expliqua-t-il en tapotant le côté du camion avec ses grosses mains, comme un bon cheval. Le soir, j'arrête, c'est toujours dangereux, tu te fatigues, tu t'endors et v'lan dans le décor ! (...)
    Martin commença à faire du feu. Tout en jetant la viande sur le gril, le routier ajoutant : (...)
    - Je vais te dire une chose, mon petit. Les gens d'autrefois, ils étaient plus sains. Sais-tu l'âge qu'il a mon père ?
    Non, Martin ne le savait pas. A la lueur du feu, il regardait Bucich, souriant, accroupi, avec son mégot éteint, se rengorgeant à l'avance.
    - Quatre-vingt-trois ans. Et je mentirais en disant qu'il a vu un médecin. Hein, qu'est-ce que tu en dis ?
    Puis ils s'assirent sur de petites caisses, face au feu, en attendant en silence que la viande soit cuite à point. Le ciel était très pur et le froid intense. Martin regardait pensivement les flammes. (...)
    - Je vais te dire une chose, petit, j'aurais aimé être astronome. Quoi, ça t'étonne ?
    Martin répondit que non. Pourquoi serait-il étonné ? (...)
    Et alors Martin, contemplant la silhouette gigantesque du routier qui se découpait sur le ciel étoilé, sentit pour la première fois une paix extrêmement pure gagner son esprit tourmenté.
    Observant l'horizon, Bucich ajouta :
    - Bon, au lit, petit. A cinq heures, on met les bouts..
    Demain, on traversera la
    E Colorado."

    Merci. Oui. Ouf !

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  33. J’interviens à l’heure où je m’éveille, Christiane!

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  34. Ceci pose, tout ce déploiement onirico-esoterico-fantasmatique est une manière de parler mezzo voce d’un régime ou l’on disparaît sans causes connues, et ou on ne peut tout simplement pas vivre. L’attachement à l’histoire pour elle-même peut faire perdre de vue cette dimension en quelque sorte allégorique du récit. MC

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    1. Oui, certainement, mais ce chapitre m'a mis mal à l'aise. La longue préface de Mondragon m'a apaisée car elle revenait à l'écriture de l'auteur. Je suis trop émotive. Parfois j'oublie que je lis un livre, une fiction. J'habite le livre comme si j'étais sur un ring et je reçois plein de coups. Là, proche d'un uppercut !

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  35. Encore une observation de méthode.
    Le "Rapport sur les aveugles" (presque 1/3 du roman tout de même) mais aussi le récit fractionné de la fuite de Lavalle (vif, puis mort puis pourrissant) et de ses fidèles ne sont à l'évidence ni attrayants ni "plaisants", mais ils sont bel et bien partie intégrante de Héros et tombes : aussi pénible que l'on puisse trouver leur lecture, elle ne saurait être considérée comme facultative.
    Entendons-nous bien : aucune "police de la lecture" à instituer, personne n'y est évidemment "obligé", chacun fait ce qu'il veut dans son coin — il s'agit seulement de savoir si l'on veut se donner les moyens de comprendre le livre dont on prétend parler.
    Ce roman tresse les histoires et les époques, le réel et l'imaginaire, le fictif et des éléments historiques ; ses parties (les 4 qui y sont découpées, regroupant plusieurs chapitres suivis, mais tout autant les motifs, les facettes, les différents fils narratifs auxquels le lecteur est confronté de manière répétée mais discontinue), ses parties donc se composent en un tout : elles ne sont pas étanches entre elles, sans rapport les unes avec les autres. Le sens global (du roman) dépend de ses expressions partielles — lesquelles dépendent à leur tour des autres expressions partielles et en définitive de l'ensemble du texte. C'est ce qu'on appelle le "cercle herméneutique", mais peu importe le nom qu'on lui donne : ce mouvement de va-et-vient, d'intégration, peut être effectué par le lecteur de bonne volonté sans qu'il en ait forcément conscience. (Un peu le même décalage qu'entre un trajet familier, fait "sans y penser", et sa description précise pour guider ceux qui ne le connaissent pas.)
    e.g.

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  36. J'ai oublié, Libraire, ce poème mis en exergue au chapitre 3. ("Rapport sur les aveugles") :
    Ô dieux de la Nuit
    Ô dieux des ténèbres, de l'inceste et du crime,
    de la mélancolie et du suicide !
    Ô dieux des rats des cavernes, des cafards et des vampires !
    Ô dieux violents et indéchiffrables du rêve et de la mort !

    Toujours heureuse de vous lire. A bientôt.

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    1. https://www.cathedrale-rouen.net/patrimoine/expositions/vitraux/st_julien/saint_julien.htm

      Que cherchez-vous dans ce vitrail ?

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  37. Soleil vert, j'ai commencé à lire "Le Tunnel". Votre billet et celui que vous mettez en lien m'ont donné envie de découvrir ce court roman. Surtout que la présence de l'art dans ce roman semble importante. Je vous dirai ce que j'en pense

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    1. C’est curieux mais Saint Julien l’hospitalier de Flaubert,qui rappelons le massacrait les animaux dans la forêt, me fait penser au personnage Fernando le père d’Alejandra ,qui obsédé par les aveugles martyrisait les oiseaux.

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    2. Non, Julien ne massacrait pas les animaux dans la forêt. Un jour il poursuit un cerf. Celui de l'oracle : -pourquoi me poursuis -tu toi qui tueras ton père et ta mère ?
      Pour fuir ce destin terrible il s'en va. Et c'est par erreur et jalousie qu'il tuera ses parents auxquels son épouse a offert le lit conjugal. ..
      Puis autre oracle. Ils devront près d'un fleuve construire un hôpital, y accueillir ceux qui sont malades, les soigner. Enfin le lépreux que Julien soignera, hébergera et qui se révélera être un envoyé de Dieu. C'est cette fin de vie qui a conduit l'église à le canoniser et à ce vitrail. Flaubert, plus ou moins inspiré par le vitrail et le livre de Langlois écrira un conte où une légende médiévale traverse le temps jusqu'à sa plume, avec ses bifurcations du temps entre prédictions et réalisations des oracles.
      Pour le père d'Alejandra, on se trouve face à un fou qui voit le mal partout, qui tue, et poursuit les aveugles, qui transforme la religion en domaine satanique. On sait qu'il attend sa mort. On ne sait pas trop pour quelles raisons sa fille Alejandra le tue, ni d'ailleurs pour quelles raisons elle s'immole par le feu si ce n'est qu'elle semble redouter les pulsions violentes qui la submergent et qui l'empêchent d'aimer. Peut-être craint-elle la folie qui hante sa famille... Donc, non, je ne fais aucun rapprochement entre les deux personnages mais le commentaire de la libraire m'a replongée dans mes années normandes et dans la belle amitié qui unissait George Sand et Gustave Flaubert. Ces trois contes sont d'une grande pureté et douceur. La folie du père d'Alejandra nous conduit dans un cauchemar à la limite du supportable..

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  38. Juan Pablo Caster qui est ce peintre,personnage central du roman, "Le Tunnel", manque de profondeur émotionnelle, il n'arrive pas à communiquer avec les autres, enfermé dans une solitude volontaire cette rencontre avec Maria Iribarne, il la gâche et finit par la tuer ce qu'on apprend dès le début du roman (p.6) puisqu'il raconte son histoire depuis sa cellule de prison. "Tout le monde sait que j'ai tué Maria Iribarne Hunter. Mais personne ne sait comment je l'ai rencontrée, quelle était exactement notre relation, ni pourquoi j'en suis venu à croire que je devais la tuer."
    Un long monologue suivant ses souvenirs, coupé par des dialogues dont il se souvient, des apartés livrant ses pensées contradictoires, ses rêves - très symboliques.
    Tout a commencé parce que Maria a vu un détail qui semblait échapper aux autres visiteurs de l'exposition : une femme sur une plage qui regarde la mer. Petit détail dans le haut du tableau vu d'une fenêtre. Il fait alors une fixation sur elle .
    Allende le mari de Maria, aveugle, est un beau personnage il est serein.
    Le plus aveugle des deux c'est Castel, enfermé dans son "tunnel" depuis son enfance. Il imagine Maria séparer de lui par un autre tunnel....
    Son long monologue révèle son imagination en proie à la jalousie.
    Donc un roman qui commence par la fin...
    Un seul point de vue , le sien ! Je pense très fort, le lisant, à une nouvelle de Dostoïevski, "Notes du sous-sol" ou au Kafka de "La Métamorphose".

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  39. Celui-là a longtemps figuré dans ma Frigotheque. Je n’ai jamais réussi à le terminer, mais j’ai du y mettre du mien…

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    1. Par contre, entre le conte de Flaubert et cette trilogie d'Ernesto Sabato, je ferais volontiers un autre rapprochement : celui du destin et de la prédestination.
      N'écrit il pas - toujours dans le même chapitre 3 de "Héros et Tombes" : "Les hommes se dirigent comme des somnambules vers des buts dont ils ont parfois une vague intuition, mais vers lesquels ils sont en fait attirés comme des papillons vers une flamme. (...) Comme si le Destin me précédait et m'attendait."

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    2. De Eschyle à Homère, il n'y a que quelques pages... Ainsi page 404 :
      "des pages entières d'Homère, moi qui avais crevé les yeux à des oiseaux, je frémis sais quand le poète décrivait avec une force et une précision étonnantes, presque mécaniques, avec une perversité de connaisseur, un sadisme vindicatif, le moment où Ulysse et ses compagnons crèvent et font grésiller l'œil du Cyclope avec un pieu ardent. Homère n'était-il pas aveugle ? Un jour, en ouvrant au hasard un livre de mythologie appartenant à ma mère, j'ai lu : "Et moi, Tirésias, je fus aveuglé pour avoir vu et désiré Athéna alors qu'elle se baignait, mais la déesse eut pitié et m'accorda le don de comprendre le langage des oiseaux prophétiques, et toi, Œdipe, bien que tu ne le saches pas, tu es celui qui a tué son père et épousé sa mère, et pour cela je dis que tu dois être châtié."

      Et là retour au conte de Flaubert !

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  40. Frigotheque . Variante de Bibliothèque constituée d’ un Frigo hors d’ usage et accueillant un peu de tout . Critère de classement: Ouvrages qui n’ont pas trouvé place dans les autres parties de la Bibliothèque , laquelle se poursuit un peu partout dans l’Appartement…Qu’on se rassure, ce désordre apparent est rangé….

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  41. Ah pardon , j’ai prolongé sans voir que vous étiez intervenue! Il est des endroits inattendus: les Jésuites sont dans la penderie de ma chambre! Le reste est plus prévisible. Bureau, Bibliothèque, Entrée, avec divers éléments de rangement recuoeres un peu partout. A signaler quand même St Evremond et quelques autres ( Mezeray) dans la cuisine, sur un …Diable! Ou des éléments IKEA de bon
    format, récupérés pour les In Folios du Père Anselme… et coexistant avec la Bibliothèque familiale. L’essentiel est que je m’y retrouve! MC

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  42. Vous m'étonnez, MC. Pas traditionnelle du tout votre bibliothèque !

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  43. Toutefois, dans ce fameux chapitre 3, "Rapport sur les aveugles", page 371, ce roman est non seulement cité mais "diablement" expliqué.
    La secte aurait décider de punir Castel par l'intermédiaire de Maria Iribarne qui ne se serait pas attardée par hasard devant la toile de Castel mais suffisamment longtemps pour attirer l'attention de Castel. Allende, le mari, serait complice de ce piège où "le poursuivant est en réalité suivi". Et ainsi s'expliquerait que Castel devrait se retrouver chez les fous. "La mort de Maria avait été décidée à l'avance et Allende le savait."
    Cette mort devait justifier la réclusion de Castel chez les fous !
    Sabato manipule le lecteur d'un roman à l'autre d'où ce classement en trilogie.
    Quant aux "oiseaux aux yeux crevés" - est-ce encore vous ?- ils deviennent des ptérodactyles qui lui crèvent les yeux ! Là on est plus dans les Erinyes d'Eschyle que dans la légende de saint Julien l'Hospitalier de Flaubert. L'Orestie, donc avec son lot d'horreur, de souffrance, de culpabilité et ces fureurs volantes.
    La forme antique de la tragédie côtoie les codes du roman policier dans ces romans d'Ernesto Sabato.
    Un voyage dans l'horreur humaine où les Argentins sont prisonniers d'un cercle infernal.
    Beaucoup de transgressions dans son œuvre.
    Cette société secrète ressemble effectivement aux us et coutumes cauchemardesques des coups d'État militaires qui se succédèrent en Argentine.
    De livre en livre, il explore son labyrinthe obscur, se libérant ainsi de ses obsessions

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  44. Hier soir (cette nuit) j'avais rédigé un long commentaire sur Héros et tombes … qui s'est volatilisé à la suite d'un clic maladroit.
    S'il y a un passage que je dois restituer (à peu près), il faut en toute justice que ce soit celui-là puisque j'y confesse mon ignorance : n'ayant pas lu les deux autres romans de la trilogie, je serais bien en peine de parler de cet ensemble plus grand et notamment de juger de son degré d'intégration, du lien entre elles (lâche ou serré ? partiel ou quasi intégral ?) de ces nouvelles "parties" que constituent les 3 romans et du type de relation qu'elles entretiennent (continuité ? contraste, renversement ?) A-t-on affaire à une unité supérieure (ce que semble impliquer l'appellation de "trilogie"), dont la clôture primerait sur celle de chaque roman, ou bien désigne-t-on ainsi l'Œuvre romanesque assez restreint d'un écrivain qui tourne autour des mêmes thèmes, quitte à les reprendre pour les aborder différemment ?
    e.g.

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  45. Ce qui me conduit à évoquer une trilogie, c'est en ce qui concerne les deux premiers volumes, le fait que des personnages, des actions se retrouvent d'un livre à l'autre quitte à ébranler les impressions du lecteur. Comment en effet douter de la spontanéité de Maria devant cette toile, de l'affection de son mari si on ne trouve cette information ahurissante dans "Héros et Tombes" ? Et je n'ai pas encore lu "L'Ange des Ténèbres" ni terminé "Le Tunnel".
    Ce qui est surprenant c'est le temps écoulé entre la parution des trois livres, des années.... pendant lesquelles des événements politiques ont ébranlé l'Argentine mais aussi pendant lesquelles l'écrivain a évolué.
    On trouve, comme l'a noté Soleil vert, une esquisse de sa vie à la fin du roman où sa voix est portée par celle du narrateur vieillissant (p.488) :
    "Et dans ce recoin solitaire, je me mis à écrire des nouvelles. D'ailleurs je me rends compte à présent que j'écrivais chaque fois que j'étais malheureux ou que je me sentais seul ou hors du monde dans lequel il m'avait été donné de naître."

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    1. Je ne vous reprochais pas (!) l'emploi du terme "trilogie", Christiane, je le reprenais du texte de présentation de Mondragón — mais je ne sais pas si son utilisation correspond à une simple façon de parler (une manière commode de rassembler ses 3 seuls romans étalés sur presque 30 ans mais tournant autour des mêmes préoccupations ou obsessions), ou bien s'il l'utilise au sens strict ; resterait alors à préciser lequel : celui de la succession chronologique des événements relatés dans le récit (en sorte que l'on pourrait inscrire "suite" en tête des 2ème & 3ème "tomes", comme pour Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne, ou les volumes de la tétralogie de Th. Mann, Joseph et ses frères ) me paraît assez peu probable d'après le peu que je sais du 1er roman ; il supposerait aussi le retour de la plupart des personnages et au moins d'un des principaux me semble-t-il. Mais le sens de "trois variations autour du même thème", qui suppose un autre type d'articulation entre les 3 volets, une sorte de triptyque donc, ne serait sans doute pas moins strict.
      Il pourrait encore s'agir d'un ensemble que l'on pourrait appeler La Tragédie (ou la tragi-comédie ?) portègne (en référence à la beaucoup plus vaste Comédie humaine).
      Ce que je ne sais pas : l'importance ni les raisons du retour de 3 personnages et de l'histoire qui les lie (la même d'un roman à l'autre si j'ai bien compris) ; y en a-t-il d'autres qui "passent" d'un livre à l'autre ? Les personnages connaissent-ils un développement, une évolution ? Leur histoire est-elle prolongée (en aval ou en amont) ? modifiée ?
      Si cette reprise est unique et en quelque sorte à l'identique, il pourrait s'agir (on pourrait le supposer) d'un élément narratif parmi d'autres dans le premier roman qui s'est révélé après coup d'une puissance insoupçonnée, hautement "fertile", une sorte de germe narratif ou "atmosphérique", un noyau autour duquel se seraient multipliées les différentes histoires d'aveugles de la 3ème partie de Héros et tombes.
      Qu'en dit Soleil vert, qui en a lu au moins deux ?
      e.g.

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    2. Curieusement, je pense à une réécriture du roman. Ce n'est pas une suite ni vraiment un déplacement dans le temps, c'est changer totalement la psychologie d'au moins deux personnages.
      Et ça c'est très intéressant autant que périlleux.
      L'écriture plus tardive a accroché l'intérêt de Camus, ce qui n'est pas étonnant quand on découvre ce prisonnier pas ordinaire, Juan Pablo castel..
      Je m'y sens beaucoup plus à l'aise que dans "Héros et tombes".
      Premières lignes :
      "Il suffira de dire que je suis Juan Pablo Castel, le peintre qui a tué Maria Iribarne ; je suppose que le procès est resté dans toutes les mémoires et qu'il n'est pas nécessaire d'en dire plus sur ma personne."
      L'Étranger ...
      Mais aussi "Lettre à mon juge" de G. Simenon.

      Je ne suis pas vraiment ravie qu'Ernesto Sabato ait repris ses personnages. Ils ne sont plus tels qu'on les a côtoyés dans ce premier roman. C'est comme si Sabato était devenu amer. Comme s'il avait voulu ternir ce premier roman.
      Si trilogie il y a, c'est contre ma volonté de lectrice.
      Ou alors nous sommes dans un exercice de style à la Queneau ! réécrivant 99 fois la scène du voyageur et de l'autobus à plateforme.
      Bon, je lis en essayant d'oublier l'annonce faite dans "Héros et tombes". Juste "Le Tunnel'.

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    3. Pas "plus tardive" mais antérieure. Même année que la parution de L'Étranger.

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    4. Le Tunnel - 1948
      Héros et tombes - 1967
      L'Ange des Ténèbres - 1976
      Seuil fait paraître les trois ensemble en 1996
      Ernesto Sabato est mort le 30 avril 2011. Il était né en 1911.

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    5. "Lettre à mon juge" G. Simenon, publié - 1947

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  46. Les lignes qui suivent sont vraiment camusiennes :
    "On pourra se demander ce qui me pousse à écrire l'histoire de mon crime (je ne sais pas si j'ai déjà dit que je vais raconter mon crime) et, surtout, à chercher un éditeur. Je connais assez l'âme humaine pour prévoir qu'on pensera à la vanité. On peut penser ce qu'on voudra : cela m'est indifférent ; il y a longtemps que l'opinion et la justice des hommes me laissent froid."

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  47. e.g : "une manière commode de rassembler ses 3 seuls romans étalés sur presque 30 ans mais tournant autour des mêmes préoccupations ou obsessions"
    Je penche plutôt pour cela.

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    1. "trilogie" au sens faible, alors, merci.
      Je ne me rappelais pas de cette affaire Castel, que j'ai fini par retrouver — peut-être s'était-elle plus ou moins confondue dans mon souvenir avec un épisode dans le milieu des beaux-arts (Domínguez, Louise modèle aveugle et son mari aveugle & paralysé) alors qu'il se déroule à Paris. (À vrai dire, la seule à m'avoir vraiment marquée était l'histoire des prisonniers de l'ascenseur…)
      Il me semble qu'il n'est pas question de Castel, Allende et María Iribarne ailleurs dans Héros et tombes , où cette histoire n'occupe qu'à peine 3 pages (370-372), mais pourriez-vous me le confirmer ?
      Bien sûr le jeu consistant à brouiller les frontières de la fiction et du réel en faisant passer le roman précédent de l'une à l'autre, à le nommer "rapport" dans la partie elle-même intitulée "Rapport sur les aveugles" (comme à l'inverse de donner à Fernando la date de naissance de l'auteur) est assez vertigineux, et devait l'être plus encore au moment de la parution du roman, avant que le postmodernisme ne nous habitue à ce genre de procédés.
      A priori (à vérifier, donc) on aurait une suture minime mais efficace (pour qui a lu les romans dans l'ordre de leur parution), quoique non indispensable.
      e.g.

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  48. J'ai essayé de retrouver ce que j'avais écrit. Quelqu'un ayant mentionné l'inceste (Fernando-Alejandra), je répondais qu'en effet, il m'avait semblé à moi aussi qu'il était fortement suggéré.
    Ma lecture datant un peu, je suis incapable de dire si le terme lui-même apparaît ailleurs que dans l'épigraphe de la 3ème partie (que Christiane a citée entre temps), mais cet emplacement paraît déjà assez significatif, puisque l'exergue (qui ressemble à une création ad hoc davantage qu'à une véritable citation — quelqu'un pourrait-il m'en dire plus ? Il me faudrait une édition annotée) fonctionne comme ces longs titres de chapitres descriptifs, sous forme de résumé (assez détaillé pour que le lecteur se retrouve dans les méandres d'un roman-fleuve mais suffisamment énigmatique pour attiser sa curiosité) de ce qui allait suivre) — "Dans lequel le héros de cette histoire apparaît sous de très mauvais auspices"…
    Le mot inceste figure donc en tête de ce "Rapport" comme l'un des signes (néfastes) sous lesquels cette partie mais aussi, indissolublement, son auteur supposé, celui qui la prend en charge, sont placés ; le texte (de cette partie) renvoie d'emblée à leur fin quasi commune (achèvement de l'une /mort annoncée de l'autre) et se termine avec la superposition (l'amalgame, la coïncidence) d'un principe, d'une force implacable — fatalité, destinée — et d'un être animé de genre féminin, "elle", qui l'attend. Dans mon souvenir, il était évident pour le lecteur à ce stade qu'il s'agissait d'Alejandra — "évidence" résultant d'une accumulation d'indices fournis par le texte (malheureusement je n'ai pas le temps de tout relire pour vérifier et pouvoir les citer). Je me rappelle tout de même que la 2ème partie, celle qui précède immédiatement le "Rapport", se terminait quasiment sur la triple révélation (de nature différente selon les destinataires) : Fernando est le père d'Alejandra, il y a une profonde ressemblance entre eux, Alejandra est amoureuse de Fernando.
    J'avais essayé de montrer l'aspect symbolique de l'inceste, comment il s'inscrivait surtout dans la logique de dégénérescence mentionnée par SV (Fernando & Georgina, les parents d'Alejandra, n'étaient-ils pas déjà cousins ?)
    Au-delà du côté "fin de race", avec l'inceste "vertical" (ascendant/descendant), mouvement à contresens , il y aurait quelque chose de l'ordre de la cannibalisation du présent et d'un avenir possible par un passé envahissant et destructeur, imposant son éternelle répétition de désastre en désastre. (Y compris une répétition avec inversion des rôles, quand la victime (ou celui qui se considère comme tel) reproduit ou adopte préventivement le comportement du bourreau, phénomène bien connu.)
    Je me demandais à cette occasion si le plus difficilement supportable, la plus grande source d'effroi, n'était pas — plus encore que la cruauté, le côté Grand-guignol — la menace perpétuelle d'un tel renversement, d'une telle réversibilité.
    L'allié devient l'ennemi, l'ami le rival, l'amour se retourne en haine, le refuge le lieu de tous les dangers … et vice-versa. Cette instabilité générale me paraît affecter non seulement les personnages entre eux mais aussi, malgré la différence de niveau, de "plan", le lecteur dans son rapport aux personnages et à leur histoire.

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  49. C'est peut-être moi qui vois des (quasi) doubles partout, qui monte en épingle des ressemblances partielles ou superficielles, mais par exemple je suis (re)tombée sur ce passage où l'affreux Bordenave semble devenir fraternel envers Martín, en raison de leur deuil commun (p. 498) — ce que Bruno attribue plutôt au ressentiment du macho Argentin typique, pour lequel c'est la femme qui est l'ennemie si elle l'a humilié. Or j'avais relu le début du roman, le choc de la rencontre d'Alejandra pour le tout jeune Martín qui divisait auparavant la gent féminine en 2 catégories nettement et commodément opposées : d'un côté non pas la Mère, puisque la sienne relève de la "mauvaise" catégorie, mais la Sainte, la vierge héroïque dit le texte, et de l'autre la Putain. Le fond de misogynie existe aussi chez Martín, sa candeur n'exclut pas une forme de masochisme (il choisit une femme dépourvue de douceur, comme sa mère (29)). Le gentil Bruno, "double vieillissant" de Martín dont il accueille les confidences, passé avant lui par les mêmes étapes (l'escalier extérieur pour accéder au Mirador, Bebe et sa clarinette) — mais après dans le déroulement de la lecture (c'est la visite la plus ancienne qui provoque donc un effet de répétition), a cru beaucoup plus tard aimer Alejandra (ce qui fait de lui un rival rétrospectif de Martín), alors qu'il aimait Georgina — en cela deux fois double (et rival malheureux) de Fernando ; lui aussi mélange les générations, et il le fait même dans l'autre sens puisqu'il éprouvait, enfant, une grande tendresse pour la mère de Fernando (Ana María, je crois) … avec laquelle Georgina semble avoir beaucoup en commun. Sur un autre plan, il m'a semblé qu'une partie de la difficulté qu'éprouve le lecteur à comprendre le début du roman est due à la présence conjointe de Martín et Bruno, lequel module constamment, nuance ou contredit les propos du plus jeune ; au risque de pousser le bouchon un peu loin, ne peut-on pas voir là aussi une forme (plutôt bénigne) de parasitage du présent par le passé ?
    e.g.

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  50. C'est très beau tout cela et possible. Mes mots sont partis, ailleurs je ne sais où... A un de ces jours, peut-être.

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  51. "L'Ange des Ténèbres" - Ernesto Sabato
    "(...) C’est le troisième et dernier roman d’Ernesto Sábato, celui qui clôt son œuvre publiée qui constitue une trilogie écrite sur une durée de 26 ans. (...)
    Sabato, au milieu de personnages rencontrés par les lecteurs de "Le Tunnel", et "Héros et tombes", toujours sous l’ombre obsessionnelle du "rapport sur les aveugles" publié au cœur de "Héros et tombes" et qui dénonce le complot universel et souterrain qui manipule le monde . Sabato se promène, hagard, ravagé par le doute, hanté par la mémoire, effrayé par la solitude - le double de l’écrivain, Sabato, sans accent.
    Roman des romans de Sábato, "L’Ange des ténèbres" achève et passe en revue sa trilogie en déclinant ses thèmes, en ressuscitant ses personnages, en tricotant la fiction de son œuvre et une sorte de making of où il se met en scène au milieu de ses personnages . (...)
    Les déambulations des personnages, dont l’auteur, dans les rues et cafés de Buenos Aires ressemblent à une revisitation des romans précédents ou, pour être plus précis, du roman précédent, "Héros et tombes" – Le Tunnel étant finalement peu présent.(...)"
    Léon-Marc Levy

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    1. https://www.lacauselitteraire.fr/l-ange-des-tenebres-ernesto-sabato-par-leon-marc-levy

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  52. Christiane, quelque chose pour vous chez Brion.

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