jeudi 9 juillet 2020

Le tunnel (fiction et peinture 6)


Ernesto Sabato - Le tunnel - Points






Paru en 1948, salué en son temps par Albert Camus et Graham Green, Le tunnel est un roman sur la solitude dissimulé derrière le paravent d’un drame de la jalousie. Son auteur fut un écrivain et homme de science argentin au parcours tout à fait exceptionnel, tour à tour contempteur des exactions des dictateurs qu’il recensa dans Nunca más (Jamais plus), physicien spécialisé dans le domaine de la relativité, recherches qu’il abandonna au profit de la littérature et de la peinture.


Le héros de ce court texte est un peintre misanthrope qui tombe amoureux d’une jeune femme lors d’une exposition de ses propres œuvres. Il remarque l’attention qu’elle porte à un détail significatif d’une de ses toiles, ignoré des critiques. Dès lors, persuadé d’être en présence de l’âme sœur, il ne cesse de la poursuivre de ses assiduités, plongeant dans une folie passionnelle qui aboutira à un meurtre. Qui trop embrasse mal étreint dit-on. Castel exige de Maria une transparence absolue, exerce un contrôle qu’il ne peut atteindre parfaitement que dans ses créations picturales. Il la tue comme on effacerait une esquisse imparfaite, ne comprenant pas que les êtres vivants sont définitivement autonomes.


La toile, genèse de leur relation s’appelle « Maternité ». Au symbole de l’amour fusionnel ou accompli que suggère le portrait d’une femme enceinte s’oppose, presque dissimulée comme une anamorphose d’Holbein, l’image inscrite dans une fenêtre d’une femme solitaire sur une plage, contemplant la mer. Quelque chose relie ce fantôme à l’aimée : un mystère, une distance, une forme de passivité face aux incessantes récriminations de son amant.


La narration comporte des allusions à la littérature russe et aux polars. C’est bien d’un roman noir qu’il s’agit ici - l’assassinat perpétré et commenté par le criminel -, à l’instar de Crime et châtiment de Dostoïevski. Les atermoiements du peintre dont les pensées oscillent incessamment entre la certitude du bonheur retrouvé et le poison du doute de l’infidélité, trouvent un pic dans la scène de la lettre incendiaire expédiée à la jeune femme qu’il tente désespérément de récupérer au bureau de poste. Maupassant avait rédigé une nouvelle similaire. Le maire d’un village viole et tue une femme. Ayant récupéré ses esprits, il prend conscience de l’horreur de son geste et  dénonce son acte dans un courrier expédié à la police. Les heures passent et chez cet homme sanguin l’amour de la vie, le plaisir des sens relèguent progressivement au second plan la noirceur de l'assassinat. Il tente alors de récupérer auprès du facteur sa missive, mais devant la ferme opposition de l’autre, se suicide.


Nous vivons dans des espace-temps différents, condamnés à arpenter les tunnels individuels de l’existence. Après Goethe, Proust, ou le Truffaut de La femme d'à côté, Ernesto Sabato en fait une démonstration dans un roman sur l'amour impossible.


Une autre lecture ici

11 commentaires:

Soleil vert a dit…

Corrigé le 11/08/20

Emmanuel a dit…

Je vois que tu t'es laissé convaincre ;-)

Soleil vert a dit…

Et il y en a d'autres, L'homme-dé etc. :)

Emmanuel a dit…

A la bonne heure, c'est un cercle vertueux puisque de mon côté je viens piocher quelques bonnes idées chez toi :-)

Soleil vert a dit…

Mini-correction again
Me souviens d'un conseil de Charles Aznavour aux auteurs-compositeurs : plutôt que d'acheter un dictionnaire des rimes procurez-vous un dictionnaire des synonymes. Je n'arrête pas de corriger des répétitions.

Anonyme a dit…

Pourquoi le sous titre fiction et peinture 6 ?

Très beau roman . Vous rappelez justement qu’il peut évoquer Goethe et Le jeune Werther dans cet amour impossible.N’oublions pas que Maria est déjà engagée par ailleurs tout comme Charlotte


A Biancarelli

Soleil vert a dit…

Bonjour (et merci de me lire).
Si vous cliquez sur le libellé en bas de l'article, vous verrez apparaitre un certain nombre d'ouvrages où la peinture joue un rôle important.
Bien à vous

SV

Anonyme a dit…

Je vous en prie.

En effet,je viens de voir cela et je n’avais pas pensé faire ce lien très pertinent par rapport au roman de Sabato.

A Biancarelli

Anonyme a dit…

Je me permets de vous recommander de cet écrivain argentin ”Avant la fin”,magistral et somptueux,ce sont un peu ses mémoires.

A Biancarelli

Soleil vert a dit…

Au Seuil, je crois.
C'est noté, merci beaucoup

Anonyme a dit…

Oui au Seuil.
Je vous signale qu’il y a un petit souci pour le lien La république des livres,depuis votre blog.