vendredi 27 avril 2018

A l’est du Cygne


Michel Demuth - A l’est du Cygne - Le Bélial'





Les éditions du Bélial' avaient rendu hommage à une figure de proue de la science-fiction française, Michel Demuth, en publiant en 2010 À l' est du Cygne, une anthologie de ses meilleures nouvelles. Prévu dans la foulée, le projet de parution de son cycle majeur Les Galaxiales semble pour l’instant au point mort.


Le respect, la rigueur, l'émotion caractérisent le travail éditorial réalisé sous la direction de Richard Comballot, auquel ont collaboré Gérard Klein, Alain Sprauel et le dessinateur Caza. A l’est du Cygne est exemplaire d'une science-fiction française inclinant davantage vers la poésie et le rêve que la science ou la technologie, tout en illustrant les débats internes d'un amoureux du langage, fondu de space-opéra, inspiré par le surréalisme, et lorgnant avec envie les rivages de la new-wave.
                                              

"Le lendemain, il plut dès le matin, mais c’était une pluie douce, comme il ne pouvait en tomber que dans certaines régions, très rares, de certains mondes très rares. Une pluie presque verte comme les carrés de pelouse qui se trouvaient devant chaque maison, une pluie qui restait en milliers de perles aux longues épines des arbres. La mer, du coup, semblait en avoir perdu sa voix. Elle n'avait plus que le chuchotement très léger des gouttes."


Un chuchotement essentiel, ainsi pourrait-on caractériser l'œuvre et les engagements de Michel Demuth, auteur d'une « Histoire du futur » à la française, anthologiste, traducteur entre autres de Dune, de 2001 l’Odyssée de l'espace, et accessoirement directeur des mythiques éditions Opta. Une espèce d'élégance traverse l'écriture des dix sept nouvelles de ce recueil, rédigées pour les deux tiers dans les années 60 et relevant en majorité du space-opera. L'auteur décline les thèmes habituels du genre : explorations lointaines ("Dans le ressac électromagnétique", "À l'est du Cygne", le mini-cycle du Translateur), conflits stellaires ("Intervention sur Halme", "la bataille d'Ophiucus", "Sigmaringen"), apocalypse atomique ("Lune de feu"), robots fous/ville-machine ("Les années métalliques"). "La route de Driegho" illustre le vieux thème du jeu comme ascenseur social ; des mercenaires croisent la route d'un vaisseau spatial dont l'équipage passe exclusivement son temps à jeter des dés et batailler aux cartes, avec comme enjeu le commandement du navire.

"Intervention sur Halme" et surtout "À l'est du Cygne" émergent de cet ensemble de textes un peu uniforme et daté. Dans ce dernier, un explorateur humain essaye de préserver un peuple extra-terrestre d'une menace à la fois terrifiante et indécelable. Une sourde angoisse transpire tout au long des pages de cette belle nouvelle. L’incertitude identitaire transparaît dans les deux textes du cycle du Translateur, "Translateur" et "Mnémonique". Quelques explorateurs humains rentrent en symbiose temporaire avec une espèce E.T leur permettant de se déplacer à d'incroyables distances, au risque de ne pouvoir récupérer leur intégrité initiale. "Dans le ressac électromagnétique de l'espace", inspiré par le mythe de Jonas, reprend un sujet abordé par Robert Franklin Young (Baleinier de nuit). Un vaisseau spatial et son navigateur entrent en fusion mentale au cours d'un voyage sans fin. Dans ce space-opera tardif (1982) Michel Demuth tente le pari d’une écriture poétique, éclatée, jusqu'à l'incandescence.

Les derniers textes consacrent ce virage. L'auteur abandonne son jardin spatial au profit de narrations expérimentales (formalistes ?) inspirées de ses voyages (la Barcelone de "Exit on Passeig de Gracia"). Le thème de la survie déjà abordé dans "À l'est du Cygne" ressurgit avec "Sigmaringen" récit à l'intrigue minimaliste dans lequel un soldat anonyme d'une guerre oubliée tente de regagner la Terre.


Selon Gérard Klein - mais l'interrogation était réciproque - Michel Demuth nourrissait quelques inquiétudes sur sa vocation ; sans doute phagocyté par son travail éditorial, l'auteur des Galaxiales a-t-il regretté de n'avoir pu emprunter le train de la new-wave dans les années 60, comme Silverberg et quelques autres ? Ce recueil lève le doute sur ses qualités littéraires. Par le soin apporté à sa réalisation, À l'est du Cygne évoque les "Livre d'or de la science-fiction", ressuscitant tout un pan de l'histoire de la SF française.

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